Vers la violence

Lu dans le cadre du jury Shadow-Cabinet (nous lisons les 10 livres candidats au Prix du Livre Inter et élisons – avec un buffet champêtre – « notre » Livre Inter).

Présentation de l’Editeur (Fayard)

Fort et fantaisiste, Gérard illumine l’enfance de sa fille, Lou. Mais il traîne avec lui des secrets et des fantômes. Est-ce de là que surgissent ses subits accès de cruauté, qui exercent sur Lou fascination et terreur?
Vers la violence rappelle comment nos héritages nous façonnent, entre chance et malédiction.

«  Il ne m’avait pas légué la douceur, la confiance ni la foi. Pourtant  j’héritais de lui les trois choses auxquelles je tenais le plus au monde. J’héritais de lui l’absence, la joie et la violence.  »

Plus grand que la vie, Gérard illumine les jours de sa fille, Lou. Fort et fantaisiste, ce baby-boomer aux allures d’ogre ensorcèle tout : les algues deviennent des messages venus des dieux, les tempêtes des épreuves militaires, ses absences des missions pour les Services Secrets. Mais que fait cette arme dans la table de nuit  ? Qui sont ces fantômes d’une famille disparue, surgissant parfois au détour d’une  conversation, dans un silence suspendu  ? D’où viennent, surtout, ces accès de cruauté — ceux-là même qui exercent sur sa fille fascination et terreur  ?

A travers l’histoire d’une enfance trouble, dans ces paysages de l’ouest français où la mer et la forêt se confondent, Vers la violence rappelle comment nos héritages nous façonnent, entre chance et malédiction.

 » De manière générale , Gérard n’aimait pas que je m’amuse avec d’autres que lui. Il consentait bien sûr à ce que je passe du temps avec des escargots, mais n’appréciait pas l’idée que j’aie des amis. Dès mes 6 ou 7 ans, il prit en grippe les autres enfants, à qui il trouvait, sans les connaître, des défauts imaginaires et qu’il dénigrait gratuitement, sans égard ni rai son. Gérard voulait que mon esprit lui appartienne : rester maître de mon royaume.« 

3e roman de l’auteure (je n’en avais lu aucun, et je n’avais pas trop envie de le lire, après l’avoir vu dans l’émission « La Grande Librairie » en 2022. Là j’étais « obligé »).

Comment la fascination et admiration d’une enfant pour son père, qui l’éduque « à la dure », peut se muer au fil des années à une quasi-terreur.

Roman donc au centre duquel il y a la relation « père-fille » – sujet à priori intéressant pour moi qui voue une admiration (totale) pour ma fille. Mais comme ce père-là, je ne suis pas un « affabulateur », je n’ai pas perdu 2 enfants d’une 1ere union, je ne suis pas policier ni marin, ni mi- anarchiste sur les bords non plus.

J’ai beaucoup aimé la 1ere partie qui évoque par petits pas une relation (qu’on pourrait tout à fait décrire de) toxique. Fans ce début, la narratrice est encore jeune. C’est par son entrée en adolescence – et sa vie d’adulte que je commençais à perdre mon à priori positif, même si le « mal-être » de Lou, la narratrice, transpire par toutes les lignes, écrites, de plus, dans une langue qui manie à la perfection les métaphores surprenantes, les expressions peu vues ailleurs. Décrire p.ex. le pas chancelant d’une personne en utilisant l’image d’une quille qui vacille, et ne sait si elle tombe ou pas… m’a surpris.

Il n’a jamais frappé ma mère, mais : l’a menacée de disparition, traitée de connasse et de vioque une bonne centaine de fois, a tendu son poing au-dessus d’elle, lui a agrippé les seins de colère et d’excitation mêlées dans la cuisine, lui a rappelé qu’elle n’était pas bonne à grand-chose, puis lui a rappelé le contraire, qu’elle pouvait tout faire, qu’elle était bien plus intelligente et talentueuse qu’elle n’osait se le figurer. L’a comblée et humiliée, parfois dans une même phrase, un même geste, l’a tordue. Une seule chose était certaine : sans lui, elle ne s’en sortirait pas.

Ce qui est « embêtant » quand on a (finalement) envie d’aimer un livre (aussi après avoir entendu par mes amis/co-membres de notre jury Shadow-Cabinet des oh! et ah!, « émouvant », « mon préféré de la liste ») c’est qu’on a l’impression de lire un livre pas si « nouveau » que ça, que d’autres ont traité le sujet « encore mieux » (je pense p.ex. à « Sa préférée » de Sarah Jollien-Fardel) ou à certains livres de V. Despentes qu’elle cite par ailleurs dans son roman.

Peut-être c’est aussi parce que je suis un homme que j’avais un peu de mal de me mettre dans la peau de cette femme marquée à jamais, et pourtant j’aime la danse qu’elle pratique.

Auprès et loin des villes, auprès et loin de la mer, auprès et loin de la violence, auprès et loin de mon père, j’avais appris – comme l’apprennent tos les déplacés et les incertains – l’art du grand écart. Devenir danseuse dans ces circonstances avait coulé de source.

Danser : une logique d’écartèlement, d’incapacité à se fixer, de non-aptitude au repos.

Danser : l’art des changements permanent et de l’immatérialité……Danser, c’était se savoir banale et rare, brûler de l’intérieur, s’élargir sans le montrer. C’était laisser sa vvie intérieur s’ensauvager et dicter la loi : laisser tous les non-dits s’exprimer en mouvements, tout remonter à la surface de la peau et vibrer. (p. 237)

Pour souligner le désaxement (dû à ce père) de la narratrice il y aura aussi une petite excursion au « sommeil indien » (jeu d’asphyxie). Enfin, le père, aura également droit à la « parole » [des mots griffonnés « Pour ma défense » (1/3; 2/3 ; 3/3) (Gérard par Gérard, notes pour autobiographie)] qui donnent un petit éclairage du point de vue de l’Homme mais qui ne changent pas la teneur ou le propos du livre.

Somme toute j’ai donc un avis mitigé. Je ne le mettrais pas sur le podium de notre prix (et ne le vois à priori pas non plus couronné du Prix du Livre Inter 2023).

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GPS

Présentation de l’Editeur (P.O.L.)

