« La lune est le dernier monde sauvage à portée de regard. »
Un petit bijou – littéraire comme dirait G.B. qui gentiment m’a fait découvrir ce livre (Un grand Merci G.!) . Et pourtant j’avais hésité, n’avais pas lu les précédents livres de S. Tesson, et là, après la remise du prix Renaudot 2019, je me suis dit, alors essaie, va voir ce que ça vaut, sans pourtant l’acheter.
Hasard du moment, Al. et Th. (qui lui connaît personnellement V. Munier pour avoir été avec lui pour voir/entendre le brame des cerfs en Sologne…), me parlaient de l’avant-première du film qui a été réalisé sur l’aventure….. et en sortaient ravis.
Longue introduction sur un livre qu’on résume difficilement (pourtant il n’a « que » 167 pages), tant il mélange dans un cocktail saisissant (pour celui qui veut bien s’y prêter : ma compagne a laissé tomber après 62 pages….! – et à en croire à qqs critiques sur le net, il y en a qui disent qu’un livre sur l’attente dans le froid peut devenir « rather boring »), cocktail donc d’ingrédients tels que la Nature (sa beauté et immensité, son hostilité aussi – par – 35°C, sa faune (les ânes, les Yaks, la panthère), la flore), la littérature (s’y côtoient pèle-mêle : Novalis, Ernst Jünger, Hölderlin, Pline l’Ancien, Alexandre Dumas, Ylipe et bien d’autres), l’Art aussi (le chapitre « Les arts et les bêtes » – p. 99 – 104 vaut tout cours sur l’évolution de la représentation de la panthère dans les Arts) et la Philosophie (Tao, Heidegger, Nietzsche et j’en oublie).
Et pourtant ça reste un livre d' »aventure » (intérieure aussi), le récit d’un voyage à 4 au Tibet (un photographe mondialement connu pour ses photos animalières, sa fiancée (qui filmera), un assistant et S. Tesson himself), la description (pas ennuyante du tout – vivent l’humour et les pics de S. T. !), récit de quelques semaines d’affût au fond d’une vallée du Tibet, caractérisées notamment par de (très) longues heures d’attente, d’égrenage d’heures…. jusqu’à ce que le petit groupe aperçoit pour la première fois la panthère tant recherchée. (au total ils la verront 4 fois).
Touchant (entre autres) dans ce récit truffé aussi de considérations sur la vie « moderne » et urbaine, la superposition de la mère de S.T. (morte qqs mois avant), d’une ex-compagne avec la panthère (« …si je croisais la bête, mon seul amour apparaîtrait, incorporé à la panthère. J’offrirais chacune de mes rencontres à son souvenir défait. » (p. 94)
« Partout où son regard se posait, il voyait des bêtes ou devinait leur présence. Et ce don, comparable à l’éducation du passant raffiné qui, déambulant dans la ville, vous signale une colonnade classique, un fronton baroque, un rajout néo-gothique, offrait à Munier de se déplacer dans une géographie sans cesse enluminée et toujours généreuse, palpitant d’habitants dont un œil profane ne soupçonnait pas l’existence. »
« Au Tibet, les pièces familiales sont des ventres chauds où racheter les jours de grésil. Un chat dormait, recelant dans ses veines le gène dilué de la panthère: pour avoir choisi de ronfler au chaud, il ne connaîtrait plus la jouissance de saigner un yack. » (p. 97)
Grâce à un style très particulier – des phrases souvent courtes, aiguisées et pourtant très élaborées, réduites à l’essence même, intercalant parfois des Maximes, des bouts de littérature (éclectiques) S. Tesson a réussi un livre qui peut devenir un livre de chevet pour les bobos urbains que nous sommes (que je suis).
