Hôzuki

Un court (137 pages chez Lemeac/Actes Sud) roman (merci E.) qui parle entre autres de la « nature de l’amour maternel« .

Nous sommes au Japon. Voici ce qu’en dit l’Editeur (Actes Sud)

Propriétaire d’une petite librairie d’occasion spécialisée en ouvrages philosophiques, Mitsuko partage ses journées avec sa mère, une ex-détenue qui confectionne de jolis signets de fleurs séchées, et son jeune fils Tarô, un métis sourd et muet. Plutôt revêche et ne cherchant aucune amitié, elle se contente d’amants occasionnels et de discussions intellectuelles avec les riches clients du bar où elle pratique encore le métier d’entraîneuse une fois par semaine.
Un jour pourtant, une femme distinguée se présente à la bouquinerie et, devant la complicité évidente qui s’établit entre son enfant et celui de Mitsuko, elle insiste pour provoquer des visites et des sorties communes. Pour faire plaisir à son fils, Mitsuko surmonte son agacement et accepte ces rencontres. Bien vite, afin de préserver l’équilibre de sa famille, elle devra cependant refaire le choix du mensonge.

La sobriété et la justesse du ton d’Aki Shimazaki sont toujours un ravissement ; ils sont aussi bouleversants quand il s’agit d’aborder avec autant de franchise le thème des liens maternels.

« Hôzuki » est le second roman du cycle L’ombre du chardon commencé en 2014. C’est pour moi le premier des dix parus. Hôzuki = des physalis qu’on appelle aussi « Amour en cage » – ou « Lanterne japonaise« .  

Hôzuki est également le nom de la boutique de livres d’occasion que tient Mitsuko, une célibataire (et les vendredis soir « entraineuse dans un bar » (pour arrondir les fins de mois ainsi que garantir le financement de sa boutique)/ Mitsuko vit avec sa mère (qui tient lors de ses absences la boutique – et fait souvent à manger pour tous) et son fils de 7 ans, un petit garçon métis et sourd.

Hôzuki – veut (au Japon) par ailleurs dire dans la langue des fleurs « mensonge« . Enfin, pour corser le tout – révélant ainsi la complexité qui se cache derrière l’apparente simplicité aussi bien du récit que de la langue – en écrivant Hôzuki en idéogramme chinoise (kanji) on peut y lire et comprendre « prière ».

C’est par petites touches que l’histoire avance et navigue entre le présent et des excursions dans le passé qui éclairent et approfondissent. En effet, la rencontre avec « la femme distinguée » (Mme Sato, épouse d’un diplomate qu’elle va rejoindre bientôt en Allemagne) va bousculer la vie de Mitsuko puisque elle sera révélatrice d’un secret (que le lecteur avisé aura vite dévoilé – dès la page 64), sans pour autant enlever du plaisir à la lecture d’un calme bouddhique).

On a donc dans ce petit roman un condensé de la finesse et sensibilité japonaise – on n’étale pas ses sentiments, on intériorise et cache ses émotions. Et sous la surface lisse, presque froide de Mitsouko ça bouillonne comme un volcan mal endormi. Ce qui donne envie de lire un peu plus de ce cycle de 1à tomes lisible individuellement.

De jeunes Japonaises en kimonos colorés fêtent leurs 20 ans, lors du seijin-shiki tenu le 8 janvier au parc d’attraction Toshimaen, Tokyo. (la fête est soulignée à plusieurs reprises dans le roman – par ailleurs Mitsouki n’y a jamais participé, ce qui dit long sur son caractère aussi)

Le livre se lit rapidement, surprend parfois par sa simplicité apparente rendue parfois plus complexe par ses considérations et réflexions sur les Furigana (Hiragana ou Katagana – des écrits à côté d’un Kanji pour en faciliter la prononciation) – don’t panic : il y a en fin du livre un glossaire !) ou sur la religion/philosophie. Un parfait voyage « exotique » mais sur des trames bien de chez nous et surtout humaines.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

Aliène

Livre lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 – (ou plutôt dans celui du « Shadow Cabinet Inter« , le « Club de lecture » qui voit le jour chaque année au moment du Prix du Livre Inter, et réunit des passionnés de la lecture qui veulent faire comme le Jury dans la Maison Ronde à Paris – cette année nous n’avons pas encore décidé qui sera Isabelle Huppert !).

Avec ce livre surprenant je viens de faire le tour des dix livres candidats au Prix. Une bien belle conclusion finalement.

Présentation de l’Editeur (Editions du Sous-sol)

Fauvel a perdu un œil suite à un tir de LBD. Elle accepte de garder la chienne du père d’une de ses amies dans une maison isolée à la campagne. Hannah n’est pas un chien comme les autres, c’est le clone d’une première Hannah, qui trône empaillée au milieu du salon. Elle suscite les peurs et les reproches muets du village, à mesure qu’on découvre au matin des animaux massacrés, et qu’elle-même rentre parfois ensanglantée.

Cette situation est le point de départ d’un récit de traque et de cauchemar délicatement progressif, la plupart du temps fantomatique. Jamais l’assaillant n’est clairement nommé, jamais la cible n’est clairement identifiée. Fauvel sait être une proie, mais de qui ? Dans le village, un groupe de chasseurs, tous ouvriers ou anciens ouvriers de l’usine d’eau minérale, peu loquaces et mal lotis par la vie, font naître les fantasmes, tantôt sexuels, tantôt horrifiques. Et plus particulièrement chez Fauvel, coupée du monde par sa conscience éparpillée, et chez Mitch, un jeune sociologue qui enquête sur les récits d’enlèvements par les extraterrestres, nombreux dans la région, surtout chez les anciens ouvriers de l’usine.

Au fil d’une pseudo-enquête hallucinée, le roman explore les notions de domination, d’animalité et de violence. À travers la proximité, voire l’amalgame entre animaux et humains, Aliène questionne la nature de ce qui est caché, la vie animale, et surtout l’instinct de peur. Tel est le véritable fil du récit, rarement traité avec autant de nuance et de force.

Un roman fascinant, teinté d’un réalisme magique, un peu d’horreur, mais aussi de fantastique peut-être avec un zeste post-apocalyptique ou pourquoi pas un peu de SF : on pense à David Lynch ou why not Mr. Cronenberg. Un roman qui raconte, entre deux zders dont les volutes épaississent encore davantage le brouillard qui règne dans ce pays quelque part à l’écart de la métropole… les aventures d’une jeune femme pas comme les autres, matinées d’éléments actuels (genre « Gilets Jaunes » l’œil éborgné par un tir de LBD, la mort des marronniers à cause de la sécheresse,…).