Ariane est une jeune femme en difficulté sociale et personnelle. Elle préfère rester cloîtrée chez elle, jusqu’au jour où Sandrine, sa meilleure amie, l’invite à ses fiançailles. Pour l’aider à se repérer et lui permettre d’arriver à bon port, Sandrine partage sa localisation avec elle sur son téléphone. Guidée par le point rouge qui représente Sandrine dans l’espace du GPS, Ariane se rend donc aux fiançailles. Mais le lendemain, Sandrine a disparu. Elle ne répond plus au téléphone. Aucune trace d’elle. Sauf ce point GPS, qui continue d’avancer. Et qu’Ariane ne va plus quitter des yeux. Le GPS lui procure un sentiment de proximité avec Sandrine. Comme si elles partageaient un secret. Jusqu’à la découverte d’un cadavre calciné au bord d’un lac où le point GPS de Sandrine s’est rendu. S’agit-il de son cadavre ? Mais le point bouge encore. Qui est derrière le point alors ? Ariane enquête mais toutes les pistes sont des impasses. Plus troublant encore : le point sur le GPS persiste à conduire Ariane sur les lieux de leur amitié. Pour en avoir le cœur net, elle laisse un message vocal à Sandrine pour lui donner rendez-vous dans un lieu qu’elle seule peut connaître. Lorsque le GPS indique que Sandrine se rend dans ce lieu, Ariane est persuadée de s’être jusque-là trompée. Sandrine n’est pas morte ! Le point est bien son amie. Mais elle commence à confondre le monde réel et le support numérique. La police révèle alors que Sandrine est bien morte, Ariane désactive la localisation partagée. Elle tente de reprendre le cours de sa vie et d’oublier le GPS. Mais une nouvelle notification l’interrompt : Sandrine souhaite à nouveau partager sa localisation avec elle. Pour un ultime rendez-vous.

Écrit comme un thriller, ce roman, sur l’amitié et la mort, sur les fragilités sociales et psychiques, traverse les illusions du deuil à l’aune de nos addictions numériques.

Bizarre ? Vous avez dit bizarre ?

Pour être honnête – jusqu’ici le seul livre de la sélection du Prix du Livre Inter 2023 qui m’est tombé des mains. Le pitch est formidable et ça démarre plutôt bien (une journaliste spécialiste en « faits divers » au chômage sera invité par sa copine Sandrine aux fêtes de fiançailles de celle-ci, et le lendemain la belle fiancée aura disparue….), même si le style de l’auteure m’a peu enthousiasmé. Ensuite, je me suis perdu dans les méandres du GPS d’Ariane (quel drôle de nom trop appuyé déjà – on en perd le fil Ariane …tzzz) et des messages de Sandrine. Et que ça zoome, se pixellise et suit des points….

Il y a tout de même parfois un ton, une musique triste « en toi, l’ancrage des différents couleurs ne coïncide pas exactement. Il ne s’agit que d’un décalage de contours. La mer déborde sur le sable qui déborde sur la route qui déborde sur un arbre qui déborde sur la tristesse.  » Mais je dois avouer que le signal GPS m’a perdu. Et sa narration (à la 2e personne….) , parfois perturbante (en unisson avec la désorientation de la narratrice – Ariane -) puisque il y aura des blancs aussi, ou des pages sans numérotation … et là ou on aurait pu être touché par l’évocation du passé entre Sandrine et Ariane, j’ai senti poindre un désintérêt croissant. Dommage (pour moi ?!)

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Soutien au cinéma français en mai 2023

Très peu de cinoche ce mois-ci. Voyages, babysitting et visites d’amis m’ont éloigné des grands écrans. Le week-end passé cependant — au vu de la météo pas très propice aux randonnées j’ai vu deux films français (en espérant trouver le temps pour voir la semaine qui vient un film turc – « Burning Days »).

Le cours de la vie

Noémie retrouve Vincent, son amour de jeunesse, dans l’école de cinéma dont il est désormais directeur. A travers une masterclass hors norme, elle va apprendre à Vincent et ses élèves que l’art d’écrire un scénario c’est l’art de vivre passionnément.

Ces derniers temps-ci j’ai pu bcp parler/discuter – pour cause – autour du sujet de l’écriture de scénarios/la vie de scénaristes, donc nous avons opté voir ce-film qui ne renouvelle pas le cinéma mais permet d’assister à des cours et réflexions autour du travail d’un scénariste. Agnès Jaoui (qui avec l’âge améliore, à mon avis (sorry), son jeu d’actrice) campe de manière convaincante une scénariste qui donne une masterclass dans une école de cinéma devant des élèves bien propre sur eux (et esquissant une palette (trop?) complète de la jeunesse d’aujourd’hui : un (deux) couple(s) de homosexuels, une fille non-binaire, un garçon mal dans sa peau, d’autres….. Mais pas que. Le Directeur de l’école est un ancien amant qu’elle a quitté du jour au lendemain sans explication (orale – elle a pourtant envoyé une lettre d’explications que le dupé a cependant gardé non lue et sans l’ouvrir dans son placard – une idée de scénariste !?).

La réalité (l’étoffe de laquelle est faite la fiction) se mélange avec la fiction, c’est filmé plutôt de manière classique et on peut interpréter ce long-métrage comme un hymne aux histoires qu’on raconte après avoir observé le monde qui nous entoure et nous incite à broder autour et/ou à partir d’une phrase entendu en passant, un geste observé dans un café, les mimiques…

Pas révolutionnaire, mais parfois plutôt attachant notamment dans la mise en scène des retrouvailles entre les ex-amoureux. Personnellement j’ai ressenti les interventions et pas de côté de la part des jeunes étudiants comme parasitaires, j’aurai préféré un recentrage sur le couple, mais mes amis m’ont retorqué que ça aurait-été ennuyant. Je dis ça, je ne dis rien.

Enfin, la ville de Toulouse est bien filmée. Je me réjouis de la voir en novembre (à l’occasion de la remise du Prix Caillé 2023)

Une chose est certaine, on peut attendre la « sortie » de ce film sur petit-écran.

Les trois mousquetaires

Un blockbuster à la française qui semble trouver son public. Ca ne casse pas la baraque mais est très plaisant et étonne surtout par la qualité de la reconstitution (décors, costumes ( ceux de la cour – ceux des mousquetaires m’a rappelé des films de Sergio Leone – tzzz) et scènes de foule dans la rue p.ex.).

Les acteurs plutôt convaincants (Louis Garrel, Vincent Cassel, Romaine Duris, Pio Marmaï et François Civil – LE D’Artagnan, Eva Green en Mylady et Vicky Krieps ainsi que Lyna Khoudri – une belle Constance) même si on (moi je) ne sentait (sentais) pas – une vraie « alchimie » entre les mousquetaires. Les scènes d’action (genre cape et épée) ne sont pas filmés d’après les canons des films d’actions d’aujourd’hui et même anciens (je pense à Gene Kelly – 1948) mais c’est plaisant, on passe un agréable dimanche de pluie – et on sort avec l’envie de voir la suite de ce dytique. Ca prend pas la tête et incite à fouiller internet pour se remémorer les écrits d Dumas.

