
Prenons une île sans nom (certainement une île de la Frise). Elle ne sera pas aussi grande que Sylt, plutôt genre Amrun, Föhr, Borkum ou d’autres, accessible par de petits ferries quelque part dans le Nord d’Allemagne, ferries qui déversent les visiteurs d’une journée et parfois des vacanciers à la recherche de l' »authentique », des traces des chasseurs de baleines d’antan….. ou les plages avec les banquettes de plage. (Strandkorb).

Voici le « décor » du dernier roman de Dörte Hansen que vous n’allez probablement pas pouvoir aussi vite lire en français. C’est déjà son 3e livre, pour bon nombre de lecteurs son meilleur, et je sors de la lecture comme envouté, enveloppé d’une mélancolie que cette auteure distille avec sa langue, sa musique (je ne sais comment !) et les personnages qu’elle décrit. Le seul traduit jusqu’ici c’est « Altes Land » (« A l’ombre des cérisiers ») – l’autre : « Mittagsstunde » ne semble pas être disponible en français (et pour cause, comme je le disais alors dans mon article).

Traduction approximative (avec qqs modifs pourtant de ma part) de la présentation du roman par son éditeur (Penguin Verlag)
Le ferry met, selon la force de la houle, à peu près une heure pour rejoindre cette petite île de la mer du Nord depuis le continent. L’ile a deux petits villages. C’est ici que vit, depuis près de 300 ans, la famille Sander. Ils sont cinq. Hanne a élevé trois enfants. Jens, son mari, autrefois capitaine, a abandonné la navigation et s’est « refugié » (ou « retranché » c’est selon) sur un coin isolé de l’île (la partie des Dunes) et travaille comme ornithologue, tournant ainsi le dos à sa famille. Ryckmer, l’ainé, est aussi capitaine de formation, mais après avoir vu une vague scélérate (« mur d’eau« ) il commence ses journées avec une bouteille de bière. Eske, la fille tatouée comme un marin, qui « apaise » sa vie par la musique Heavy Metal, travaille dans une maison de retraite et souffre de voir mourir (ou disparaitre) les vieux de l’île et avec eux le patois/le dialecte si spécifique. Et elle n’aime pas les flux de touristes (les « troupeaux« ) qui cherchent le côté folklore des « pêcheurs » et insulaires. Henrik, le cadet, rompant avec la « tradition familiale » n’a jamais pris un bateau, travaille en été comme maitre-nageur et est devenu « quelqu’un » en ramassant du bois et des débris flottants et les transformant en œuvres artistiques. Dörte Hansen décrit par des chapitres plus ou moins longs alternants, passant d’un personnage à l’autre, la vie (et l’histoire) de la famille Sander (et de la vie sur l’ile) qui évolue dans un monde qui change.
Le roman passe donc d’une personne à l’autre, et n’oublie pas non plus de brosser le portrait de quelques habitants et surtout du pasteur (sa femme préfère désormais vivre sur le continent et ne vient que pour des week-ends. Il a donc « perdu » sa femme et perd peu à peu sa foi aussi. [« …Il ne veut pas être un homme qui doit rentrer le soir dans une maison vide et se sent comme un « ‘calcul négatif » : père de famille moins famille. Couple moins la femme.« ]
On pourrait (éventuellement) reprocher que les personnages semblent avoir été cochés dans un catalogue des Frises, brossés avec un art consommé de la silhouette et avec une profondeur psychologique davantage suggérée que approfondie, mais à la fin de la lecture et des 4/5 chapitres consacrés à chacun on a une bien belle idée (et représentation) de tout un chacun (et les personnages évoluent au fil des pages).

Enfin, le roman (qui est plutôt comme une suite de mini-nouvelles intimement liées l’une avec l’autre) ne parle pas que des ressentis et/ou problèmes des personnages, mais décrit en filigrane la vie (sur l’île et ailleurs) en train de changer. Il n’y a plus de femmes de marins qui attendent (anxieusement) le retour des bateaux, les touristes ne se satisfont plus des chambres à louer chez les pêcheurs (avec toilette dans le couloir), préférant les apparts ou hôtels avec Spa et/ou stage de yoga (pour « décélérer »), et bon nombre de gens aisés se paient une maison secondaire sur l’île, avec les conséquences qu’on s’imagine …. A côté de cela il y a aussi un chapitre qui parle d’une baleine échouée (son dépeçage attire les foules – et rappelle le travail des pécheurs de baleines d’antan),

Je me répète, ce qui est extraordinaire dans ce roman c’est la capacité de l’autrice de créer des personnages (plus vrai que nature), de tisser une véritable atmosphère, de la saupoudrer avec de l’ironie quand c’est pour montrer du doigt les déviances de notre société, de laisser infiltrer une mélancolie, sorte de basso continuo nostalgique, et de proposer parfois de métaphores d’un charme inouïe.
J’avoue cependant, que le fait d’être allemand, d’avoir passé plusieurs colonies de vacances sur l’île d’Ameland (Pays-Bas) en tant qu’écolier et/ou plus tard en tant que moniteur, me souvenant donc de la mer rude de là-bas, des paysages de dunes, des petits villages avec les maisons recroquevillées pour affronter le vent, des squelettes de baleines échoués – buts ou objectifs de nos sorties d’antan en groupe -, les os de mâchoires de baleines utilisés comme clôture ou portique, tous éléments évoqués dans ce roman, ne sont probablement pas pour rien de mon enthousiasme. Néanmoins je vous incite à lire le(s) livre(s) de Dörte Hansen. Il apporte autre chose que ce qu’un roman se passant en Bretagne pourrait vous apporter.

Bravo pour cet article très inspirant. Il me renvoie au souvenir d’une autre île fictive plus à l’ouest, peuplée de Banshees et d’éleveurs de moutons. Pas de baleine échouées, il est vrai, mais des sentiments mouvant au gré des marées.
J’aimeAimé par 1 personne