Un matin d’hiver

Un matin d'hiver

Présentation de l’Éditeur (Grasset) :

Une femme rencontre un homme, ils s’aiment. Ils ont la vie de tout le monde. Un couple, un enfant, une certaine lassitude qui n’est pas désagréable, aussi. Un jour, Dan annonce qu’il va voir ses parents aux Etats-Unis. Seulement voilà, il n’y va pas. Il disparaît même complètement de la vie de la narratrice.
Quinze ans après, l’obsession de la disparition s’étant émoussée, leur fille ayant grandi, d’autres hommes étant entrés dans sa vie, elle tente de gérer l’inexplicable. Peut-on vivre avec un fantôme ?

Une petite lecture digeste (141 pages) du « romancier du couple » – Philippe Vilain (dont j’avais apprécié « Pas son genre (2011) et « La femme infidèle » (2013)) – qui nous embarque cette fois-ci dans une histoire qui se trouve être plutôt une « retranscription » ou de « recomposition » des expériences d’une femme rencontrée lors d’un séminaire universitaire et dont il a « arrangé » en déplaçant des lieux et dates avec un « ensecrètement » le récit d’une femme/personne malheureuse, sur 15 ans.

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Lecture plutôt légère (malgré le sous-jacent triste/de malheur) qui m’a toutefois permis d’apprendre un nouveau mot (pour moi) les « Johatsus » (les évaporés) [Ce sont Léna Mauger et Stéphane Remael – photographe et journaliste qui en 2014 ont – semble-t-il – publié un livre sur ce phénomène de disparitions (volontaires) subites.]

En effet, après la description de l’avènement d’un amour entre une Française (chercheuse en littérature) et un Américain (sociologue) à Paris (beau chapitre 3) et la naissance d’un enfant (chapitre 4) suivis par le récit sommaire de 5 années de « bonheur relatif » (c’est le chapitre 7 qui constitue le « cœur » de l’ouvrage du « romancier du couple » avec les questionnement sur la fidélité, le désir, les silences, la « tendre mollesse renoncée, la grande anesthésie du désir » , de l' »amour qui a la nostalgie de son désir » Dan, le mari, disparaît page 66….

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Les chapitres qui suivent reconstituent la reconstruction de la narratrice (sur une dizaine d’années), les recherches faites, les entretiens avec la police (en France/ aux Etats-Unis), les échanges avec la fille…., les hommes « d’après » : « …ces hommes ressemblaient physiquement à Dan, ou bien ils avaient un point commun avec lui. Ce n’était pas prémédité, pourtant. Dans leurs bras, j’avais le sentiment d’une imposture, de m’être trompée de personne, et je regrettais, je finissais par les faire disparaître aussitôt après, comme par magie… » p. 120)

Ecriture sobre, une voix féminine (sous la plume d’un homme), une histoire d’amour et une « rupture » autre (sans explication, sans dispute….) qui correspond aux « évaporés » japonais.

Belle lecture (qqs heures agréables) – qui ne m’a cependant pas égratigné le cuir chevelu (juste « gratté » un peu dans le chapitre 7 et à la lecture des difficultés de se reconstituer) – la langue est « simple », d’un certain classicisme …. ) et ne m’a pas mis en branle comme l’avait fait « Une femme infidèle » (mais c’est une autre histoire !)

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Un entretien avec P. Vilain très intéressant dans Diacritik (pour qui ce livre est une rupture dans l’oeuvre – et son meilleur ! – soulignant par ailleurs une « écriture moraliste »). P. Vilain souligne dans cet échange la proximité avec des œuvres d’écrivaines telles que Annie Ernaux ou Camille Laurens – ce qui me le rend encore plus sympathique)

https://diacritik.com/2019/05/06/philippe-vilain-ecrire-dans-la-langue-de-lautre-social-un-matin-dhiver/

Vous changez également de genre narratif : de l’autofiction au roman strict, vous passez aussi d’une parole masculine à une parole féminine puisque votre roman est conduit par la voix de la narratrice, cette confidente évoquée dès la dédicace dont Un matin d’hiver s’offre comme la parole enchâssée. Comment s’est imposée à vous cette voix féminine ? En quoi s’agissait-il pour vous d’offrir un contrepoint à vos précédents récits ? Que vous a apporté cette infidélité faite à vos voix masculines pour la conduite du roman ?

Cette voix ne s’est pas imposée naturellement. La première version d’Un matin d’hiver reprenait une voix masculine, le je d’un homme dont la femme avait disparu. J’avais commencé ainsi parce que j’étais soucieux de dissimuler la vie de ma confidente et je tenais absolument à ce qu’elle ne soit pas identifiée. Mais cette voix masculine ne fonctionnait pas cette fois. Alors j’ai changé le point de vue narratif, et j’ai choisi d’adopter une parole féminine. Et le roman s’est écrit ainsi depuis l’autre rive narrative. Il fallait que j’adopte ce point de vue pour écrire ce texte et parvenir à me mette à la place de cette femme, en situation d’empathie. C’est une voix qui me dérangeait au début car elle me semblait procéder d’une facilité narrative, d’un procédé courant et assez simpliste pour émouvoir et chercher le lecteur en lui offrant du pathos. Je suis assez méfiant envers les textes dans lesquels un auteur change de sexe car j’y sens souvent l’artifice. Mais je me suis efforcé de conserver ma distance habituelle tout en m’abandonnant à décrire les sentiments et les émotions de cette femme.

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5 commentaires pour Un matin d’hiver

  1. princecranoir dit :

    140 pages c’est tout à fait dans mes cordes de petit lecteur.
    En plus le thème des évaporés (déjà au cœur du sublime roman graphique Quartier Lointain) est passionnant.
    Une fois de plus ta chronique tape juste pour me faire baver.

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  2. anniemots dit :

    Cela me fait penser à l’excellent roman de Peter Stamm  » l’un l’autre ». Bon week-end.

    L’un l’autre de Peter STAMM

    Aimé par 1 personne

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