Je n’étais à priori pas chaud pour ce roman (même si le tableau de Lucas Cranach l’Ancien sur la 1ere de couv’ intrigue par son anachronisme) – un chien – Hannah – « un chien pas comme les autres » avait, selon la 4e de couv’ un grand rôle, et je me méfie des romans avec des chiens (allez savoir pourquoi)… Mais finalement ce que Phoebe Hadjimarkos Clarke en fait est estomaquant. Comme le rapprochement entre Fauvel et Hannah. Mais pas de tout repos, malgré la fume, le shit afghan, les zders……

Etonnant comme elle arrive à créer un climat d’insécurité, de peur – par la seule force de sa langue (qui n’hésite pas à varier les plaisir : narration peu linéaire, un peu de poésie, des mots rares (la forêt trémule; clabauder, sigisbée…..) à côté d’un street-speak, la presque absence de différences entre rêves ou la « réalité embrumée« … Franchement, elle maitrise parfaitement toute la palette à disposition en français et passe sans avertissement de l’angoisse à un humour potache.

Les dialogues sont marqués en italiques – et sans tirets.

Et que dire même du nom de Fauvel qui est tiré d’un grand roman du moyen âge: Flaterie Avarice U/Vilanie Variété Envie Lâcheté – faut-il lire le roman comme une satire comme le « Roman de Fauvel » ?

Gervais du Bus et Raoul Chaillou de Pesstain, Roman de Fauvel – – BnF, département des Manuscrit

Comme elle n’a rien de mieux à faire, Fauvel reste un temps accroupie près de la chienne et la caresse en pensant à pas grand-chose. Les rogatons de chair accrochés à la gueule d’Hannah exhalent une odeur fade et chaude, et Fauvel, malgré ses longues années de végétarisme, comprend presque l’attrait qu’il peut y avoir à plonger ses crocs dans une viande vivante. Si elle osait, elle chiperait l’un des petits morceaux qui pendouillent vilainement et le goûterait, du bout de la langue, pour voir. Mais elle n’ose pas : c’est quand même dégoûtant. La salive bionique d’Hannah l’inquiète, pas envie de mettre ça dans sa bouche.

Elle pense à la colère qui anime la chienne et la voit comme pouvant être la sienne. Une vie et un corps qu’elle n’a pas choisis.

J’ai peur de trop dire de ce roman surprenant, remarquable, « hors norme » (de par son écriture et du mélange de genres mais aussi à cause de ses personnages « limite ») – juste qu’il y a une « enquête » menée en solo par Fauvel pour débusquer le ou les auteurs du massacre d’animaux qui débouche aussi (entre autres) sur la question de la violence dans notre société.

Que des millions d’animaux soient abattus chaque jour, ça ne choque personne, mais qu’une bête sauvage dévore trois brebis et tout s’affole.

Un autre trait d’union avec l’actualité – les eaux contaminées embouteillées par une usine (au moment de la lecture il y avait les bouteilles de Perrier (Nestlé) – bien après l’écriture du roman.

Ensuite Julien est revenu dans la maison. Il était sorti vraiment très tôt ce matin-là, peut-être quatre heures, enfin il faisait noir et Mado s’était à peine réveillée, avait sans doute fait quelque chose comme laisser trainer sa main sur son vaste dos dur, s’émouvant in petto de sa musculature miraculeuse avant de se rendormir dans le lit toujours légèrement – étrangement – humide de Julien, elle avait encore entendu le cliquetis des chaines, des grilles que l’on ouvre et ferme, et toujours, au loin la pulsation de l’usine, c’est plus fort là-bas, on ne peut jamais tout à fait oublier, un grognement comme une créature toujours à deux doigts de la colère.

Tous les personnages sont bien dessinés et/ou caractérisés. L’amie Mado – et son appétit sexuel qui suscite des émotions particulières chez Fauvel « ...Elle repense aux bruits qu’elle a entendus, succions, coups mous, halètements gluants et de plus en plus frénétiques. Elle aurait préféré ne jamais avoir vu son amie avec ce visage lâche, ni l’avoir entendue braire comme une âme en peine.  » [si quelqu’un peut me dire ce que sont des halètements gluants » je suis preneur, pour moi une des seules paires de mots couchés sur papier avec la faconde débridée de Phoebe qui m’a laissé la bouche sèche.]

Il y avait aussi Mich-Mich ou le beau et inquiétant Julien. Mais lisez de vous même. Ca déménage et vaut son pesant de caviar.

Le roman ne plaira certainement pas à tout le monde. (Pour moi il est un sérieux candidat au Prix du Livre Inter – même si cette pensée se base sur la seule écriture et le malaise/la tension qu’elle arrive à susciter – puisque émotionnellement d’autres livres m’ont plus touchés – Réflexions à venir pour les débats entre nous).

Phoebe/Fauvel nous interpelle et nous remue sérieusement dans ces volutes de zder.

PS :

Je fais une petite pause d’une dizaine de jours dans le cadre d’une mission « grand-père ».

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

Première Affaire

Dans le cadre de mon soutien au cinéma français : voici le premier film de Victoria Musiedlak avec Anders Danielsen Lie et Noee Abita, une actrice que je ne connaissais peu (je n’ai pas vu « Ava » et l’ai juste vu dans « Les passagers de la nuit » ) et qui montre d’une belle maitrise la mue d’une jeune femme (jeune avocate) qui aime et affrontera le policier Anders Danielsen Lie – ce qui donne quelques belles scènes électriques.

Nora Aït (d’origine Algérienne) jeune avocate spécialisée en droit des affaires va représenter en garde à vue un jeune homme accusé d’enlèvement, délit qui va bientôt se transformer en accusation de homicide. (ce qui est un peu tiré par les cheveux à mon avis, de plus elle semble trop fragile pour la laisser traiter un tel dossier). Nora prend l’affaire à cœur et se chargera à prendre la défense du jeune homme (« le monstre » puisque selon la rumeur il serait  né de l’inceste de sa mère avec son frère – disparu au Portugal) et cela malgré son manque d’expérience tout en gardant les autres affaires financiers qu’elle gère pour son patron. Ce qui semble impossible.

Nora sera confrontée à Alexis Servan (joué par Anders Danielsen Lie – vu dans Oslo, 31 août, Julie en 12 chapitres), un enquêteur assez rude mais dégageant le petit quelque chose qui explique que Nora s’intéressera à lui « personnellement » et qu’elle va plus loin …. (attention : l’avocat de défense n’a pas le droit de parler à l’enquêteur).