PS – Je dois avouer que je viens de voir – hier soir – le nouveau film de Maïwenn : « Jeanne de Barry » – je lui consacrerai, si je trouve le temps un article à part. Un très, très beau film qui réussit à dépoussiérer le film à costumes, qui émeut parfois (oui, oui) et qui s’éloigne également parfois comme ce « Mousquetaires » de l’Histoire originale. Spectateurs allergiques à cette femme sont priés de s’abstenir. Moi j’aime bcp son ton personnel.

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Le Sud

Menton – Mai 2023

Un printemps mouillé, les fraises se font bouffer par les escargots, les cerises n’ont pas le temps de rougir – et je repense aux journées ensoleillées dans le Sud, sur les chemins des divers Caps et les ruelles des villages perchés. Presque sur un coup de tête, après des jours avec nos enfants – garde d’enfants aussi – décision, le privilège des retraités, de passer quelques jours dans le Sud, le vraie, de la France.

Vue (de la plage de Salis) sur la vieille ville d’Antibes

Installation au centre ville d’Antibes – avec parking souterrain – dans un Airbnb. Situation géographique idéale pour partir à l’assaut de Menton, Eze, St. Jean Cap-Ferrat, Vence, Saint-Paul de Vence, Cannes, Iles Lerins – et le Cap d’Antibes. Egalement atout énorme : pas besoin de prendre une voiture le soir pour boire un coup et dîner. A propos dîner : Je recommande un petit restaurant au nom sympa : « La taille de guêpe« . Mais il n’y a pas que le nom qui est sympa. Plats fleuris (fleurs comestibles), une touche de raffinesse et cadre accueillant au prix presque doux ( 36,- € Menu). [Dès que je peux j’essaierai reproduire à la maison le « velouté glacé de petits pois au fromage de chèvre, croutons et magret de canard »)

*****

Cap d’Antibes (pour faire le tour marche d’un peu de moins de 3,5 h – avec arrêts – environ à partir de l’appartement – à pied). On passe devant des domaines insensés, bardés de caméras de surveillance.

Menton, Eze, Cap-Ferrat – une longue journée. Une petite heure d’Antibes, la ville de Menton, très italienisante et dans ces tons ocres et jaune (citron) qu’on aime trouver dans cette région, visitée le matin.

Acheté un pic-nic dans la halle du marché (la moitié des gens parlait italien) avant de partir pour Eze, village perchée pas revu depuis des décennies. Village trop couru à notre goût. On avait même du mal à passer dans les ruelles tant on croisait du monde de toutes nationalités.

Repris rapidement la voiture pour descendre vers le Port de Saint Jean-Cap-Ferrat ou nous avons pris un café et une glace (heureux d’être loin des foules d’Eze). Départ pour le tour du Cap (comme à Antibes un beau sentier littoral qui fait le tour (env. 3,5 h de marche)

Vence et Saint-Paul de Vence – une autre journée plus courte, puisqu’un séjour lecture-baignade à Antibes en fin de journée. Je ne me rappelle pas d’avoir déjà été à Vence, un petit village fortifié encore dans son jus, pas dévié par le tourisme et une notoriété sous cloche (malgré le grand nombre d’artistes et galeries d’art, une « cathédrale » et la chapelle « Matisse » (fermée pour cause de Lundi).

Saint-Paul-de-Vence, à 10 minutes de Vence, était plus chargée de monde, mais avec un pas de côté on pouvait presque être ou se sentir seul.

Cannes et Ile Sainte-Marguerite (Iles de Lérins – l’Ile Saint-Honorat, plus petite, a été présentée dans le Monde en date du 13.6.22). Sa grande sœur avait notre préférence, puisque plus grande et offrant la possibilité de faire une « rando » de presque 3h (par le chemin de ceinture). Beaux pins et eucalyptus. Et ce qui est intéressant : le bateau pris (11h) était plein de gens mais on avait presque l’impression d’être seul (ok nous n’avons pas visité le fort de l’Ile (prison d’état – Masque de fer….ça vous dit qqchose ?)

C’est au retour, marchant dans la rue Meynadier de la ville de Cannes, qu’on se dit le bonheur que c’était de marcher dans la nature, loin de l’effervescence d’une ville qui se prépare au prochain Festival (du 16 au 27 mai).

Par ailleurs redécouverte de la vieille ville de Cannes : Le Suquet. C’est un beau quartier surprise qui est loin des paillettes et le brouha de la ville « nouvelle ». Piétonne les rues médiévales invitent à la flânerie. Toutefois j’avais l’impression que ces maisons abritent bcp d’appartements « saisonniers » ce qui nuit à l’authenticité, mais ce n’est qu’une impression.

Sur le chemin de retour je me suis arrêté à Vallauris :

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Le cœur ne cède pas

Lu dans le cadre de notre Jury Inter Shadow Cabinet 2023 (13e édition) – Nous lisons les 10 livres de la sélection de France Inter) et élisons « notre » lauréat lors d’un barbecue quand, le même jour, le « vrai » jury se réunit à Paris. Livre dont j’ai lu les premières 100 pages sur tablette, ensuite le livre sur les genoux (merci B. pour le prêt)

Présentation de l’Editeur (Flammarion)

Août 1985. À Paris, une femme s’est laissée mourir de faim chez elle pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son agonie. Son cadavre n’a été découvert que dix mois plus tard. À l’époque, Grégoire Bouillier entend ce fait divers à la radio. Et plus jamais ne l’oublie. Or, en 2018, le hasard le met sur la piste de cette femme. Qui était-elle ? Pourquoi avoir écrit son agonie ? Comment un être humain peut-il s’infliger – ou infliger au monde – une telle punition ?
Se transformant en détective privé assisté de la fidèle (et joyeuse) Penny, l’auteur se lance alors dans une folle enquête pour reconstituer la vie de cette femme qui fut mannequin dans les années 50 : à partir des archives et de sa généalogie, de son enfance dans le Paris des années 20 à son mariage pendant l’Occupation… Un grand voyage dans le temps et l’espace. Sont même convoqués le cinéma et les sciences occultes, afin d’élucider ce fait divers. « Élucider voulant dire non pas faire toute la lumière sur le drame mais clarifier les termes mêmes de sa noirceur. »

Lecture XXL.

