La Fille parfaite

Avant-dernier livre de la liste des candidats pour le Prix du Livre Inter 2022 – et encore un aspirant au podium ?

Dernier né de Nathalie Azoulai dont j’avais aimé « Titus n’aimait pas Bérénice » (Médicis 2015) duquel j’avais écrit : « ….mais dans l’ensemble un tour de force d’une beauté qui devrait ravir tout personne qui aime la langue comme moyen d’expression (je pense toutefois que le texte est trop « élitiste », pas assez « populaire » pour réussir le Goncourt de cette année)... ». J’avais écrit pour « Les spectateurs » (son 2e roman) : « N. Azoulaï m’avait pris à la gorge avec son « Titus n’aimait pas Bérénice« , là elle m’a souvent laissé en plan. Pour moi, trop de sujets, une structure narrative qui m’as paru trop du genre « faire compliqué » -, même si sa sensibilité (à fleur de peau dans « Titus »  déjà) fait parfois des merveilles. »

Et je suis tenté de reprendre une nouvelle fois à mon compte ces remarques pour ce roman sur la (ou les) fille(s) parfaite(s), et les maths et la littérature.

Présentation de l’Editeur (P.O.L.)

Quand, un beau matin de juin, Rachel apprend qu’Adèle, son amie de toujours, s’est pendue chez elle, elle se sent à la fois assommée et allégée. Une réaction à l’image de cette amitié tumultueuse qui a toujours provoqué en elle un mélange de fusion et de malaise profond. À partir de cette ambivalence, Rachel mène l’enquête et s’interroge sur ce qui a pu mener une fille aussi parfaite qu’Adèle, brillante mathématicienne et mère d’un jeune garçon, à se supprimer aussi violemment à 46 ans.

Elle revient sur la naissance, les étapes et les péripéties de leur histoire en butant sans cesse sur ce qui l’a fondée, un serment tacite dès le lycée, un deal crucial : au pays du Savoir, Adèle prendra les Sciences et Rachel les Lettres. Ont-elles eu pour ambition de couvrir tout le spectre ? Mais de quoi ? De la connaissance, de la réussite sociale ? Pour le dire autrement : pourquoi Adèle choisit-elle les maths, la « voie des garçons », quand Rachel choisit la littérature, la « voie des filles » depuis toujours ? Mais est-ce vraiment ainsi que les choses se passent dans la vie ? Jusqu’à quel point ?

À travers cette amitié au long cours, c’est un roman d’apprentissage à deux têtes qui se déploie, où l’orientation scolaire détermine bien plus qu’un cursus en façonnant l’intelligence et toute une existence, les relations familiales et amoureuses, la maternité, l’ambition et le rapport au monde… Notamment quand on est une femme et qu’on s’attaque au territoire des hommes.

Franchement c’est brillant, parfois même brillantissime, et toutefois elle m’a parfois un peu perdu la narratrice. Non pas à cause d’une structure narrative alambiquée (et/ou compliquée) : on est dans le présent avec des retours en arrière (flash-backs) aisément reconnaissables et voit une femme dérouler le fil d’Ariane son amitié (« cyclique où trop de proximité occasionnait une surchauffe. » (p. 137)) de plus de trente ans avec une autre femme, qui vient de se suicider (à 46 ans), laissant un enfant et un mari….

Quand on se pend, on se rate rarement, or il paraît que le suicide est moins fatal chez les femmes, qu’elles appellent plus souvent à l’aide qu’à la mort. Bon, je n’ai pas fait une étude non plus, j’ai seulement regardé deux ou trois sites vite fait sur mon téléphone une fois dans le taxi. J’ai vu que chez les Mayas, il y avait une déesse du suicide et qu’elle s’appelait Ixtab, que le suicide était plus noble s’il était pratiqué par pendaison. (p. 10)

Désespoir, figure féminine qui se pend et diable qui la saisit par les cheveux, par Giotto (1267-1337), détail du cycle de fresques Les Vices et les Vertus [https://www.meisterdrucke.fr/fine-art-prints/Giotto-(c.1266-1337)/1104078/.html]

Il y a Proust, Freddy Mercury (« The show must go on » – une chanson sur laquelle Adèle s’est « même » mariée…), Kafka, Ozu (oui, oui), la Norvège, mais aussi les Gödel, Post, Dirac, Nash et autres Grothendieck à côté ou au-dessus, parfois en-dessous Virginia Woolf et sa « Mrs Dalloway » ….(info : Nathalie A. vient de sortir une nouvelle traduction – c’est la 4e en frç… – de ce roman – et que je mettrai certainement sur ma liste de PAL, puisque je ne le « connais » qu’en version cinéma – « The hours »).

Mais – comme l’indiquent les personnages cités ci-dessus – il y a surtout la question être scientifique (matheux) ou littéraire (ou un peu des deux ?). Adèle (milieu modeste avec un père qui la pousse vers les maths) et Rachel (milieu littéraire/universitaire) – l’une qui collectionnera les prix de math’ prestigieux (et rate de peu la médaille Fields), l’autre qui publiera des romans à succès à la pelle – elles se jalouseront, se brouilleront, se réconcilieront, tout en constatant qu’elle sont (ont été), prises dans leur ensemble fusionnel, d’une certaine manière « la fille parfaite ». 

« Vu d’ici, ça semble grotesque, mais sur le moment, c’était comme si nous avions regardé ensemble une fleur éclore, un cœur palpiter, on en tremblait. On n’avait encore jamais atteint un tel degré de symbiose. A cet instant, sur le pont du bateau, il n’y avait plus ni Adèle Pinker ni Rachel Deville. Nous n’étions plus deux individus distincts, mais une seule substance en fusion, ni homme ni femme, une substance humaine, une tête à deux corps missionnée pour fouiller, se relayer et trouver ce qu’était la beauté : un mélange de puissance et de délicatesse. Ce n’était certes pas la lune, mais pour des filles de vingt ans, c’était exaltant. (p. 150)

On est est très loin d’une amitié genre « L’amie prodigieuse » (décrite par E. Ferrante) – ici rien n’est fait de nous rendre particulièrement attachant une des deux filles (je les ai trouvées toutes les deux (surdouées sur les bords) un peu genre « bêcheuse » (certainement ma jalousie – tzz).

Une belle étude de la féminité, de l’influence des parents (et du milieu social – ou « même » du père avec sa fille – notons l’utilisation par Rachel du terme « Adèleetsonpère« ) sur le cursus scolaire (et le chemin vers la « réussite », réflexions sur la maternité aussi, mais surtout aussi de la difficulté de se frayer une place dans un monde « masculin » (notons aussi la majuscule de « Fille » dans le titre !).

Beaucoup de sujets donc traités (on doit faire attention à tous les détails, chacun a/aura son importance, ce qui rend le roman assez dense), ce qui n’empêche pas quelques traits forcés et quelques idées reçues sur la juxtaposition homme-femmes dans le monde scientifique. A souligner toutefois la belle langue utilisée par Nathalie Azoulai (qui n’hésite pas à juxtaposer une langue parlé à une langue (très) soutenue.

Toutefois, je dois dire que j’ai préféré « Titus…. »

Je ne veux pas que Nicolas* fasse des maths. Je compte sur Rachel.

[* le fils d’Adèle]

A propos lorenztradfin

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