Le Convoi

Récit lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2024 (et de notre « jury » Shadow-Cabinet Inter). Livre emprunté à la bibliothèque de Biviers.

Présentation par l’Editeur (Flammarion)

« Il aura fallu quinze ans de cheminement incertain, une enquête menée aux confins de mémoires étiolées, pour retrouver une image sur laquelle j’espérais figurer, puis pour chercher mes compagnons de fuite. Quinze ans pour m’autoriser enfin à écrire cette histoire. La mienne et à travers elle, car il s’agit bien de me réinscrire dans un collectif, la nôtre, l’histoire des enfants des convois. »

Le 18 juin 1994, quelques semaines avant la fin du génocide des Tutsi au Rwanda, Beata Umubyeyi Mairesse, alors adolescente, a eu la vie sauve grâce à un convoi humanitaire suisse.
Treize ans après les faits, elle entre en contact avec l’équipe de la BBC qui a filmé et photographié ce convoi. Commence alors une enquête acharnée (entre le Rwanda, le Royaume-Uni, la Suisse, la France, l’Italie et l’Afrique du Sud) pour recomposer les événements auprès des témoins encore vivants : rescapés, humanitaires, journalistes.
Le génocide des Tutsi, comme d’autres faits historiques africains, a été principalement raconté au monde à travers des images et des interprétations occidentales, faisant parfois des victimes les figurants de leur propre histoire.
Nourri de réflexions sur l’acte de témoigner et la valeur des traces, entre recherche d’archives et écriture de soi, Le convoi est un livre sobre et bouleversant : il offre une contribution essentielle à la réappropriation et à la transmission de cette mémoire collective.

Il m’est difficile de donner un avis (tranché) sur ce livre – tant il est personnel. En même temps il s’adresse à nous tous et demande à être lu.

C’est le récit d’une survivante – par ailleurs, Beata Umubyeyi Mairesse fait souvent référence aux (ou le parallèle avec les) survivants de la Shoa, donc pas étonnant (même le titre fait penser à cette extermination) que BUM se demande : Comment parler des horreurs vus/vécus. [environ 1 million (1.000.000 !!!) de personnes ont été tuées/massacrées) ].

Récit qui se limite toutefois pas au seul « témoignage ». Il est étoffé par pleins de questionnements : notamment sur le devoir de la mémoire, l’oubli et la difficulté de reconstituer des faits (des décennies plus tard), la manière selon laquelle les occidentaux regardent l’Afrique (le Rwanda), notamment à travers les photos prises à l’époque.

En 2016 déjà, l’écrivain, compositeur et rappeur franco-rwandais Gaël Faye a rappelé au public français « l’épisode » Rwandais dans un livre quasi-poétique (« Petit Pays » – désignant aussi bien le Burundi que le Rwanda) dans lequel il évoque – du haut de son enfance – le génocide perpétré contre les Tutsi.

Beata, elle avait, aux moments des « faits » 15 ans. Elle était donc encore quasiment un enfant, mais montre une indéniable maturité rare pour une adolescente. Trente ans après elle fait le récit – plutôt astucieusement structuré de sa fuite vers le Burundi avec l’aide de Terre des Hommes, une ONG suisse, qui organise des convois pour sortir des enfants du Rwanda (avec l’autorisation du gouvernement Hutu de l’époque). [les grands chapitres au sein desquels B.U.M. navigue entre 1994, 2019, 2021, 2022, 2023 – Nice, Bordeaux, la Suisse…… sont : « Quatre photos » (dont celle de la 1ere de couv’), « Le temps du témoignage« , « Terre des Hommes » (et la des description des trois convois organisés par TdH), « L’heure de nous-mêmes« ).

Les sources cités sont innombrables. Vous entrez sur un moteur de recherche les termes Tutsi, Hutu, génocide – et cela fait ressurgir des pages innombrables sur ce qui s’est passé dans ce bout de terre. Human Rights Watch : Rwanda : Publication d’archives sur le génocide; Le Rapport La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) – Rapport remis au Président de la République ; Hélène Dumas, Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006) …. et j’en passe. B.U.M. n’écrit pas pour nous faire pleurer, mais pour relater le plus justement possible UNE fuite (la sienne) et pour poser une première pierre pour un mémorial pour les enfants des convois, puisqu’elle pense « qu’il est plus que temps de prendre la parole pour raconter NOS histoires, légender NOS photos… » (en non pas la parole des Autres, des journalistes, politiciens, photographes…)

A propos légender des photos : la photo ci-dessous montre selon Beata U.M. un camp de réfugiés hutu (la légende ne parle « que » de « réfugiés » ; pour BUM on peut être certain qu’il y a également des génocidaires parmi ces réfugiés hutu). Le public qui voit cette photo « confondra donc Hutu avec les Tutsi, donc avec ceux qui ont été les victimes du génocide orchestré par les Hutus) …. « Ces albums ont hérité de la dialectique des médias, les images ayant tendance à réactualiser les stéréotypes les plus irrépressibles » (Nathan Réra « Rwanda, images du désastre, du temps de l’information au temps de la mémoire »)

A refugee camp in Benako, Tanzania swells with Rwandan refugees in 1994, but amid the desolation and despair, the shining face of a child gazes adoringly at her mother. (Sebastiao Salgado/ Amazonas Images)

Pareil pour la photo ci-dessous : Beata U.M. : « homme était un Hutu démocrate qui avait été attaqué par des miliciens hutu pour avoir refusé de participer au génocide » – mais le photographe Nachtwey (qui a reçu un prix pour cette photo) ne dit rien sur les faits sus-jacente à cette photo, et on « mélange » Hutu/Tutsi sans se poser trop de questions (vu que l’horreur dans ces pays là est la conséquence d’une haine quasi-« traditionnelle »).

Au plus fort des troubles rwandais de 1994, un survivant d’un camp de la mort hutu pose pour James. © James Nachtwey/Contrasto
Le même homme photographié par Jean-Marc Bouju qui lui a légendé sa photo avec l’information citée par B.U.M.

C’est que l’occident, par ailleurs à l’époque les yeux rivés davantage vers les Balkans et les 1eres élections en Afrique du Sud, a souvent essayé d’expliquer le génocide rwandais par des haines traditionnelles /ancestrales – ce qui, pour paraphraser B.U.M. – reviendrait à expliquer la Shoa par une « lutte interethnique » entre « Aryens et Sémites ».

La lecture est par ailleurs ravivée par la « remontée » du pays Rwanda sur le devant de la scène internationale, suite à l’intention de la Grande-Bretagne de renvoyer des demandeurs d’asyle par avions dans ce pays.

Récit à lire notamment pour ses réflexions sur la question de comment transmettre la mémoire (ainsi que du piège qu’est la transformation des souvenirs dans sa tête), le droit à l’image, et de se rappeler des responsabilités des pays occidentaux (notamment la France) dans ce génocide. Avec quelques passages durs (mais moins que ce que j’avais craint).

A propos lorenztradfin

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2 commentaires pour Le Convoi

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  2. Matatoune dit :

    Je suis restée éloignée de ce récit. J’ai eu peur d’être confrontée à l’horreur. Pure hypocrisie de ma part, car la photo de cet homme torturé, qu’il soit de l’une ou l’autre ethnie, montre de quoi les hommes poussés en groupe par la haine sont capables de faire. Alors pourquoi fuir les mots ? Je n’ai pas la réponse.

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