C’est mon premier livre de cet auteur qui, comme son copain Jaenada (qu’il cite bien comme « enquêteur hors pair, chien de chasse qui ne lâche pas son os » (p. 886) adore « bosser dur » et recueillir des tonnes d’informations, les classer, organiser …digérer et transformer en « littérature ». On est estomaqué de voir comme un fit divers ou plutôt la vie d’une personne peut se transformer en récit rouleau-compresseur. Pas étonnant quand, comme Grégoire Bouillier, l’auteur fait en même temps des recherches généalogiques, compulse des données historiques, visionne des films, analyse quasiment au microscope (je rigole) des photos pour y déceler des informations cachées, interroge des graphologues, une psychiatre et le petit-fils de la disparue. Et étudie TOUTES les hypothèses possibles et impossibles sur la vie de la défunte, sa mort, les raisons de sa mort etc…

https://lecoeurnecedepas.fr/?page_id=405

« ma grande surprise (je dois être naïf…), les journaux, tous bords confondus, focalisent sur le « drame social ». De Marcelle Pichon, ils ne voient et ne veulent voir qu’une victime. Une victime non d’elle-même mais des temps, des autres, de la solitude dans les grandes villes, de l’indifférence généralisée et de la misère à l’heure du tournant néolibéral de la gauche au pouvoir et des premiers SDF apparaissant dans les rues, comme le sigle d’une grande entreprise nationale qui, cinq ans plus tôt, n’existait pas. En filigrane, il s’agit d’accuser l’époque, peut-être le gouvernement socialiste, voire Mitterrand en personne – en France, l’État est responsable de tout (il est vrai qu’il se mêle volontiers de tout). Dans tous les cas, il s’agit de culpabiliser le corps social, de reprocher à chacun et à chacune de n’avoir rien fait pour sauver la pauvre Marcelle Pichon, d’impliquer tout le monde dans un drame devant mettre les consciences en face de leur responsabilité. De leur infamie. »

La photo décrite par G.B. dans son roman.
Fabcaro – sur la base de la description d’une photo par G. Bouillier – description qui mérite à elle seule la lecture du livre

Un livre total – je me sens incapable de le réduire à une seule trame qui ne trahit pas l’ensemble. Livre qui m’a toutefois « soûlé » un peu (bcp). Digressions à la pelle, répétitions aussi qui m’ont parfois énervé. […les « je dis ça, je ne dis rien » répété à longueur de 3 pages qui elles étaient prenantes toutefois]. Ce qui fait que j’ai de temps en temps lu en diagonale (« perdant » ainsi peut-être quelques « savoureuses » digressions ou réflexions qui s’étalent sur les plus de 900 pages).

« Surtout, j’étais à l’affût de – comment s’appelait-elle ? Ah oui. Irène Omélianenko. La voix d’Irène Omélianenko ! Lorsqu’elle lisait à l’antenne de courts textes que, par la seule magie de sa voix flûtée, chantante, gracile, bandante (mais d’autres pourraient la trouver nunuche), elle transformait en poèmes, en mots d’amour murmurés à l’oreille. Lorsqu’elle disait, à la toute fin de l’émission, disait dans un souffle, « bonne nuit », c’était comme si elle m’effleurait les lèvres. Comme si elle m’embrassait pour la vie. Me bénissait de tendresse. Je savais que je n’étais plus seul. Je pouvais m’endormir tranquille.

Cependant, je dois le concéder (je dis ça, je ne dis rien – Pfff) il y a des passages inouïs dans ces digressions en mode circulaires pour arriver au point x, à savoir celui où la recherche de Marcelle devient recherche de soi, de son passé (à lui,

l’écrivain). P.ex. la description du 15e arr. de Paris (chapitre 66), saisissant pendant 2 pages serrées (dans lesquelles on sentait les odeurs, voyait tout – il est doué ce mec) pour dire ensuite, ce qui m’a lassé d’un coup : « mais je ne vais pas faire la visite du 15e dans son intégralité. Je ne vais pas prendre Marcelle par la main pour…(..)…. Je ne vais pas l’emmener un tour à…(…)… Je ne vais pas la jucher sur mes épaules pour…(…)… Je ne vais pas… » (p. 521)…. digressions qui seront suivies de réflexions sur ce que ressente des enfants (61.2.) par rapport aux adultes (qui ont perdu la faculté de pleurer quand meurt King Kong). Douches écossaises donc, pour moi.

Je disais « lecture XXL » – on peut dire que ce roman est un roman constitué de 50 nuances de romans ou de fragments de romans parsemé de fragments de films et documentaires (« Compartiment divorces », « Scandale au Champs-Elysées » Maurice Pialat et son « A nos amours », « Le portrait de Dorian Gray », « La recluse » (F. Vargas), « Le locataire » (Polanski) – et j’en oublie, même si je vois encore Burt Lancaster qu’il décrit bien – … ou surtout « Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles » (C. Akerman) – film fleuve qui raconte qqs jours de la vie de J. Dielman dans tous les détails, détails qui pourraient, dans le fleuve d’hypothèses, correspondre à ce que vivait son héroïne, genre « Marcelle Pichon, 144 rue de Javel, 75015 Paris ». – et dans lequel G. Bouillier remplace dans son « résumé du film » (plusieurs pages) le nom de Jeanne par Marcelle…. Franchement, je ne me rappelle pas d’avoir déjà lu un livre de ce type, de cette richesse – de là à lui donner le Prix du Livre Inter ? Je pense que les débats seront houleux. Pour lecteur aimant lire mais acceptant que l’auteur vous prend à la main, vous promène ou lui il veut, sans se demander si la direction prise vous plait….

Une visite du site (monté exprès) https://lecoeurnecedepas.fr avec pleins de photos, la reproduction des documents analysés et décrits dans le livre, bcp plus factuel aussi (c’est clair, net, sans détour) vous familiariserait avec ce fait divers et le personnage Marcelle Pichon mais vous privera du sel, poivre et gingembre des à-côtés ou pas-de côtés (ce qui me fait penser aussi au chapitre 54 – la visite chez les vieux Vargas – et « l’échangisme version cinquième âge » qui s’ensuit (mais dont il dira plus tard : « …J’avais recueilli plusieurs témoignages de vieilles gens habitant l’immeuble et je ne me voyais pas faire littéralement la tournée des popotes. Sur la page, l’ennui m’anesthésiait déjà. Il me fallait donc trouver quelque chose de plus excitant (si j’ose dire). De là mon couple de vieux. Ce n’était peut-être pas une bonne idée mais…(…) Mon récit est autant le récit d’une enquête absolument scrupuleuse sur Marcelle Pichon que le récit absolument subjectif de l’enquête elle-même.…(p. 460).

