Vous avez certainement entendu parler de « Le Discours« , roman de Fabrice Caro (fabcaro) ou de sa mise en images pour le cinéma par Laurent Tirard (avec Benjamin Lavernhe et Sara Giraudeau – pas vu à l’époque). Je vous viens aujourd’hui avec l’adaptation de ce roman en pièce de théâtre pour une seul-en-scène.

C’est Grégory Faive (Compagnie Le Chat du Désert) qui s’y est collé et avec maestria ! A la lecture du livre (que j’ai feuilleté après-coup seulement) on se rend bien compte que le roman peut être lu comme une pièce de théâtre (ce qu’on voit : un dîner familiale – et ce qu’on entend : le monde intime d’une personne (névrosée – il fait bien le reconnaitre) qui saute de coq à l’âne dans une ambiance mélancolique (dépressive diraient d’autres) avec des accents mordants et cyniques mais souvent profondément juste et drôle aussi)).
L’histoire en qqs mots :
Un homme (Adrien) est assis à la table pour un dîner en famille. Lui est le seul qui est « seul » sans être accompagné par sa « moitié ». On lui demande de bien vouloir se charger d’écrire (et prononcer) le discours pour la mariage de sa sœur avec Ludo(vic). Mais il n’a pas la tête à ça puisque il attend un réponse à un SMS qu’il a adressé à son amie (Sonia) qui à décidé de « faire une pause », pause qui a duré trop longtemps pour lui (38 jours déjà), trop longue, comme les minutes qui s’égrènent sans qu’il y est une réponse qui vienne…. et à partir de là son esprit vagabonde, se perd dans le passé, les conjectures, l’observation et la critique des autres convives…
Que se passerait-il si j’en parlais là, ce soir, tout à coup, entre deux calculs sur la taxe d’habitation ? Voilà, j’avais une amoureuse, nous étions ensemble depuis un an, mais elle m’a quitté il y a trente-huit jours, elle s’appelle Sonia, je suis abattu, j’ai un poids constant sur la poitrine et je suffoque, elle a lu mon message à 17h56 sans y répondre, qu’est-ce que vous me conseillez de faire ? Vous croyez qu’elle pense encore à moi ? Ça vous est déjà arrivé ? Et peut-être à partir de cette instant précis nos rapports changeraient-ils du tout au tout, peut-être découvrirais-je de nouveaux visages, en fait tout ça n’était qu’une couverture, la taxe d’habitation, le gratin dauphinois, peut-être une profondeur insoupçonnée surgirait-t-elle tout à coup de nulle part, sous le chauffage au sol, une fois la dalle arrachée, trouverait-on du Shakespeare, du sang, des larmes, de la sueur, de la vodka sur des violons tziganes ? Mais non. Les quatre personnes autour de cette table sont probablement les moins habilitées sur Terre à pouvoir me soulager. Au mieux ma mère irait en silence dans la cuisine me préparer un jus d’orange pendant que mon père m’enverrait un clin d’œil complice totalement hors sujet. » (p. 81)
Je me suis intéressé à la pièce (faut dire qu’à l’époque ma fille m’avait recommandé la lecture – et j’ai laissé tomber après 10 pages – je n’ai pas vu le film non plus), puisque mon amie P. m’a proposé de l’accompagner à une rencontre matinale avec l’acteur autour de l’univers de Fabrice Caro à la Médiathèque Gilbert Dalet à Crolles et surtout à un atelier de lecture sous la direction du même Grégory Faive. Atelier réjouissant, par ailleurs. Nous n’avions pas bcp de temps (durée de l’atelier : 2h) – et au lieu de lire à haute voix devant un petit parterre de 8 apprentis-lecteurs les passages de texte choisis par nous même (comme proposé dans l’invitation), nous avons fait, à tour de rôle la lecture de qqs pages du livre de Fabcaro. Sous l’œil et l’oreille de Grégory F. nous avons rectifié des postures, le placement (et la « musculation ») de nos voix etc… trop court mais assez, pourque j’aie à la lecture des qqs extraits envie de voir la pièce et le jeu de Grégory F.

En même temps que son désintérêt progressif pour mes décès nocturnes, j’ai vu peu à peu s’opérer le triste et fatal glissement sémantique du petit nom affectueux, cette sensible tectonique des plaques qui n’est que le signe visible et apparent d’un bouleversement bien plus ample s’opérant en profondeur. […] Au tout début de notre passion, Sonia m’appelait « Mon cœur d’amour ». Et je trouvais cette appellation aussi incongrue que bouleversante, bouleversante parce que incongrue, parce que n’appartenant qu’à elle. Et puis un jour on est passés à « Mon cœur », et c’était encore beau, « Mon cœur », c’est magnifique. Et puis un jour ce fut « Mon Adrien », et ça restait tendre, même si le cœur avait disparu on ne sait où, il subsistait le « Mon », ce signe d’appartenance, ce lien indéfectible tendu entre nous jusqu’à la fin des temps. Et puis un jour ce fut « Adrien ». Sans « Mon », sans « cœur », sans rien, sec, à l’os, presque une immatriculation, et la sonorité d’« Adrien » venait renforcer ce rien, « Ad » Rien, « vers » rien. [p. 100]
Grégory Faive est seul sur scène et n’arrête pas pendant 1h20…. belle scénographie, décor minimum mais ingénieux invitant le spectateur à faire marcher son imagination – tant mieux. ( plus de détails dans le Dossier de Presse).
Grégory s’est glissé parfaitement dans la peau de ce névrotique, restitue le flot incessant de pensées sautillantes avec les variations de voix, d’intonation qu’il faut pour faire rire la salle.
Le prochain pestacle de Grégory = Si vous voulez bien passer à table ? (création le 4 avril 2023)
Je ne l’ai pas chroniqué, mais j’ai vu le seule-en-scène de Valérie Dréville sur le texte de Claudine Galéa « Un sentiment de vie ». La mise en scène est d’Emilie Charriot, qui aime tant les actrices qu’elle les fait jouer sans scénographie pour qu’on ne voie qu’elles. Magnifique et poignante. Mais un texte inclassable, un hommage au père, à l’écriture, aux écrivain.e.s suicidés? Un texte que je ne sais pas qualifier…
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J’ouvrirai les yeux…si ça passe près de chez nous…
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Je te disais ça au sujet de la pose de la voix et postures. Biz
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