Moi qui n’aime pas trop les récits « naturalistes » (de type appel au retour à la nature, critique du monde urbain trop rapide, dévorant) avec des hymnes à la « contemplation » – surtout si toute la classe éditoriale met l’auteur, avec sa gueule et son dos « cassés », sur un piédestal et l’invite un max’ sur les plateau des médias…) j’ai reçu une petite claque avec ces « vérités » parfois galvaudés mais bons à être rappelées.
« A Paris, je butinais des passions désordonnées. « Nos vies hâtives, avait dit un poète. Ici, dans le canyon, nous scrutions les paysages sans garantie de moissons. On attendait une ombre, en silence, face au vide. C’était le contraire d’une promesse publicitaire : nous endurions le froid sans certitude d’un résultat. Au « tout, tout de suite » de l’épilepsie moderne, s’opposait le « sans doute rien, jamais » de l’affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable. !
Je me jurais, une fois entré en France, de continuer à pratiquer l’affût..(…) ….. A la fenêtre de sa chambre, sur la terrasse d’un restaurant, dans une forêt ou sur le bord de l’eau, en société ou seul sur un banc, il suffisait d’écarquiller les yeux et d’attendre que quelque chose surgisse..(…) … L’affût était un mode opératoire. Il fallait en faire un style de vie. » (p. 110-111)
Un très, très beau livre !! A dévorer ou à lire par petits bouts, glanant des aphorismes, pensées philosophiques, questionnements sur soi, sur le monde. [J’achèterai ce livre qui a toute sa place dans ma bibliothèque….]
Lien vers un entretien avec V. Munier (et les photos que j’ai reproduites ici)
https://alpinemag.fr/tibet-vincent-munier-et-linsaisissable-panthere-des-neiges/
Très belle chronique. J’avoue ne pas forcément aimé le style de Sylvain Tesson, pourtant à la lecture des citations reproduites ici, cela me tente . Alors, peut-être que ce livrest à prendre et à laisser puis à reprendre lorsque l’envie revient pour y goûter le talent d’écriture indiscutable de cet auteur. En tout cas, merci pour cet avis qui me fait changer mes perceptions….😉
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Aimer , désolée pour la faute !
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…. vive les « fôtes » (on s’en balance – si je devais payer un Euro pour toute « fôte » commise dans ces pages, je pourrais m’acheter un nouveau vélo je pense ! Merci pour ton commentaire. Comme tu dis, toute est dans le « pourtant » …. S’il n’y avait pas G.B. mon ami lecturien je n’aurais jamais pensé ouvrir un livre de S.T.
Et je parlais de « pouvoir reprendre la lecture » parce que au moment de la lecture j’avais bcp de travail et ne pouvait pas « lire, comme on court : d’une seule traite en ménageant son souffle » (S. Coher) – et que ça passait (de toute façon 167 pages, assez aérées… tzzz) sans trop de mal à retourner dans la neige et l’attente. Pourtant ta phrase sur le « n’aime pas forcément le style » m’interpelle moi, je vais devoir lire un autre de ses fascicules pour me faire une (autre?) idée de ce type curieux.
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Mon compagnon l’a acheté et lu, il est dans notre bibliothèque. Il n’a pas été aussi enthousiaste que toi, mais si tu l’as aimé je vais le lire. Je trouve aussi que ST passe trop à la télé…enfin, il fait ce qu’il veut, mais moi ça me gave.
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Comme je disais, ma compagne l’a lâché rapidement…’tant de choses qu’on déjà entendu mille fois ‘ et l’émerveillement devant la nature l’a ‘gaveé ‘. … elle n’est pas allé voir non plus le dernier Malick…. un fossé …. entre deux perceptions.
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…qui n’empêche en rien l’ entente amoureuse. Et même la galvanise!
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Hem
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😀
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Faudra qu’on en parle……
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C’est l’animal littéraire le plus prise de cet hiver !
Je constate que les aventures de Tesson au Tibet font un carton aussi dans tes colonnes. J’enfile mes moufles et je taille la neige. 😉
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prisé, bien sûr voulais je dire. 😁
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