Goncourt : et les finalistes sont (en date du 27.10.) : Hédi Kaddour (Les Prépondérants), Nathalie Azoulai (Titus n’aimait pas Bérénice), Mathias Enard (Boussole) et Tobie Nathan (Ce pays qui te ressemble).
J’ai un mètre d’avance et sors de la lecture de « Titus n’aimait pas Bérénice » de Nathalie Azoulai, et me suis mis à arpenter mon appartement avec « Bérénice » de Racine en main, déclamant ses alexandrins d’une pure merveille, en me chuchotant que la littérature aide à vivre (et à survivre). Une vrai surprise ce roman dont la langue paraît presque être d’un autre age.
Nathalie Azoulai ne réussit certes pas (à mon humble avis) complètement de lier l’histoire de la narratrice qui vient d’être quittée par son amant (marié) et qui se jette dans la vie et la création de Racine pour traquer et essayer de comprendre comment un janséniste, bourgeois, courtisan était capable d’écrire une tragédie telle que « Bérénice » et pour sonder aussi pourquoi son amant, « qui l’aimait, n’a pas voulu/su quitter sa famille ? De fait le « présent d’aujourd’hui » ne s’offre au lecteur que rarement (p.11 – 18 — « On dit qu’il faut un an pour se remettre d’un chagrin d’amour. On dit aussi des tas d’autres choses dont la banalité finit par émousser la vérité. » ; p. 190-202 et 310 – 313), et c’est finalement plutôt une biographie de l’intérieur de Racine qu’elle nous offre, le récit d’une vie riche en rebondissements, compromissions et créations (et c’était un vrai plaisir pour moi, qui n’aime pas lire des biographies). Dans le premier tiers du livre, avec la description de la formation de racine il y a des pages enchanteresses sur la traduction :
Prenez p.ex. les propositions pour : « Ibant obscuri sola sub nocte per umbram » :
« Ils avançaient seuls dans la nuit sombre » (?); « Ils avançaient, à travers l’ombre, obscurs dans la nuit solitaire » (?) ou plutôt « Ils allaient obscurs dans la nuit seule. (?)…. et on perçoit le travail de la recherche du sens, du rabotage, amaigrissement jusqu’à l’os que nous, les traducteurs, pratiquons chaque jour….
« Le français montre ses articulations comme un chien ses dents, exhibe un squelette aux os noueux tandis que le latin dissimules ses jointures. Et dans ces ellipses, le sens pousse, afflue comme des odeurs s’exhalent de la terre humide. » (p.27 )
» Il aime que les langues se parlent en sous-main, qu’elles tissent des dialogues impalpables, invisibles à l’œil qui ne les traduit pas. Qu’on ne distingue plus les affluents du fleuve principal….. » (p.41)
Je me suis éclaté en lisant des phrases ciselées de ce type…. ou aussi quand Racine est la première fois au bord de la mer…: « …c’est un drapé bleu et vert qui se soulève de part en part, une nappe qu’on a dressée sur les confins pur que les hommes circulent, voyagent, se rapprochent, s’éloignent, ou se perdent. Comme Ulysse. Plus que les forêts, les plaines, les vallées, la mer le rend sensible à l’idée des bords. » (p.127)
Nathalie Azoulai nous décrit avec une sensibilité limite écorchée vive la modernité des réflexions des anciens, nous fait vivre la ferveur d’écriture…. , nous fait bien ressentir la rivalité de Racine avec Corneille, ses déboires avec Molière, et surtout avec les femmes aussi (c’est une plongée dans un monde que je n’ai pas appris à l’école – Racine je le connaissais que pour « Phèdre »….
https://www.youtube.com/embed/ZqMIUoeubLI« > (Idylle sur la paix – paroles de Racine _ musique de Lully)
J’ai perdu un peu intérêt à ce livre quand Racine quitte le théâtre (et l’écriture de pièces) pour se consacrer à l’écriture des Cantiques Spirituelles pour le Roi (et Mme de Maintenon) – voyant aussi que le lien avec le « présent » était finalement assez tenu à mon goût –
(en montant des marches vers la chambre de son amant malade – précédé par l’épouse de celui-ci…:) « ….Il y a Titus et, en face, il y a Bérénice, sur des bords opposés. Titus ne veut pas quitter Roma. Si bien que Bérénice est obligée de faire l’article de son amour, sa réclame. Dans son pauvre boniment, elle plaide pêle-mêle pour la primauté du désir, la capacité des enfants à pardonner, l’insignifiance d’un patrimoine. Tu ne l’emporteras pas dans ta tombe, repète-telle à Titus, comme une vieille épouse. Nous y sommes, dit la femme en haut de l’escalier. …. » (p.197)
…mais dans l’ensemble un tour de force d’une beauté qui devrait ravir tout personne qui aime la langue comme moyen d’expression (je pense toutefois que le texte est trop « élitiste », pas assez « populaire » pour réussir le Goncourt de cette année) .
bien bien bien ! encore un livre à noter. En rangeant ma bibliothèque, je me suis aperçue que j’ai encore 12 livres achetés qui m’attendent…Alors pas tout de suite, Racine !
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