algérie noire

Présentation de l’éditeur (Julliard – Pocket)

Yasmina Khadra revient à ses premières amours, l’Algérie d’aujourd’hui, et dresse, avec Qu’attendent les singes, un portrait sombre et déliquescent de son pays.
9782260021940
« Merveilleusement maquillée, les cheveux constellés de paillettes, les mains rougies au henné avec des motifs berbères jusqu’aux poignets, on dirait que le drame l’a cueillie au beau milieu d’une noce.
Dans ce décor de rêve, tandis que le monde s’éveille à ses propres paradoxes, la Belle au bois dormant a rompu avec les contes.
Elle est là, et c’est tout.
Fascinante et effroyable à la fois.
Telle une offrande sacrificielle… »
Une jeune étudiante est découverte assassinée dans la forêt de Baïnem, près d’Alger. Une femme, Nora Bilal, est chargée de mener l’enquête, loin de se douter que sa droiture est un danger mortel dans un pays livré aux requins en eaux troubles.
Qu’attendent les singes est un voyage à travers l’Algérie d’aujourd’hui ou le Mal et le Bien se sentent à l’étroit dans la diablerie naturelle des hommes.

Yasmina Khadra nous offre avec « Qu’attendent les singes » (2014) un polar bien noir sur les bords et nous propose, à part dans le rôle principal l’Algérie/l’Alger d’aujourd’hui, notamment une femme commissaire (lesbienne) têtue et décidée de faire la lumière sur une affaire de meurtre(-s). « Dans une société phallocentrique, être femme et diriger des hommes relèvent aussi bien du supplice sysyphéen que du casse-tête chinois. Combien de fois n’a-t-elle pas surpris un subalterne en train de lui mater le derrière pendant qu’elle ouvrait la marche ? Combien de fois sa poitrine opulente n’a-t-elle pas distrait les collègues en plein briefing? » (p.21)

S’ajoutent à cela le lieutenant Guerd ainsi que le Deus Ex Machina omnipotent Haj Hamerlaine  » « il évoque une momie fraîchement désincrusté de son sarcophage…..E.D. jurerait que le vieillard passe ses nuits à se conserver dans une baignoire remplie de formol et ses jours à sécher sur un trône de dieu intermédiaire, refusant crânement d’abdiquer devant l’âge et le poids des péchés. Mais il sait surtout que ce bout de ruine humaine, ce petit vieillard au teint de poussière, est capable de provoquer un tsunami rien qu’en éternuant. » (p.31) et une foultitude d’autres personnes….dont Zine (celui qui « malgré un parcours exceptionnel sur les terrains minés, crapahute encore au bas de l’échelle hiérarchique »  (parce qu’il n’a pas brûlé les étapes les doigts dans le nez à coups de brosse à reluire et de courbettes…)(p.49)

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Ce polar nous invite aussi dans le monde pourri de l’Edition (Ed Dayem –  « Rappelez-vous notre devise lorsque le Comité vous a confié la charge de notre force médiatique : la vérité, c’est ce que les gens croient. Toute sainte vérité qui ne tient pas la route est allégation, toute énormité qu’on ne peut pas défaire est vérité absolue. » (p.39) et les hautes sphères politiques sans oublier les trésors des moyens empruntés par les membres de la société civile au système D pour survivre dans ce pays.

C’est sombre, âpre, bien écrit au scalpel – et ça fait mal.

L’intrigue traîne un peu au début à se mettre en place, on ne comprend pas toute de suite qui est qui et comment tout un chacun va se retrouver à devenir un petit rouage dans la grande machine à broyer.  Sachez que la fille assassinée (l’Algérie ?) va traîner (et déclencher) derrière elle – à cause de la bêtise et la cupidité humaine – une série d’assassinats et disparitions… et que le roman se terminera autrement que ce que le lecteur s’imagine au milieu du livre.

Les 316 pages du livre de poche se déroulent rapidement et – en effet – dépassent parfois l’entendement.

Une très belle découverte qui, le hasard fait parfois bien les choses, va de pair avec un article lu dans le Monde (daté du 31.10.15, p. 5 Culture) : un entretien (qui fait froid dans le dos) avec l’auteur de « 2084 » la fable orwellienne de l’écrivain algérien Boualem Sansal qui se définit « islamistophobe ».  Sansal dit dans l’entretien ce que Khadra décrit en sous-texte : L’arrivée de Bouteflika « dans une Algérie essorée par dix ans de violences. Il a fait la danse du ventre en disant que la guerre est finie, que nous allons connaître le bonheur. Un vent d’optimisme extraordinaire s’est mis à souffler »….. peu après « la lumière avait commencé à baisser en Algérie. Les gens se rendaient compte que la violence et la misère n’avaient pas disparus. »

Khadra ne dit rien d’autre dans ce petit polar (qui contrairement à « 2084 » parle toutefois peu de l’islam.)

A propos lorenztradfin

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5 commentaires pour algérie noire

  1. ça donne envie de lire ce roman, ton article, Bernhard( et puis il est en Poche) Je regrette l’éviction de Sansal du Goncourt. Manque de courage ? Le courage de ce jury réside-t-il seulement dans le fait de donner le prix à un livre trop érudit et un peu obscur ? ( attention, j’ai beaucoup aimé certains livres de Enard, mais Zone, je n’avais pas passé 40 pages, celui-ci, ça a l’air pareil )

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  2. CultURIEUSE dit :

    Quelle érudition, les copains! je n’ai lu ni l’un ni l’autre. Vous me conseillez celui-ci de Yasmina K.?

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  3. lorenztradfin dit :

    Je n’ai pas encore lu « 2084 » mais je pense le lire – vu que c’est dans l’air du temps…. quant à Khadra c’est difficile de te dire lequel est le meilleur … question de sensibilités…. UNe chose est sur – au moins dans les livres que j’ai lu – il se montre toujours observateur acerbe et critique avec une belle langue…

    Mon premier « A quoi rêvent les loups » , les Hirondelles de Kaboul » (à ne pas confondre avec « Les cerf-volants de Kaboul – de Hosseini) – surtout « L’Attentat » (un médicin va essayer de comprendre porquoi sa femme s’est fat exploser en kamikaze) et là je l’ai retrouvé avec les « singes »….en ayant fait l’impasse sur une longue série d’autres livres… Les trois m’ont passablement secoué et/ou interpellé….

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