Laetitia Coryn – Le monde merveilleux des vieux

Encore un dernier extrait avant de clore.

https://lecoeurnecedepas.fr/?p=66 – Marcelle Pichon à 18 ans (collection privée)
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Attaquer la terre et le soleil

Lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2023 (notre club de lecture Inter Shadow Cabinet 2023 lit les 10 livres de la sélection de Eva Bettan & Cie et donne son verdict le jour même du choix du Jury Parisien).

La France a pour mission divine de pacifier vos terres de barbarie, d’offrir à vos cervelles incultes les ors d’une culture millénaire ! Que ça vous plaise ou non ! Et ceux qui refusent notre main tendue seront renversés, écrasés, hachés menu par le fer de nos sabres et de nos baïonnettes !

Présentation de l’Editeur -Le Tripode)

Attaquer la terre et le soleil narre le destin d’une poignée de colons et de soldats pris dans l’enfer oublié de la colonisation algérienne, au dix-neuvième siècle. Et en un bref roman, c’est toute l’expérience d’un écrivain qui subitement se cristallise et bouleverse, une voix hantée par Faulkner qui se donne.
 
Depuis plus de vingt ans, Mathieu Belezi construit une œuvre romanesque d’une cohérence étonnante, à la phrase ciselée. La musicalité qui frappe dès les premières lignes d’Attaquer la terre et le soleil fait écho à Le Petit Roi, son premier roman publié en 1998 aux éditions Phébus. Quant à son thème, il renvoie évidemment à sa grande trilogie algérienne, publiée successivement aux éditions Albin Michel (C’était notre terre, 2008) et Flammarion (Les vieux Fous, 2011 ; Un faux pas dans la vie d’Emma Picard, 2015). Est-ce la constance de ce parcours qui explique la fulgurance de ce nouveau roman ? Écrit en quelques mois, Attaquer la terre et le soleil dit en tout cas avec une beauté tragique, à travers les voix d’une femme et d’un soldat, la folie, l’enfer, que fut cette colonisation.

Sacré découverte. Je ne m’y attendais pas…. Pourtant la 1ere de couv’ nous avertit que le roman ést Lauréat du Prix Littéraire du Monde 2022, et le site de l’Editeur énumère les diverses nominations à des Prix que sont le Prix des lecteurs des Escales du livre de Bordeaux, Finaliste prix Jean Giono 2022, Sélection prix du roman Fnac 2022, Sélection prix Patrimoines 2022, Lauréat du prix de la librairie L’Ordre du jour 2022, Sélection prix Librairie Privat 2022… ce qui n’est pas rien. Et moi, je lui donnerai (à l’heure actuelle – et sans avoir lu TOUS les livres de la liste des candidats) le Prix du Livre Inter 2023 ex-aequo avec le livre de Lola Lafon « Quand tu écouteras cette chanson« )

L’écrivain Mathieu Belezi, à Rome, en août 2022. EDOARDO DELILLE POUR LE MONDE

Une sidération vous prend à la gorge, devant une langue âpre et poétique qui drape la violence des hommes (moins pour la cacher que pour la sublimer), les horreurs commis par les soldats français et la dureté de vie des 1ers colons en Algérie (1830).

…..Sainte et sainte mère de Dieu…

Une exclamation de Séraphine, une Française qui a quitté la France avec sa famille et à laquelle on a promis un grand lopin de terre (7 ha) et par ricochet la richesse (!!) – et ils l’auront (le lopin de terre), mais aussi les pluies, la chaleur d’été, la choléra et l’adversité des maghrébins soumis par l’Etat colonisateur (on les comprend).

il était loin le paradis que le gouvernement de la République nous avait promis, et on n’était pas près de l’atteindre, nous tous entassés sous les tentes militaires au milieu de nulle part, dans ce trou perdu que l’autorité militaire avait osé appeler colonie agricole, on n’était pas près de l’atteindre, et peut-être qu’on ne l’atteindrait jamais, ce paradis tant vanté, peut-être qu’on ne l’atteindrait jamais parce qu’il n’existait pas.

« La prise de Mascara », estampe, 1836.  (Gallica-BnF)

Aux mélopées de Séraphine (les chapitres avec ses paroles à elle sont titrés « Rude besogne« ) suit en alternance le monologue d’un soldat (titrés « Bain de sang« ) qui nous raconte un brin désabusé, fier et cynique les massacres, les viols et pillages des villageois algériens souvent en réponse à des attaques commises par des rebelles, qui n’ont rien à « envier » aux violences des soldats français (« qui ne sont pas des anges »).

On est loin de la guerre d’Algérie du 20e siècle mais on ne s’étonne pas des violences commises là, quand on sait sur quel socle ou base – imprégné d’une ignorance totale de l’Autre – la colonisation s’est faite.

Il s’agit ici d’Algérie mais le même texte, à quelques palmiers près, pourrait s’appliquer à d’autres fragments d’Empire, à d’autres folies conquérantes.

Il y eut une période où la France, et son armée, s’est comportée comme aujourd’hui le fait l’armée russe en Ukraine. Rien n’est épargné au lecteur (à la lectrice) mais c’est dit dans une langue envoutante. Notons cependant qu’il y a quelque chose un peu déroutant au début de la lecture : Il n’y a pas de points ! Je ne sais ce que cela apporte mais, c’est le choix de M. Belezi. Cependant – il y a des paragraphes et retour à la ligne qui permettent – sans problèmes – d’y voir clair.

La violence = une constante de l’humanité qui a perdu son âme…. Le roman a bien sa place dans les centaines de livres autour de l’Algérie colonisée (pensons à « L’art de perdre » de A. Zeniter, « L’art français de la guerre » d’A. Jenni ou « Féroces infirmes » du même – qui parlent des soubresauts de la fin de la colonisation) ici on est aux prémisses – et ce n’est pas bien joli. Et pour la « synchronicité » : évidemment j’ai vu dans les « pauvres » colons auxquels l’Etat a promis des monts et merveilles, les « pions » dont parle Cerda dans le formidable « Le pion ».

 

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Le Pion

Lu dans le cadre des lectures du Jury du Prix Caillé en vu de choisir les finalistes pour le Prix Caillé 2023. Je ne parlerai pas de la traduction – c’est l’affaire du Jury. Je ne parle qu’en mon nom.