Ce qui rend particulièrement intéressant ce film c’est la métamorphose (ou évolution rapide – avec des hauts et des bas) de l’avocaillonne (le passage de celle qui ne connait pas grande chose de la vie – elle habite encore chez ses parents/ la mère est insupportable – en passant par des erreurs et autres échecs, elle mûrit, et c’est plaisant à voir à l’écran).

Anders Danielsen Lie, Noée Abita

De plus, je dois avouer que je ne suis peut-être pas trop objectif une fois de plus, puisque j’étais plutôt subjugué par le regard de Noée Abita (genre crève-écran) – avec son mélange d’innocence et de détermination. Ce regard m’a laissé oublier le peu de profondeur (ou de peu d’incursion dans les méandres de la justice, pourtant avec une porte grande ouverte avec ce meurtre de jeune fille….- l’intérêt de Victoria Musiedlac était ailleurs).

Une bien belle surprise ce petit film.

Publié dans Cinéma | Tagué , , , , , , , , , , | 3 commentaires

Le renard d’en haut et le Renard d’en bas

Lecture dans le cadre de ma participation au Jury du Prix Caillé 2024. Ce prix sera décerné à un(e) traducteurice (pas plus de 3 ouvrages traduits à son actif). Nous sommes en phase de « tri » parmi les candidats pour désigner en juin une sélection de maximum 5 traductions. Je ne parlerai ici qu’à mon nom et n’évoquerai pas la qualité de la traduction (je signale toutefois que M. Le Clezio dans son avant-propos en souligne les mérites). La traduction est réalisée par Rosana Orihuela.

Et à la fin, l’auteur est mort. Dès les premières lignes on apprend dans un des 4 extraits de journaux que l’auteur est suicidaire. « En avril 1966, il y a donc un peu plus de deux ans, j’ai tenté de me suicider ». En effet, il terminera sa vie d’une balle (il tire le 28 novembre 1969) qui va le laisser agoniser pendant quatre jours.

Ce sera un roman multiforme, « hybride » comme on dirait aujourd’hui, plein de ruptures, de doutes, d’auto-apitoiements, de dialogues plus vrais que nature, et des passages qu’on peut sans trop se tromper appeler « lyriques ». La critique disait à la publication (de ce roman inachevé) en 1972 que c’est un, sinon LE grand roman péruvien du 20e siècle.

Nous sommes à Chimbote, une ville portuaire sur la côte pacifique péruvienne. Elle était, à cette époque déjà (les années 1960), la capitale de la production de farine de poisson. Vu le nombre incalculable de pêcheurs, c’était une ville pleine de bars, de bordels avec un bidonville dans lesquels survivent des travailleurs indigènes exploités venus des montagnes. Arguedas nous décrit à travers ses personnages la vie dans cette métropole, le bruit qui y règne, la nature (et les mouettes et les chiens).  Chimbote est une ville « laide », sans visage et sans véritable histoire, et un melting pot suite à la rencontre de ceux d’en bas et ceux d’en haut (de la sierra – la main d’œuvre peu cher). Indigènes vs « créoles ». Le renard d’en haut – la sierra. La sierra : pentes vertigineuses, vallées noyées d’ombre, fleuves tourbillonnants qui creusent le roc comme une blessure. Le renard d’en bas – la côte.

https://diariodechimbote.com/2022/08/12/en-cuenca-del-rio-santa-estudian-seguridad-hidrica-y-retroceso-glaciar/

Récit « saccadé et plaintif« , « roman raté » – c’est l’auteur qui le dit lui-même dans ses journaux.

Le lecteur que je suis est un peu désemparé avec un zeste de perplexité face aux scènes qui se succèdent (parfois longs, parfois plus court), souvent empreints des ou calqués sur les mythes andins (qui nous sont inconnus/étrangers). Un moment de lecture peu attentionné (la lecture est « exigeante« ) et on peut se perdre dans ce dédale de changements de personnages en métaphores d’un « renard » ou vice-versa, ainsi que de sauts de puce des chapitres.

https://www.somosperu.org.pe/lugares-para-visitar-en-chimbote/

Curieux je suis d’entendre les avis de mes collègues du jury face à cet auteur qui connaissait mieux que tout autre la culture quechua et qui a eu des flamboyants dialogues/controverses polémiques sur l’Ecriture notamment avec Julio Cortazar et Vargas Llosa.

Publié dans Livres, Traduction | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

Le Convoi

Récit lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 (et de notre « jury » Shadow-Cabinet Inter). Livre emprunté à la bibliothèque de Biviers.

Présentation par l’Editeur (Flammarion)

« Il aura fallu quinze ans de cheminement incertain, une enquête menée aux confins de mémoires étiolées, pour retrouver une image sur laquelle j’espérais figurer, puis pour chercher mes compagnons de fuite. Quinze ans pour m’autoriser enfin à écrire cette histoire. La mienne et à travers elle, car il s’agit bien de me réinscrire dans un collectif, la nôtre, l’histoire des enfants des convois. »

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.
Treize ans après les faits, elle entre en contact avec l’équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l’Italie et l’Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes.
Le génocide des Tutsi, comme d’autres faits historiques africains, a été principalement raconté au monde à travers des images et des interprétations occidentales, faisant parfois des victimes les figurants de leur propre histoire.
Nourri de réflexions sur l’acte de témoigner et la valeur des traces, entre recherche d’archives et écriture de soi, Le convoi est un livre sobre et bouleversant : il offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Il m’est difficile de donner un avis (tranché) sur ce livre – tant il est personnel. En même temps il s’adresse à nous tous et demande à être lu.

C’est le récit d’une survivante – par ailleurs, Beata Umubyeyi Mairesse fait souvent référence aux (ou le parallèle avec les) survivants de la Shoa, donc pas étonnant (même le titre fait penser à cette extermination) que BUM se demande : Comment parler des horreurs vus/vécus. [environ 1 million (1.000.000 !!!) de personnes ont été tuées/massacrées) ].

Récit qui se limite toutefois pas au seul « témoignage ». Il est étoffé par pleins de questionnements : notamment sur le devoir de la mémoire, l’oubli et la difficulté de reconstituer des faits (des décennies plus tard), la manière selon laquelle les occidentaux regardent l’Afrique (le Rwanda), notamment à travers les photos prises à l’époque.

En 2016 déjà, l’écrivain, compositeur et rappeur franco-rwandais Gaël Faye a rappelé au public français « l’épisode » Rwandais dans un livre quasi-poétique (« Petit Pays » – désignant aussi bien le Burundi que le Rwanda) dans lequel il évoque – du haut de son enfance – le génocide perpétré contre les Tutsi.

