Couleurs de l’incendie

Moi aussi je fais partie des lecteurs qui se sont « jeté » sur le nouveau roman de Pierre Lemaitre.

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530 pages d’un roman feuilletonesque qui se lit rapidement, facilement et arrive, sans problème aucun de jeter un pont entre le goncourisé  « Au revoir la-haut » » (2013) qui se passait à la fin de la 1ere guerre mondiale, vers les années 20 finissant/le début des années 30…. avec quelques personnages aperçus dans le premier (mais n’ayez pas peur : il ne faut pas avoir lu le 1er pour suivre, apprécier celui-ci.)

L’Éditeur Albin Michel résume ainsi :

Février 1927. Le Tout-Paris assiste aux obsèques de Marcel Péricourt. Sa fille, Madeleine, doit prendre la tête de l’empire financier dont elle est l’héritière, mais le destin en décide autrement. Son fils, Paul, d’un geste inattendu et tragique, va placer Madeleine sur le chemin de la ruine et du déclassement.
Face à l’adversité des hommes, à la cupidité de son époque, à la corruption de son milieu et à l’ambition de son entourage, Madeleine devra déployer des trésors d’intelligence, d’énergie mais aussi de machiavélisme pour survivre et reconstruire sa vie. Tâche d’autant plus difficile dans une France qui observe, impuissante, les premières couleurs de l’incendie qui va ravager l’Europe.

La famille Péricourt y joue un rôle important et c’est une floppée de satellites « secondaires » qui gravite autour de cette famille et notamment autour de Madeleine la vengeresse, son fils tétraplégique… , des traîtres et méchants, des lâches, des journaleux, des banquiers comploteurs…..après une entrée en matière (la scène des obsèques qui fera la joie d’un metteur en scène….) formidable.

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Extrêmement bien documenté (toutefois la documentation disparaît derrière un tissu romanesque crée de toute pièce …- [J’ai lu dans ce contexte dans Le Monde que pour cette documentation P. Lemaitre a travaillé avec Camille Cléret, une doctorante spécialiste de l’histoire des femmes dans les années 1930 (une femme à la tête d’une banque dans les années 30 n’était pas si courant – sauf si on songe au film « La Banquière » (de Francis Girod – Romy Schneider y jouait Marthe Hanau)].

S’ajoute à cela une cantatrice plus vraie que nature – Solange Gallinato (un mix de la Callas et de la Malibran) -, la nounou Vladi (dans tout le livre elle ne parlera que le polonais….) auxquelles P. Lemaitre rajoute une galerie de personnages dessinés souvent brossé en grands traits, sans aller très loin dans la psychologie, mais assez pour les sortir de silhouettes et pour nous, les lecteurs, de pouvoir nous les représenter (« L’enquêteur était assez gros, avec un nez en forme de navet, il portait une épaisse barbe et ressemblait assez au Ribouldingue des Pieds nickelés... » (p. 254) .

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August Macke – Portrait de la femme de l’artiste, avec chapeau

« Elle était célibataire. Divorcée, plus exactement, mais pour l’époque, c’était pareil. Son ex-mari, Henri d’Aulnay-Pradelle, croupissait en prison après un procès retentissant. Et cette situation de femme sans homme avait été un souci pour son père qui pensait à l’avenir. “On se remarie, à cet âge-là !, disait-il, une banque qui a des intérêts dans de nombreuses sociétés commerciales, ça n’est pas une affaire de femme.” Madeleine d’ailleurs fut d’accord, mais à une condition : un mari, passe encore, mais pas un homme, avec Henri, j’ai eu mon lot, merci bien, le mariage, soit, mais pour la bagatelle, il ne faudra pas compter sur moi. Quoiqu’elle ait souvent prétendu l’inverse, elle avait mis pas mal d’espoirs dans cette première union qui s’était révélée calamiteuse, alors maintenant, c’était clair (…). » Page 14

Lecture parfaite quand on a comme moi (actuellement) des journées bien chargées : c’est léger, haut en couleur – la langue : mélange de style littéraire, de langage parlé, de quelques adresse directe de l’auteur au lecteur… » (genre : tu te souviens encore de ce personnage…?) …. parsemé de petits pics à notre époque (ahh, ces similitudes entre la banque suisse et UBS…., les réflexions des conseillers fiscaux et des journalistes ….), se lit d’une traite, ne « prends pas la tête », a des airs de feuilleton (ou de séries TV) et n’a pas beaucoup d’autres but on dirait que de nous offrir un plaisir de lecture Dumas-esque, avec les petites longueurs qui vont avec….

Ainsi je lis, que P. Lemaitre a dit dans une interview qu’il a voulu rendre « hommage à la manière dont la littérature de Dumas, Balzac ou même Hugo a fabriqué le lecteur [qu’il est] aujourd’hui … Tout mon travail, est une salutation à la littérature qui m’a transmis le plaisir de la lecture. »

Une belle lecture d’évasion – qui toutefois n’a pas agi aussi fortement que « Au revoir la-haut » malgré quelques passages extraordinaires. Le livre se dévore mais ne s’ancre pas profondément (en moi) – oui un plaisir fugace comme peut l’être la bouche délicieuse, la sensation de douceur caressante d’un Château Branaire-Ducru (2002)…. On peut vivre sans (l’avoir lu) mais on aura raté un petit plaisir.

Casta Diva

« Paul que le manège de Vladi amusait souvent, consentit avec lassitude à sa demande de passer Casta Diva….Vladi…n’accompagna pas la musique en chantant elle-même, elle ralentit son ménage pendant la longue introduction comme si elle s’attendait, à chaque seconde, que survienne quelque chose de surprenant et de terrible, puis la voix de Solange Gallinato emplit la pièce, Vladi serra son plumeau contre son cœur. Elle ferma les yeux lorsque s’égrenèrent les trilles délicats de Queste sacre que l’artiste entamait de manière presque confidentielle et achevait sur une note claire, amis intime, comme un secret dont elle aurait été soulagée de se délivrer. Il semblait que la respiration de la chanteuse, prise à la première mesure, n’avait cessé de se dérouler jusqu’au demi-ton fatidique, ce là dièse d’antiche piante qui arrivait telle une confession. Vladi avait repris son travail, mais lentement, marquant un moment d’arrêt pour souligner la lente descente chromatique d’A noi vogli il bel sembiante que la Gallinato, fidèle à sa manière, osait achever sur une infinitésimale cassure qui vous retournait l’âme  (p. 114/115) ….

 

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7 commentaires pour Couleurs de l’incendie

  1. lebouquinivre dit :

    Il faut vraiment que je me mette à Lemaitre !
    Bonne journée !

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  2. CultURIEUSE dit :

    Rien lu de lui. Je ne me souviens pas si tu as vu le film? Je ne l’ai pas aimé du tout pour ma part. Mais je peux évidemment concevoir que l’écriture de cette histoire la magnifie.

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  3. Matatoune dit :

    Tout à fait d’accord. Le choc a été fort avec Au revoir Là haut, c’était nouveau de parler des gueules cassées de cette manière surtout après le centenaire de 14. Et peut-être que l’auteur a mis plus de loufoquerie qui a rencontré son public. Mais, je me précipiterai sur le 3ème avec la peur au ventre d’être terriblement déçue!

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