Traduit de l’espagnol par Marielle Leroy

Présentation de l’Editeur (La contre allée)

Stockholm, hiver 1962. Deux hommes de mondes adverses se font face. Arturo Pomar, l’enfant prodige espagnol, affronte sur l’échiquier Bobby Fischer, un jeune Américain excentrique et ambitieux.

En pleine guerre froide, l’un était le pion du régime franquiste, l’autre sera celui des États-Unis.

Au fil des 77 mouvements de la partie qui les oppose, se trame une histoire à la forme originale entremêlant les portraits de ces deux maîtres des échecs et ceux de nombreux autres pions. Des personnes sacrifiées, comme autant de mythes fabriqués et utilisés à des fins sociopolitiques, qui en paieront le prix fort ; celui de la mort, de la prison, de l’exil ou de la solitude. Mais un pion n’est jamais seulement un pion…

PRIX ET SÉLECTIONS :

Deuxième sélection du Prix du Meilleur Livre Étranger 2022 – catégorie non-fiction, Sélection Prix littéraire des Avignonnais 2022, Sélection Prix Virevolte 2022.

Ce « roman sans fiction » (Cerda dixit) divisé en 77 chapitres en phase avec les 77 mouvements de la confrontation de Bobby Fischer et Arturo Pomar) avec des réflexions (et ou descriptions) sur l’engagement personnel et/ou la manière de laquelle le gouvernement américain et Franco ont utilisé comme « pions » ces deux personnages. Ce qui permet de traiter aussi d’autres « pions » dévoués à une cause politique (et cela, ce que je trouve notable, à 80% dans la seule année 1962 (ça vous dit qqchose – il y’aura du connu et d’inconnu ? : Cuba, Maryline Monroe, Julian Grimau Garcia, Francis Gary Powers, Ronald Stokes, les grévistes d’Asturias, Salvadore de Madariaga, les infiltrations du FBI dans le parti communiste des EU (Herbert K. Stallings) ….

Intercalés entre les chapitres traitant de Bobby Fischer, Arturo Pomar ou le « match » qui les oppose sont des récits sur des communistes, maquisards, ouvriers, socialistes, ouvriers, chrétiens de base, prisonniers politiques, etarras, …républicains, étudiants, phalangistes, AfroAméricains en lutte, le bras armé de l’islam, pacifistes, indigènes, militants antinucléaires, gauchistes….. »des gens minuscules, prêts à se sacrifier dans une lutte collective. ….Mais tous savaient aussi qu’un pion n’est jamais seulement un pion. » (p. 358/359)

Chapitre 43 : Description à l’acide des vœux du « jouet d’Hollywood, icone d’un système« …. »..trois mois seulement s’écouleront avant que le jouet n’apparaisse cassé, sans fard ni paillettes, dans la plus extrême solitude. La dame n’était qu’un simple pion. »

« Reculer : rêve impossible pour le pion, privilège de la noblesse. » (p. 223)

Lecture passionnante, même si le roman recèle des redondances et propose une abondance de métaphores du/des pion/-s que certains pourraient qualifier d’abusive. Moi ça ne m’a pas gêné (j’ai trop appris – ou pu rafraichir ma mémoire). Et un peu comme l’avait fait Eric Vuillard dans « 14 juillet » (dans lequel la Révolution Française est racontée du point de vue de la cohorte des anonymes) on regarde l’Histoire à travers un filtre de 64 cases.

Toutefois, le livre ne parle pas que des échecs (ce n’est pas sur le mode de la série « Queen Gambit » (Netflix) qu’il joue). Rien n’est inventé. Cerda a propulsé une documentation énorme pour nous brosser un portrait de Bobby Fischer et du postier Arturo Pomar lâché après avoir été fêté comme enfant prodige des échecs espagnols, et surtout pour passer en revue une année 1962 qui s’avère d’un coup (en trompe-œil) être une année de tous les dangers et métamorphoses.

Page 25 : ♗b5 +♝d7

Un pion. Seulement un pion. Avec le regard de ton roi sur ta nuque. Avec ce dédain souterrain de l’aristocratie de ton camp. L’insignifiance d’une babiole, une bagatelle, inscrite dans les gènes. Avec le vertige de l’abîme à tes pieds et un environnement hostile ; tu n’es pas né avec des filets et des parapets. Conscient que le besogneux – allez, creuse une tranchée, aplanis le terrain, ouvre un passage, sois un pionnier – est le premier à tomber dans les marges de l’histoire. Sachant que les cinq ou six pas nécessaires pour te défaire de ton pesant destin sont tout un monde quand l’échiquier n’est pas fait à la mesure de tes forces, quand les règles te condamnent au rang de pion, quand les dangers sont à l’affût, démultipliés par les inégalités d’une origine viciée. Tu n’as pas choisi d’être un pion. Mais tu es un pion. Le sacrifice est pour toi la devise imposée, le blason que personne ne rendra éphémère. Le récit du bien commun ourdi par la hiérarchie a besoin de toi. On ne lésinera pas sur les ornements et tout le tralala : épopées, drapeaux, hymnes, décorations posthumes. Pourtant, dès que se sera tu le dernier applaudissement du dernier assistant du grand spectacle et que la fumée des salves lancées en ton honneur sera dispersée dans un ciel que cette nuit obscurcira, comme toujours, dans l’attente d’un jour nouveau – et c’est ainsi qu’avance le monde, ainsi que se remplit une vie qui n’a pas d’autre prétention que celle d’être une vie –, toi, tu resteras remisé aux oubliettes. Tu n’auras été qu’un pion, rien d’autre. Et la partie, que maintenant tu découvres comme n’étant pas la tienne, continuera.

Autre avis sur le site de La viduité.

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En salle

Lecture dans le cadre du « Jury du Shadow-Cabinet du Livre Inter 2023 ». Lu par ailleurs sur ma liseuse (en fait une tablette Samsung).

Présentation de l’Editeur (Minuit)

Dans un menu enfant, on trouve un burger bien emballé, des frites, une boisson, des sauces, un jouet, le rêve. Et puis, quelques années plus tard, on prépare les commandes au drive, on passe le chiffon sur les tables, on obéit aux manageurs : on travaille au fastfood.
En deux récits alternés, la narratrice d’En salle raconte cet écart. D’un côté, une enfance marquée par la figure d’un père ouvrier. De l’autre, ses vingt ans dans un fastfood, où elle rencontre la répétition des gestes, le corps mis à l’épreuve, le vide, l’aliénation. 