Beata, elle avait, aux moments des « faits » 15 ans. Elle était donc encore quasiment un enfant, mais montre une indéniable maturité rare pour une adolescente. Trente ans après elle fait le récit – plutôt astucieusement structuré de sa fuite vers le Burundi avec l’aide de Terre des Hommes, une ONG suisse, qui organise des convois pour sortir des enfants du Rwanda (avec l’autorisation du gouvernement Hutu de l’époque). [les grands chapitres au sein desquels B.U.M. navigue entre 1994, 2019, 2021, 2022, 2023 – Nice, Bordeaux, la Suisse…… sont : « Quatre photos » (dont celle de la 1ere de couv’), « Le temps du témoignage« , « Terre des Hommes » (et la des description des trois convois organisés par TdH), « L’heure de nous-mêmes« ).

Les sources cités sont innombrables. Vous entrez sur un moteur de recherche les termes Tutsi, Hutu, génocide – et cela fait ressurgir des pages innombrables sur ce qui s’est passé dans ce bout de terre. Human Rights Watch : Rwanda : Publication d’archives sur le génocide; Le Rapport La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) – Rapport remis au Président de la République ; Hélène Dumas, Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006) …. et j’en passe. B.U.M. n’écrit pas pour nous faire pleurer, mais pour relater le plus justement possible UNE fuite (la sienne) et pour poser une première pierre pour un mémorial pour les enfants des convois, puisqu’elle pense « qu’il est plus que temps de prendre la parole pour raconter NOS histoires, légender NOS photos… » (en non pas la parole des Autres, des journalistes, politiciens, photographes…)

A propos légender des photos : la photo ci-dessous montre selon Beata U.M. un camp de réfugiés hutu (la légende ne parle « que » de « réfugiés » ; pour BUM on peut être certain qu’il y a également des génocidaires parmi ces réfugiés hutu). Le public qui voit cette photo « confondra donc Hutu avec les Tutsi, donc avec ceux qui ont été les victimes du génocide orchestré par les Hutus) …. « Ces albums ont hérité de la dialectique des médias, les images ayant tendance à réactualiser les stéréotypes les plus irrépressibles » (Nathan Réra « Rwanda, images du désastre, du temps de l’information au temps de la mémoire »)

A refugee camp in Benako, Tanzania swells with Rwandan refugees in 1994, but amid the desolation and despair, the shining face of a child gazes adoringly at her mother. (Sebastiao Salgado/ Amazonas Images)

Pareil pour la photo ci-dessous : Beata U.M. : « homme était un Hutu démocrate qui avait été attaqué par des miliciens hutu pour avoir refusé de participer au génocide » – mais le photographe Nachtwey (qui a reçu un prix pour cette photo) ne dit rien sur les faits sus-jacente à cette photo, et on « mélange » Hutu/Tutsi sans se poser trop de questions (vu que l’horreur dans ces pays là est la conséquence d’une haine quasi-« traditionnelle »).

Au plus fort des troubles rwandais de 1994, un survivant d’un camp de la mort hutu pose pour James. © James Nachtwey/Contrasto
Le même homme photographié par Jean-Marc Bouju qui lui a légendé sa photo avec l’information citée par B.U.M.

C’est que l’occident, par ailleurs à l’époque les yeux rivés davantage vers les Balkans et les 1eres élections en Afrique du Sud, a souvent essayé d’expliquer le génocide rwandais par des haines traditionnelles /ancestrales – ce qui, pour paraphraser B.U.M. – reviendrait à expliquer la Shoa par une « lutte interethnique » entre « Aryens et Sémites ».

La lecture est par ailleurs ravivée par la « remontée » du pays Rwanda sur le devant de la scène internationale, suite à l’intention de la Grande-Bretagne de renvoyer des demandeurs d’asyle par avions dans ce pays.

Récit à lire notamment pour ses réflexions sur la question de comment transmettre la mémoire (ainsi que du piège qu’est la transformation des souvenirs dans sa tête), le droit à l’image, et de se rappeler des responsabilités des pays occidentaux (notamment la France) dans ce génocide. Avec quelques passages durs (mais moins que ce que j’avais craint).

Publié dans Livres, Photo | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 2 commentaires

Fantastique histoire d’amour

Livre lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 – et de notre club de lecture « Shadow Cabinet Inter ». Encore un roman que je n’aurai pas lu s’il n’avait pas figuré dans la liste des candidats au Prix du Livre Inter. (Ah ce titre pour ado’ !)

Présentation de l’Editeur (Seuil)

Bastien, inspecteur du travail à Lyon, est amené à enquêter sur un accident : un ouvrier employé dans une usine de traitement des déchets est mort broyé dans une compacteuse.

Maïa, journaliste scientifique, se rend au Cern, le prestigieux centre de recherche nucléaire à Genève, pour écrire un article sur le cristal scintillateur, un nouveau matériau dont les propriétés déconcertent ses inventeurs.

Bastien apprend que l’accident est en réalité un homicide. Maïa, elle, découvre que l’expérience a mal tourné. Sa tante, physicienne dans la grande institution suisse, lui demande de l’aider à se débarrasser de ce cristal devenu toxique.

Ce roman addictif qui emprunte aux codes de la série et du thriller est aussi une histoire d’amour. Une rencontre inattendue entre un homme, vaguement catholique et passablement alcoolique, et une femme, orpheline et fière, qui a érigé son indépendance en muraille.

Sophie Divry est née à Montpellier en 1979 et vit actuellement à Lyon. Elle a reçu la mention spéciale du prix Wepler pour La Condition pavillonnaire et le prix de la Page 111 pour Trois fois la fin du mondeFantastique Histoire d’amour est son septième roman. Avec sensibilité, elle allie l’art du récit et une exploration de nos sociétés contemporaines.

Encore un roman « populaire », mais contrairement à celui de Camille de Peretti avec un ton plus personnel et des personnages plutôt bien dessinés/campés et des rebondissements dans le récit plutôt réussis (avec, ce qui rend la lecture plus « addictif », des cliffhangers feuilletonesques comme dans certaines séries TV).

Sophie Divry a fait le choix de nous raconter une sorte de « polar doux » en alternance. Ca débute avec Bastien Fontaine (41 an), inspecteur de travail et incapable à surmonter le fait que sa copine Isabelle est partie. [Rompre, c’est faire d’un personnage principal de votre vie un personnage secondaire.] Le chapitre suivant c’est la jeune journaliste scientifique au chômage, Maia di Natale, qui parle. Elle vit seule [Depuis la mort de sa mère, elle avait appris à vivre avec des manques, elle ne les craignait pas. On ne peut pas combler toutes les failles dans une existence; il s’agit plutôt, entre ses interstices, de trouver son bonheur] avec un joli appétit sexuel qu’elle satisfait par des rencontres sans lendemain. Et bientôt il y aura un chat avec elle. Un chat qui m’a à un moment presque fait abandonner le livre.

