Challenge – 5 photos – 5 histoires (5 et fin)

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Dans la La Chute (Camus) on parle bien de ce « vaste ciel où se reflètent les eaux blêmes » pour continuer ainsi :  « Le ciel de Hollande est rempli de millions de colombes, invisibles tant elles se tiennent haut, et qui battent des ailes, montent et descendent d’un même mouvement, remplissant l’espace céleste avec des flots épais de plumes grisâtres que le vent emporte ou ramène. Les colombes attendent là-haut, elles attendent toute l’année. Elles tournent au-dessus de la terre ».

Ici nous ne sommes pas en Hollande, mais assistons à une figure de danse des nuages autour de la Dent de Crolles (38). Ce n’est pas un mois de septembre comme dans le poème de Brecht que j’ai toujours aimé, depuis le banc de l’école, ou il fallait l’étudier, apprendre par cœur, jusqu’à aujourd’hui ou tant de jours, de mois, d’années se sont écoulés et tant de choses oubliées…. mais un mois de juillet ….

C’était par un beau jour du bleu septembre,
Silencieux, sous un jeune prunier,
Entre mes bras comme en un rêve tendre,
Je la tenais, la calme et pâle aimée.
Par dessus nous, dans le beau ciel d’été,
Il y avait tout là-haut un nuage,
Toute blancheur, longuement je le vis,
Et quand je le cherchai, il avait fui.

Depuis ce jour, beaucoup, beaucoup de mois,
Avec tranquillité s’en sont allés.
On a sans doute abattu les pruniers
Et si tu viens à me dire: Et l’aimée?
Je répondrai: je ne me souviens pas.
Bien sûr, je sais ce que tu as pensé,
Mais son visage, il n’est plus rien pour moi,
Ce que je sais, c’est que je l’embrassai.

Et ce baiser serait en quel oubli,
Si n’avait pas été là ce nuage!
Je me souviens et souviendrai de lui
Toujours, de lui très blanc qui descendait.
Les pruniers peut-être ont encore fleuri
Et la femme en est au septième enfant,
Mais ce nuage, lui, n’eut qu’un instant
Et quand je le cherchai, mourait au vent.
  
                        

Souvenir de Marie A – Bertolt Brecht  (traduction Maurice Regnaut) 

Déjà dans mon enfance, mais même encore aujourd’hui cela m’arrive, couché sur un lit d’herbe pour  regarder cette piste de danse azur immense sur laquelle les nuages se déplacent aux rythmes parfois lancinants – ou deviennent aventuriers, chevaux ou autres créatures éphémères, lutteurs aussi… Ce n’est que sur le tard que j’ai lu un texte sur la méditation (que je ne pratique pas) par Osho Raineesh « Mon chemin, le chemin des nuages blancs » avec un traité sur les nuages :

« La totalité de l’existence est pareille à un nuage blanc : sans aucune racine, sans aucune causalité, sans cause ultime, elle existe. Comme un mystère, elle existe. Un nuage blanc ne choisit pas son chemin. Il se laisse emporter. Il n’a nul endroit à atteindre, pas de destination, aucune destinée à accomplir, aucun objectif final. Vous ne pouvez décevoir un nuage blanc, car où qu’il arrive, là est son but. Un nuage blanc est emporté là où le vent le pousse – il ne résiste pas, il ne lutte pas. Un nuage blanc n’est pas un conquérant et pourtant il survole tout. Vous ne pouvez le vaincre, vous ne pouvez le soumettre (…)
Un nuage blanc vagabonde dans le ciel, en dehors du temps, car, pour lui, il n’y a pas de futur, pas d’intention. Il est ici et maintenant. Chaque instant est l’éternité entière (…) »

Là je me suis laissé entraîner, un mot a donné la main à l’autre …. La page blanche comme lieu ou se bousculent les mots-nuées  pour reproduire ou nommer l’impalpable ….

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Chateaubriand : « fixant mes regards au ciel, je commençais une incantation. Je montais avec ma magicienne dans les nuages […] j’allais, au gré des tempêtes, agiter la cime des forêts, ébranler le sommet des montagnes, ou tourbillonner sur les mers. […] Je devenais le nuage »(Mémoires d’outre-tombe I, 227-228)

Chartreuse - Ce qu'on voit de la Sure

Maintenant ce n’est pas le nuage mais moi qui fuis …..

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* Challenge proposé par Evelyne Holingue, écrivaine (vous lirez son premier texte en cliquant sur le lien).

C’est mon amie blogueuse La Livrophage (une lectrice en campagne) qui m’a invité d’y participer – et j’ajoute ma pierre à ce fragile exercice

Est-ce que le cadre d’une histoire, d’un roman importe pour vous lorsque vous lisez ou écrivez ? Est-ce que la géographie d’un lieu devient aussi essentielle qu’un personnage ? Développez-vous une affection particulière pour un lieu, qui pour des raisons parfois obscures vous donne l’impression de l’avoir toujours connu ?

Les règles du challenge Cinq Photos Cinq Histoires sont simples :

– Une photo et un texte associé à la photo pour cinq jours consécutifs.

– Le texte et sa longueur sont laissés au choix du blogueur ou blogueuse.

– Contacter un autre blogueur/blogueuse pour continuer le challenge. Aucune obligation, bien sûr.

A propos lorenztradfin

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2 commentaires pour Challenge – 5 photos – 5 histoires (5 et fin)

  1. Eh bien, apothéose pour le final…Je ne connaissais pas ce poème de Brecht, que je vais garder, pour y penser et le retenir quand je regarderai les nuages. Avec une pensée pour Bernhard le blogueur, comme un nuage blanc.

    Aimé par 1 personne

  2. lorenztradfin dit :

    Merci, je deviens tout nuageux là.
    Si tu avais vu le film « La vie des autres » …. le poème est cité à un moment (opportun)…..

    Aimé par 1 personne

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