Objet littéraire surprenant. Si j’allais encore dans un fast-food (comme au temps parisien avec les enfants jeunes : la séance cinéma ou un Musée le dimanche allaient de pair avec un MacDo ou un restaurant chinois, au choix) j’aurai eu, après la lecture, probablement un regard différent sur le personnel du fast-food (même si Claire B. en a rajouté certainement dans la description des encadrants (« la mana ») et de ce monde de travail que d’autres ont déjà décrit (en jouant les journalistes en immersion – p.ex. Günter Wallraff ou les journalistes de Miss Lucet)

Tim Boyle | Bloomberg | Getty Images

Pour la petite histoire : Je me trouvais à Arcachon, et avais fini la lecture du roman « La vie tumultueuse de Mary W.« . J’avais oublié d’apporter plus de lecture et voulais m’acheter dans une librairie le roman en version papier. J’ai trouvé la plus grande librairie de la ville (https://www.librairiegeneralearcachon.fr/infosprat.php). Le libraire, un peu ronchon par ailleurs, me dit qu’il ne l’avait pas ce roman. Je lui indique qu’il se trouve dans la liste des 10 candidats du Prix du Livre Inter. Haussement des sourcils de sa part… Ah bon, je ne savais pas ! Vous voulez le lire ? « Franchement, ça va 5 minutes, mais cela ne vaut pas plus. » Je l’ai donc acheté sur internet (pour le lire sur ma tablette) et lu en deux soirées.

Mon père a reçu ses nouvelles cottes de travail le soir où je suis rentrée de l’internat pour le week-end. Vous reverrez pas ça avant un moment, profitez-en les titis. Il les sort de leur emballage plastique, les déplie soigneusement comme des robes précieuses dans leur papier de soie et nous devenons ses mannequins. Maman s’empare de l’appareil pour nous prendre en photo. Elle dit souriez et je ferme la bouche, je fais disparaître mes dents pour mimer la pénibilité de l’effort, le sérieux au travail, la concentration. Les deux mains sur les hanches, le menton légèrement rentré, je reste stoïque devant le canapé débarrassé pour l’occasion. Maman dit regarde-moi et je ne fixe que mon père derrière l’objectif. Je ne fixe que mon père comme pour pénétrer son esprit, un instant être à sa place, enfermer un lapin mort dans une tour d’ordinateur et cocher les cases du préventif chaque jour pour éviter la douloureuse réparation. La maintenance consiste à éviter la perturbation, prévenir le dysfonctionnement et perpétuer silencieusement un état de fonctionnement standard.

Peut-être c’est la petite phrase du libraire qui m’a influencé, mais c’est vrai, je n’ai pas été enthousiaste devant ce court roman dans une langue factuelle, dépourvue d’affect. Claire B. choisit le récit alterné : souvenirs d’enfance (sorties avec les parents, chromos des vacances et moments passés dans des fast-food (ahh les frites !), la vue sur le père éreinté par son travail…, qui le rend fier toutefois aussi) versus la description de qqs mois de travail dans un fast-food dans lequel la narratrice bosse pour financer ses études et dans lequel elle est confrontée à des managers presse-citron, des « missions » et « postes » plus ou moins « valorisants ». L’écriture rend palpable « la répétition« , « le fonctionnement standard » abrutissant du travail (de lui, et d’elle)

Toutefois, est-ce dû à la langue plutôt sèche (?), je n’ai pas senti une seule fois de l’empathie pour la narratrice (j’ai par contre ressenti une colère rentrée qui pourrait être résumée par la dernière phrase du livre).

Le lecteur comprend aisément la juxtaposition des deux mondes qui se font écho (celle de l’ouvrier père et le regard des enfants – et celui de l’usine fast-food avec ses gestes répétitifs et parfois dégradants) et finalement, à mon sens, le livre aurait pu être encore plus court pour le dire.

Un employé sert des frites dans un récipient réutilisable dans un restaurant McDonald’s à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, le 20 décembre 2022. – JULIEN DE ROSA / AFP
Mon front contre l’inox, je répète les mêmes gestes. Derrière mon dos, ce midi c’est la guerre, on attend du monde. Les mains se posent aux mêmes endroits, reprennent l’itinéraire, il ne se passe rien. Les doigts agrippent les poignées en plastique des panières. Les poignets prennent le même angle lorsqu’il faut déverser les frites à l’intérieur des bacs. Je sale, mélange, déplie le cornet en plaçant mon pouce au-dessous et en élargissant l’encolure avec l’index et le majeur. Ils me disent que ce n’est pas la meilleure technique, ils me disent tu remplis trop, mets moins de frites. Le buste légèrement penché en avant, le dos plié, mon front contre l’inox, je répète.

Le plus intéressant (pour moi) c’est finalement ce qui n’est pas dit, ce qui est suggéré, vibre entre les lignes qui décrivent une vie (un travail) répétitif, sans rebondissement véritable.

Autre avis (nettement plus enthousiaste) : Matatoune (vagabondageautourdesoi) J’aimerai bien savoir ce que diront mes « co-jurés » du Shadow-Cabinet sur ce livre.

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La tumultueuse vie de Mary W (Love and Fury)

Lu dans le cadre des lectures du Jury du Prix Caillé en vu de choisir les finalistes pour le Prix Caillé 2023. Je ne parlerai pas de la traduction – c’est l’affaire du Jury. Je ne parle qu’en mon nom.

Traduction de l’anglais (américain) Charlène Busalli

4e de couverture (Presses de la Cité)

L’incroyable destin de Mary Wollstonecraft, pionnière du féminisme et mère de Mary Shelley…
Août 1797. Mary Wollstonecraft donne naissance à sa deuxième fille. Malgré la sérénité de la jeune mère, sa sage-femme est inquiète. Elle se surprend à s’attacher à cette personnalité hors du commun et, quand l’état de Mary se dégrade, elle lui conseille de se raconter à son enfant. Mary se lance alors dans un récit aussi ardent que vivant – l’histoire d’une vraie combattante, d’une aventurière et d’une amante. L’histoire de Mary Wollstonecraft, pionnière du féminisme et mère de Mary Shelley, l’auteure de Frankenstein. Une femme méconnue, à mettre en lumière de toute urgence…
 » Le chagrin, ma douce enfant, te mettra à genoux, encore et encore, mais la beauté et l’amour aussi. Suffisamment pour te permettre de te relever, d’essayer encore, de vivre comme chaque être vivant le voudrait : libre. « 

Eh ben, c’est la découverte d’un sacré bout de femme bien surprenante.