« Le chat dort. Le chat s’étire. Le chat se passe la patte derrière l’oreille. Le chat miaule. Le chat court après une boule de papier jusqu’à ce qu’elle se coince sous un meuble. Le chat marche sr le clavier de l’ordinateur. Le chat veut capter votre attention. Le chat est vexé d’être posé au sol. Le chat se roule sur le dos. Le chat ronronne. Le chat dort. Qu’il est bon de vivre auprès d’un autre être vivant.

(p. 151 – début du Chapitre 12 Maïa)

Toutefois, le style alerte, simple, feuilletonesque accroche le lecteur. Il a quand-même envie de savoir comment Sophie Divry va faire évoluer son histoire « fantastique ».

Les deux récits alternants (celui de Fabien : « je »….celui de Maïa : « elle » ) vont se rejoindre dans la 2e moitié du roman – et il y aura encore trois autres personnes qui ont le droit de densifier le récit rocambolesque et fantasque, même si scientifiquement parlant, tout se tient (on parle de cristaux scintillateurs. d’un compacteur (de déchets), du CERN et du financement des travaux scientifiques). Bien entendu les deux êtres dissemblables vont se croiser, s’apprécier, s’aimer (sur le tard du roman).

Polished cut from LuAG:Ce single crystal, 44 mm in diameter under UV illumination (UV lamp in the background). 

En fin de compte je garde en tête que certains passages sont trop longs (les effets du « cristal bleu » sur Bastien prennent – pour moi – un peu trop de place et sont « redondants »). 506 pages sont finalement un peu long pour cette histoire qu’on aurait pu resserrer un peu, mais je pense que surtout des lecteurices plus jeunes que moi aimeront ce roman dont le style navigue entre simpliste, un peu trivial et à quelques reprises lyrique (notamment quand il parle de l’amour ou de la solitude – des deux « héros ») et quelques envolées contre le capitalisme (ah ces patrons méchants) et l’appât du gain. Le tout manque finalement de profondeur.

Ce n’était vraiment pas un roman pour moi (les lecteurs Babelio sont par contre plutôt positif – 3,8/5).

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 2 commentaires

L’inconnue du portrait

Roman lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 (et de notre « jury » Shadow-Cabinet Inter). Ce roman vient de recevoir le Le Prix du roman Marie Claire 2024 et avait déjà été récompensé fin mars par le Prix des Romancières 2024.

Présentation de l’Editeur (Calmann Levy)

«  La toile vibrait de beauté. Elle en avait le souffle coupé et se noyait dans l’œil bleu ciel piqueté de vert. Est-ce qu’elle était réellement le sosie de cette inconnue ?  »
 
Peint à Vienne en 1910, le tableau de Gustav Klimt Portrait d’une dame est acheté par un collectionneur anonyme en 1916, retouché par le maître un an plus tard, puis volé en 1997, avant de réapparaître en 2019 dans les jardins d’un musée d’art moderne en Italie.
Aucun expert en art, aucun conservateur de musée, aucun enquêteur de police ne sait qui était la jeune femme représentée sur le tableau, ni quels mystères entourent l’histoire mouvementée de son portrait.
 
Des rues de Vienne en 1900 au Texas des années 1980, du Manhattan de la Grande Dépression à l’Italie contemporaine, Camille de Peretti imagine la destinée de cette jeune femme, ainsi que celles de ses descendants. Une fresque magistrale où se mêlent secrets de familles, succès éclatants, amours contrariées, disparitions et drames retentissants.

L’idée de départ (un peu comme pour « La jeune fille à la perle » de Tracey Chevalier – ou « Moi, Mona Lisa » de Jeanne Kalogridis ou encore « La dormeuse de Naples » (Ingres – Adrien Goetz) donne envie – et on ne peut que tirer son chapeau face à l’imagination débordante et indéniable de Camille de Peretti.

Toutefois, au fil des pages, ce roman ne se déroule, à mon regret, non pas autour de Klimt et son travail mais se focalise sur la femme portraitée à Vienne, son fils Isidore parti aux USA devenu richissime et sa « descendance » pour ensuite devenir une saga familiale avec des allers-retours dans le temps (1910, 1917/18, 1927- 1929, 1969, 2019) et une multitude de coïncidences et hasards égrenés par la plume légère de Camille de Peretti.

J’ai souvent pensé à des auteurs tel que Donna Tart et/ou Joël Dicker et la littérature « populaire » à l’américaine qu’ils pratiquent, et qui n’est pas vraiment mon rayon.

Portrait d’une dame Gustave Klimt (1916/1917) Musée d’Art moderne Ricci Oddi de Plaisance – une étudiante en art a démontré dans les années 90 – rayons x à l’appui – que le portrait de gauche a été peinte sur celui de droite. Camille de Peretti choisit une des hypothèses de cette modification….

Dans une écriture somme toute assez classique, Camille de Peretti saisit l’occasion pour parler de la mainmise des riches sur leurs « bonniches », de la crise de l’année 1929 (le vendredi noir du 24.10.1929) et ses conséquences (il y a toujours qqn qui profite du krach des autres), de l’amour d’un orphelin à priori pauvre pour une jeune fille de la Haute, d’un 1er profilage génétique afin de prouver une paternité, l’ascension sociale d’une jeune femme (Pearl), la visite de quelques musées New Yorkais. On aura même un cours de technique boursière….

Crowd of people gather outside the New York Stock Exchange following the collapse of the financial markets on October 24, 1929. File Photo by Library of Congress/UPI

Contrairement à vagabondageautourdesoi [« Si vous aimez l’art ou les sagas, ne passez pas à côté !« ] je n’ai donc pas été captivé (mais c’est vrai, je ne lis pas souvent des sagas).

Par ailleurs, les critiques sur Babelio (4,4/5) illustrent bien que je suis loin du mainstream positif autour de ce livre, je dois être un peu bouché sur les bords ou davantage être attiré par des romans plus fouillés stylistiquement ou qui me touchent émotionnellement. Là, ça sentais trop le fabriqué pour moi, mais, j’avoue, avec du talent, on ne voit pas du tout les « coutures » (j’ai cherché pendant un petit moment et en vain des informations sur le groupe Chloros, « en 2022 le troisième plus grand groupe de produits cosmétique et d’hygiène au monde« . Elle m’a bien eu cette chère Camille !!)

Je suis donc admiratif devant la profusion d’idées de Camille de Peretti. Elle offre au lecteur qui a envie de s’évader pleins de fils narratifs imbriqués « génétiquement » autour du tableau. Elle a, cela se sent aussi, bien compulsé une grande documentation.

Cependant, à mon goût, elle n’a pas réussi à rendre vraiment vivants et crédibles les personnages qui restent (encore une fois pour moi) des stéréotypes.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 3 commentaires

La foudre

Lecture dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 (et de notre « Shadow Cabinet Inter »)

Présentation (résumé) de l’Editeur (P.O.L.)

La Foudre est un roman de la passion amoureuse et de la sidération. C’est aussi un roman qui s’inscrit dans la tradition du nature writing américain. John, le narrateur, une trentaine d’années, est berger dans le Haut-Jura. Chaque année, il passe cinq mois dans un chalet d’alpage pour garder un troupeau de brebis. Il arpente les forêts de hêtres et d’épicéas de la vallée, croise toutes sortes d’animaux sauvages : renards, chamois, lynx.

John découvre dans le journal un fait-divers impliquant un certain Alexandre Perrin, accusé de meurtre. Alexandre, son ami de lycée, devenu vétérinaire, écologiste et militant de la cause animale, a tué un de ses voisins, un jeune chasseur de vingt ans. Une bagarre qui a mal tourné. Alexandre a été arrêté et placé en détention provisoire. John, troublé, va quitter son refuge et tenter d’en savoir plus. Il prend contact avec Nadia, la femme d’Alexandre, avec qui il était également au lycée. Il se retrouve alors entraîné dans une histoire passionnelle inattendue qui va bouleverser sa vie.

Alexandre est en prison et attend son procès. Son crime pousse John à revisiter ses années de jeunesse. Ils sont heureux avec Héloïse sa compagne, avec qui John projetait de s’installer à la Réunion. Pourtant, le meurtre commis par son ami et sa complicité naissante avec Nadia vont l’entraîner là où il n’imaginait pas aller. Nadia réveille chez lui quelque chose qui semblait enfoui, elle ravive son désir. Il a l’impression d’une renaissance. Aussi, ses projets avec Héloïse lui apparaissent de plus en plus improbables. La culpabilité de son ami tourne pour lui à l’obsession, à mesure que son désir pour Nadia s’accroît. Il suit l’audience au tribunal de Lyon, quitte Héloïse et reste dans le Jura tout en vivant sa liaison amoureuse avec Nadia. Jusqu’au jour où Alexandre sort de prison et retrouve sa femme et ses enfants auxquels John s’est attaché. La situation devient critique et orageuse, tandis que Nadia semble s’éloigner de lui.

Beaucoup est dit dans ce résumé, mais pas la « manière de ».

Je n’avais pas envie de (re-)lire Pierric Bailly. Les précédents ouvrages lus (tous dans le cadre d’un Livre Inter (il y semble abonné) : « L’homme des bois » en 2017, « Les enfants des autres » en 2020, « Michael Jackson » (en 2011) ne m’avaient pas laissé de traces particulières.

Après une cinquantaine de pages sur la vie de Julien (John) en tant que berger dans le Jura (belles descriptions des paysages, mais loin de ce que j’appellerai « nature writing« ). Je n’arrêtais pas de me dire que je n’en avais rien à cirer de ce garçon/ cet homme. Mais d’un coup (de foudre ?), et je ne sais pas encore tout à fait pourquoi, j’ai ressenti un revirement intérieur ou une sorte d’attachement au(x) personnage(s) et au récit voyageant entre passé et présent et les divers hypothèses d’un avenir.

Copyright : Gilles Lansard

Est-ce uniquement le contact de Julien avec Nadia, la femme de son ancien ami de lycée, Alexandre (emprisonné), la description assez documentée et réaliste, genre « Anatomie d’une chute », du procès d’Alexandre (p. 206 – 282), les sentiments naissants de Julien pour Nadia, ses hésitations à changer de vie (rester ou aller à la Réunion avec Héloïse ?) Ou est-ce « uniquement » ce style d’écriture mélancolico-douce-amère qui passe, de plus, allégrement de la revisitation du passé et de l’influence d’Alexandre sur la vie de Julien [« l’influence de ce type sur ma vie est démente. » (p. 391)] et les fils qui relient la vie de Julien/John au passé, ce passé qui nous dessine et prédétermine souvent.

C’est ça la bascule de la quarantaine. La période de l’enfance et de l’adolescence qui s’amenuise. Non seulement on s’en éloigne, mais au regard de tout ce qu’on a vécu ensuite, l’enfance et l’adolescence paraissent de plus en plus concises. Ça reste des moments fondateurs mais des moments qui n’ont pas duré aussi longtemps qu’on le pensait.

J’ai finalement lu le livre quasiment d’une traite avec l’envie de connaître la suite, les choix de Julien.

Je baigne depuis quelques jours dans ce climat que je pourrais qualifier de nostalgique, non, ce n’est pas de la nostalgie, un climat entre tristesse et ennui, appelons ça un léger cafard, et c’est encore de sa faute à lui, j’en suis sûr. C’est lui qui m’a mis tout ça dans la tête, quand il a commencé à parler de nos adolescences et de nos enfances qui rapetissent à mesure qu’on avance dans la vie. D’un point de vue arithmétique, on ne peut pas lui donner tort. Mais bizarrement, en ce qui me concerne, j’aurais presque l’impression inverse, l’impression que plus je vieillis et plus mon enfance et mon adolescence accroissent leur territoire.

Et j’ai aimé certaines pensées – en écho à ce que je (me) dis parfois aussi.

Celui qui croit gérer ses émotions en vient le plus souvent à les nier. Les miennes, je les exprime.

Finalement un livre ou plutôt une histoire tissée de plusieurs fils, mais faite d’une somme de presque riens : la montagne, Lyon, la Suisse (une usine d’horlogerie), les moutons, la vie d’un berger, les chiens, les souvenirs d’adolescence et d’un grand-père étonnant, le coup de foudre, la perte d’amour….

Il n’y a à proprement parler pas d’évènements exceptionnels, juste les petits moments de la vie quoi, autour d’un homme qui flotte, qui se laisse – j’ose dire – « balader » (Julien fait du bien à Nadia, et elle en profite) dans cette belle région du Jura. Un Julien qui, comme dirait l’autre, « vit intensément, malgré les questionnements que ça lui pose, il écoute son cœur plus que son esprit... »

C’est vrai, les personnages du roman – les Julien/John, Nadia, Héloïse et les autres – nous deviennent familiers et réapparaissent même encore parfois, dans un moment de flottement, une fois le livre rangé dans la bibliothèque, ou mis en voyage chez un(e) autre « Shadow Cabinetiste« .