Portrait par John Opie (v. 1797)

Wikipedia fait rapidement le récit de sa vie. Elle est née en 1759 et meurt 10 jours après la naissance de son 2e enfant (la future auteure de Frankenstein Mary Shelley) en 1797. Les 38 années de sa vie étaient bien remplies et elle a bien laissé des traces jusqu’à aujourd’hui..

Le père de Mary W. (sa violence laissera – également – des traces) va faire faillite, la famille s’appauvrit, Mary va quitter tôt le domicile familiale (et devient demoiselle de compagne d’une veuve et de ses enfants – qui l’inspirent pour écrire un livre sur l’éducation des filles – expérience difficile). Elle va créer avec ses sœurs et Fanny, une amie qui semble être plus qu’une amie et sœur d’âme (et qui sera le sujet d’un 1er roman écrit par Mary), une école qui va toutefois fermer rapidement. Suit un travail de gouvernante en Irlande avant de retrouver Londres ou elle va être logée chez Joseph Johnson (un Editeur), maisonnée ou elle rencontrera bcp de têtes pensantes de l’époque (Thomas Plaine et William Godwin) ainsi que le peintre Henry Fuseli (que je ne connaissais que sous le nom Johann Heinrich Füssli) avec lequel elle a une liaison décevante.

Lady Macbeth somnanbule, 1784, Musée du Louvre (H. Fuseli)

En 1792 elle va partir pour la France (ou gronde la Révolution Française, qui l’inspirera à écrire un traité : An Historical and Moral View of the French Revolution) et ou, dans le cercle des anglais et américains sur place, elle va tomber amoureuse d’un homme d’affaires aventurier – Gilbert Imlay – Elle fera des voyages au Havre, à Hambourg, au Danemark, Suède, Norvège – et tombera enceinte de lui. Gilbert cependant s’intéressera plutôt à d’autres femmes ce qui conduira Mary a tenté un suicide à Londres.

Là elle va renouer avec William Godwin qui lui fait une cour assidue (philosophe, romancier et « précurseur des pensées anarchistes – et partageant en bcp les idées de Mary). L’enfant qu’elle aura de lui sera fatale à Mary.

Cette vie nous est raconté par Mary elle-même (parlant à son enfant juste née). Ces « monologues » sont entrecoupés par le récit d’une sage-femme qui – au contact avec Mary – va reconsidérer sa condition féminine et voir qu’une autre relation entre Hommes et Femmes est possible.

Bien belle découverte d’une femme hors-norme (et ceci pas seulement pour son époque).

Une plongée dans la vie d’une femme de la fin des années 1790 – qui après être tombé dans les oubliettes a suscité de nouveau un intérêt certain chez les féministes et auteures (voir p.ex. V. Woolf « Four Figures » – ou pas moins de 6 biographies dans les années 1970) – ou comme je lis dans Wikipedia sa présence dans l’oeuvre installation « The Dinner party » de Judy Chicago (une table avec 39 places pour 39 femmes reposant sur un socle sur lequel sont gravés les noms de 999 femmes mythiques et historiques)

Judy Chicago (American, born 1939). The Dinner Party, 1974–79. Ceramic, porcelain, textile, 576 × 576 in. (1463 × 1463 cm). Brooklyn Museum; Gift of the Elizabeth A. Sackler Foundation, 2002.10. © Judy Chicago. (Photo: Donald Woodman)
Judy Chicago (American, b. 1939). The Dinner Party (Mary Wollstonecraft place setting), 1974–79. Mixed media: ceramic, porcelain, textile. Brooklyn Museum, Gift of the Elizabeth A. Sackler Foundation, 2002.10. © Judy Chicago. Photograph by Jook Leung Photography

Une lecture qui ouvre l’horizon et permet une belle « rencontre » avec une femme qui aurait détonné aujourd’hui encore.

PS : Drôle(s) de synchronicité : la présence d’une sage-femme. Après avoir vu le film « Sage-Homme » et apprécié sur ARTE.TV l’excellent film « Sages-Femmes » de Léa Fehner (disponible jusqu’en aout 2023) les premiers pages du roman décrivent bien le travail d’une sage-femme en Angleterre du 18e siècle.

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A A – comme Arcachon en Avril

Quelques jours chez une amie de 40 ans…. F. a quitté d’abord Paris pour Martel pour ensuite se décider pour Arcachon (j’y étais il y a 11 ans pour une nuit – ce qui veux dire que je n’avais quasiment rien vu de la ville à l’époque). Les 1ers deux jours le temps n’était pas au beau fixe, mais a quand-même bien permis de faire des balades de reconnaissance (plage, divers quartiers).

Ce qui m’a étonné notamment ce sont les belles demeures anciennes (dans le quartier Ville d’hiver) ou aussi ceux du bord de mer dans la Ville d’été. Les prix immobiliers par contre sont tels qu’on se croirait à Londres (ou dans le 16e à Paris). Ici on voit (ressent) qu’il y a une différence entre « aisé » et « riche ». Se rajoute à cela qu’un bon tiers de ses « baraques » était inoccupé, attendant les familles pour les vacances d’été. Du coup on devine que la ville est « invivable » (« overcrowded ») en été.

Ce qui n’empêche pas des endroits qui laissent un goût « bizarre » : les maisons de pêcheurs de la ville d’Arcachon survivent à peine vu la pression immobilière.

Visite « obligatoire » : la Dune de Pyla (la plus haute d’Europe) que j’ai déjà grimpé en 2012 avec un temps splendide (frais mais ensoleillé)

Sortie en voiture d’une journée dans le Bassin d’Arcachon. Tour de piste dans les divers Ports de Gujan-Mestras – avec, bien évidemment dégustation d’huitres.

Ensuite (le même jour) une longue balade dans le Domaine de Certes et Graveyron : un autre dépaysement après les maisons des ostréiculteurs, avec des verts formidables, on y circule (à pied) sur les digues…..

Un autre jour nous avons préféré prendre la navette pour le Cap Ferret (30 minutes de traversée) – ou nous avons loué des vélos pour la journée. C’est par ailleurs le moyen de locomotion à privilégier – les voies cyclables de cette région sont formidables.

Nous n’avons pas rencontré des vedettes, ni vu des maisons aussi impressionnantes qu’à Arcachon, mais nous ne les avons pas cherché non plus, préférant marcher sur du sable, remanger des huitres, pousser jusqu’au village de l’Herbe, prendre un premier/dernier apéro avant de regagner Arcachon avec le dernier bateau (18h30).

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