Malgré nos trois années communes au lycée, Nadia ne me voit pas comme une figure du passé mais comme celui qui l’aide à s’en extraire. Le passé est incarné par Alexandre. Moi, je représente l’avenir.
Je ne sais pas si elle me préfère à lui, si elle préfère ma personnalité à la sienne, mon corps au sien, mais je suis sûr d’une chose, c’est qu’elle préfère la vie qu’elle mène avec moi.
Je sens que je lui fais du bien. Elle me dit qu’elle est heureuse quand on est tous les deux, et qu’elle est amoureuse. De là à dire que lorsqu’elle est avec moi, elle est uniquement avec moi, c’est évidemment un peu simpliste. C’est impossible. Mais elle ne me considère ni de près ni de loin comme un duplicata, un pastiche, une contrefaçon ou une caricature d’Alexandre. J’ai l’air au contraire de l’en détourner, de l’en distraire.
Pourtant, il est toujours là.

istock

Dernières phrases :

J’attends un signe. J’attends la lumière au bout du tunnel, et je crois l’apercevoir, un flash, mais elle ne tient pas. Lueur d’espoir, et tout redevient noir. Ça cogne de plus en plus fort. J’attends un coup de fil. Depuis plus de sept ans j’attends que Nadia m’appelle. Je commence à en avoir marre. Je commence à avoir froid. Nouveau flash, je me lève.
J’attends la foudre.

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , | 4 commentaires

L’enfant dans le taxi

Roman lu dans le cadre du Livre Inter 2024 (et de notre « Shadow Cabinet 2024 »)

Je n’avais encore jamais lu un livre de Sylvain Prudhomme – et je dois dire que je l’avais à maintes reprises dans la main, et le titre ne me disait rien. Là j’étais obligé de le lire – une belle surprise émotionnelle. Un roman de (fin d’) amour et d’une quête.

C’est à l’occasion de l’enterrement de son grand-père, Malusci, que le narrateur-écrivain (Simon – Sylvain P révèle-t-il un pan de son histoire familiale ?) apprend par la bouche de son oncle Franz que Malusci avait un enfant M. en Allemagne (près du Lac de Constance – Bodensee (Le lac-sol. Le lac-terre. Lac soubassement. Lac fond (p. 98) – remarque : très content par ailleurs que contrairement à d’autres (je nomme ici Calmann Levy/ Peretti) les Editions Minuit ont soigné l’exactitude de l’orthographe des qqs phrases et mots en allemand). Et parlant d’Allemagne, c’est là que débute, par une scène (imaginée par le narrateur, mais de toute beauté) le roman en 1946  (un Français – force d’occupation – et une allemande se joignent pour faire l’amour).

Après la révélation faite par son oncle Franz, Simon va commencer à enquêter plus ou moins activement pour en savoir plus sur cet enfant. Il va par ailleurs, dans ce cadre, essuyer les foudres de sa grand-mère et désormais veuve Imma qui lui interdit d’entrer en contact avec l’enfant illégitime. Secret de famille quand je te tiens…. Je peux la comprendre un peu cette Imma (elle a dû ravaler de ces couleuvres au cours de sa vie (heureuse, hem), en constatant que son mari continue – dans son dos – d’entretenir une relation épistolaire (seulement ?) avec la mère de son « bâtard », sans pouvoir en parler.

Se rajoute à la quête de notre narrateur qu’il est en train de se séparer de sa compagne (après 20 années de vie commune et de deux enfants). Séparation qui se fait avec beaucoup de respect et d’amitié (certainement un brin d’amour aussi, le désir semble encore intact – mais on ne sait pas exactement pourquoi ils se séparent…- juste que c’est devenu « impossible ») – Certains en rêveraient d’une séparation aussi douce.

Lac de Constance – Bodensee

Périodes de regrets et de mélancolie – des dernières fois/ des premières fois « sans » ajoutent des gouttes de Vermouth dans le verre de solitude. Dans ce contexte j’ai bien aimé l’épisode « italienne » avec une certaine Veronika.

Les 217 pages égrènent les diverses voies tortueuses d’une quête ou exhumation des origines, mêlées avec de beaux portraits de personnes d’un certain âge ou de leur environnement :

« Une table facile à nettoyer commode simple puisque c’était la recommandation suprême de la mère, il faut vous simplifier la vie mes enfants. Une table simple efficace pratique comme étaient simples efficaces pratiques les grands carreaux gris au sol, les plaques à induction sans aspérité et chaque objet choisi pour meubler cette maison elle-même dessinée de façon à ce que tut y soit simple efficace pratique…….. Je veux vivre dans le présent Simon tu comprends.  » (p. 87)

Des réflexions sur le couple et en fin de compte surtout, de manière sous-jacente, la fâcheuse manie de certaines familles de garder sous le tapis des « secrets » qui n’en sont pas pour d’autres mais qu’on préfère taire

Puisque depuis toujours dans l’ordre des familles le crime c’est de parler, jamais de se taire.

Jamais toutefois Simon se révolte (contre sa grand-mère p.ex.) lors de sa recherche d’une possibilité de faire entrer M., le bâtard, l’enfant illégitime, mais quand-même le « frère » « manquant » disparu dans l’oubli ou plutôt le déni.

Tout ça c’est dit avec une construction magnifiquement imbriquée :

Les scènes imaginée de la rencontre du Français avec l’allemande qui sera la mère du futur enfant bâtard, les entretiens avec ceux qui savaient (ou faisaient), la vie de Simon avec ces deux enfants (qu’il garde en alternance), les réflexions, les quelques (dernières) épisodes de la vie à 4 avec sa bientôt ex-compagne …. et tout cela dit/écrit dans une belle langue douce, délicate et mélancolique. (j’ai juste eu besoin d’une petite période d’accoutumance au style particulier de Sylvain P. (page 19 à 38)).

N’oublions pas non plus l’information glissé sur les pages 182 – 185 – et la litanie des personnes qui cherchaient père/mère/enfant qu’il y avait entre 15000 – 20000 enfants de mère allemande et de père soldat ou fonctionnaire des autorités d’occupation.

Chanson qu’écoute Simon écoute dix fois par jour depuis des semaines (p. 166) – Un amour qui s’en va (de nous)

J’espère que je n’ai pas trop dit. Je répète juste que j’étais (étonnamment) ému par certains passages et par le ton simple (et parfois proche d’un S. Tesson) les sujets traités du roman.

J’ai continué à suivre la direction Aubagne, me suis faufilé parmi la succession de ronds-points et de parkings constellées de voitures, de magasins en tôle et en plastique, de panneaux publicitaires, de bretelles d’entrée et de sortie vers des zones d’activités comme il en pullulait toujours dans le coin. J’ai pensé, comme souvent depuis des années, que ce ne serait pas une grande perte le jour où l’humanité s’autodétruirait enfin, délivrant l’univers de sa vulgarité. (p. 171)

Cette nuit-là nous nous sommes couchés l’un près de l’autre sous la tente, les enfants endormis déjà, leur respiration nettement audible, profonde, familière, d’une douceur…(…)… A. collé dans mon dos, son ventre contre moi. Nous sommes restés sans rien dire d’abord, serrés, proches. Puis A. a dit que c’était une belle soirée. Qu’elle espérait que nous nous aimerions toujours, quoi qu’il arrive. J’ai senti son bras que se soulevait pour m’envelopper, se poser sur moi, m’enlacer. J’ai pris sa main dans la mienne, l’ai caressée doucement, j’ai dit oui. Que c’était une belle soirée. Que moi aussi j’espérais que nous réussirions ça. …(p. 70 – 71)

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , | 1 commentaire

Ceux qui appartiennent au jour

Lecture dans le cadre du Prix du Livre Inter. Notre « Shadow Cabinet Inter » (qui existe depuis désormais une bonne douzaine d’années – depuis 2010 en fait) organise régulièrement des apéros ou rencontres pour échanger les livres (et des impressions sur les lectures afin d’aiguiser les argumentations pour le 2 juin.). Le livre ci-présent m’a été prêté par Nadine C. (merci !)

C’est le premier roman d’une franco-néerlandaise : Emma Doude van Troostwijk (E.D.v.T.), née en 1999.

Présentation de l’Editeur (Les Editions de minuit)

« Je voulais raconter ça, l’histoire d’une famille de pasteurs qui perd la mémoire. Traiter d’un drame, avec le plus de lumière possible. »
E. D. v. T.

Le temps d’un séjour de quelques semaines dans sa maison d’enfance, la narratrice raconte ses retrouvailles avec sa famille, où, depuis trois générations, hommes et femmes ont choisi le métier de pasteur. Mais quand elle arrive, quelque chose de cet ordre ancien s’est profondément déréglé.

Petit livre (175 pages très aérées) dans lequel l’autrice décrit délicatement, parfois poétiquement un petit monde familiale « qui perd la mémoire » (père, mère, grands-parents – Opa et Oma – ainsi qu’un frère). C’est d’ailleurs avec un grand sourire que j’ai lu (p. 38) une référence au beau livre de Anne Pauly « Avant que j’oublie » (livre toujours ouvert depuis des semaines « à l’éternelle même page 10 » (Prix du Livre Inter en 2020), qui a traité – avec une veine un peu plus « comique » – les relations d’une fille avec son père décédé.

Le roman, en trois actes (ou grands chapitres I, II et III) montre déjà dans sa mise en forme – des petits paragraphes, parfois juste deux phrases – souvent bilingues, frç et néerlandais, sur une seule page – qu’il s’agit de « recoller des morceaux« , des bribes, instantanés de souvenirs comme une sorte de jeu de Memory (dont la famille joue – la métaphore est soutenue -, et que le grand-père/Opa n’arrive plus à faire). Donc nous aussi on « recolle » les images et remplissons les vides, le non-dit entre les lignes.

« Le français dit un pense-bête. le néerlandais dit un appui mémoire. Een geheugensteuntje. (p. 57) »

Laps

Le titre, Ceux qui appartiennent au jour, semble être une traduction (mot à mot) d’une expression néerlandaise qui veut dire : ils ne tiennent qu’à un fil. Tout est fragile mais le fil est très fort et tient grâce à un amour conjugal (et entre frère et sœur), avec comme nœud inextricable les mots de la bible.  

« Le Français dit qu’un ange passe. Le Néerlandais dit qu’un pasteur se promène. Er gaat een dominee vorbij. » (p. 162)

C’est que le grand-père (Opa) et le père ont passé le « virus » au fils pour exercer le ministère du culte. Seulement, le fils est pris à quelques jours de son ordination, de doutes sur sa croyance. Style sobre. Entrelardé de quelques mots en néerlandais dont le sens est soit traduit ou compréhensible à partir du contexte. Ce qui donne une certaine épaisseur multiculturelle – on ne sait pas pour quelle raison la famille a quitté les Pays-Bas pour vivre en France.

Pour avoir une idée de l’écriture voici un extrait un peu plus long :

Depuis quelques jours, Papa accroche des Post-it sur la surface carrelée au-dessus de la gazinière. Il y a un code couleur. Les Post-it verts pour les événements de la semaine à venir. Les jaune fluo pour ceux des semaines passées. Les orange pour ne pas oublier de dates importantes. Rendez-vous chez le médecin. Anniversaire de mariage. Ordination de Nicolaas. Des dizaines d’images du quotidien en noir et blanc, par souci d’économie d’encre, encerclent les annotations. Sur une photo, le petit déjeuner de dimanche dernier. Sur l’autre, Opa devant le temple, avec comme commentaire : il a quatre-vingt-onze ans dans cinq jours. Les Post-it roses c’est pour les blagues. Des mauvais jeux de mots avec des noms de famille. Rendez-vous à dix heures avec monsieur Couillon (au lieu de monsieur Coullon). Prendre ses anti-dépréciateurs. Ne pas oublier que les clés sont accrochées à l’entrée, à côté de ma tête. Le cerveau de mon père est affiché en patchwork sur le mur gras de la cuisine du Presbytère. (p. 91/92)

Un livre comme une « nature morte » vivante et empreinte de tendresse. L’autrice aurait dit comme elle le fait dans le roman plutôt « vie silencieuse » (le terme néerlandais « Stilleven » correspond à celui en allemand « Stillleben« ). Assez original mais qui ne m’a pas touché comme je l’aurais aimé.

Malgré le sujet un peu tristounet qu’elle arrive à rendre lumineusement optimiste. Ce que l’amour filiale peut faire. Avec ou sans bible.

ALEXANDRE HOLLAN, VIE SILENCIEUSE, 2020, COURTESY GALERIE LA FOREST DIVONNE PHOTO © ILLÈS SARKANTYU

« Il ne faudrait pas dire nature morte. Il faudrait dire vie silencieuse. Stilleven. »

Publié dans Livres | Tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , | 3 commentaires