Prendre les loups pour des chiens

Roman noir de Hervé Le Corre (emprunté à la bibliothèque de Biviers). Et je continue sur mes chemins « noirs ».

Présentation de l’Editeur (Payet-Rivages)

Après avoir purgé cinq ans pour un braquage commis avec son frère Fabien, Franck sort de prison. Il est hébergé par les parents de Jessica, la compagne de Fabien. Le père maquille des voitures volées, la mère fait des ménages. Et puis il y a la petite Rachel, la fille de Jessica, qui ne mange presque rien et parle encore moins. Qu’a-t-elle vu ou entendu dans cette famille toxique où règnent la rancœur, le mensonge et le malheur ? Dans une campagne écrasée de chaleur, à la lisière d’une forêt de pins étouffante, les passions vont s’exacerber jusqu’à l’irréparable.

Hervé Le Corre a remporté tous les principaux prix de la littérature noire : le Grand Prix de Littérature Policière, le prix Mystère de la critique par deux fois, le prix du Polar européen du Point, le prix Landerneau, le prix Michel Lebrun et le Trophée 813.

C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent (Aragon)

C’est donc mon « retour » vers cet auteur, découvert en 2021 avec « Traverser la nuit« , roman qui m’avait « prévenu » ou plutôt averti avec un « attention noirceur ». En effet, ce n’est pas un roman optimiste ou réjouissant. C’est du lourd, ça écrase le lecteur, l’asphyxie quasiment, le fait japper, avec des accès de colère, de violence dans les forêts et la cambrousse des Landes sous une chape de chaleur.

L’accueil réservé à Franck par les parents de Jessica, la femme de son frère, donne le la

Quand Franck s’est présenté à eux, le père et la mère n’ont pas cherché à faire semblant. Ils le voyaient pour la première fois mais ils ne se sont forcés à aucun sourire, à aucun mot de bienvenue. Il aurait aussi bien pu venir dire bonjour comme ça en passant, comme un qu’on ne reverra pas. Ils savaient bien, pourtant, qu’il sortait de prison, qu’il était le frère de Fabien. Il allait habiter chez eux quelque temps, ils l’auraient à leur table. Ils le croiseraient à la porte des toilettes. Ils n’ont pas bougé des chaises longues dans lesquelles ils étaient installés, le chien allongé entre eux, la tête entre ses pattes, qui s’est dressé en grondant et que le père a fait se coucher d’un coup d’espadrille sur le museau. Ils ont salué Franck d’un simple « bonjour, Roland, Maryse » en lui tendant leurs mains molles et moites et en clignant des yeux parce qu’il était debout devant eux contre le ciel aveuglant, puis l’homme a affecté de reprendre sa sieste interrompue en reposant sur son ventre gonflé ses bras osseux et la femme a ramassé dans l’herbe à côté d’elle son paquet de cigarettes et s’est levée avec effort et s’en est allumé une puis est restée immobile à fumer, regardant la petite fille dans la piscine hors-sol qui se trouvait un peu plus loin.

Et quand le sexe s’y mêle (Franck va coucher avec Jessica – je dis ça et je dis rien sur ce qui va en sortir !) – ce n’est pas un bleu de 7e ciel non plus :

Offerte, écartelée, béante, abandonnée. Muette. Ou bien grognant, les dents serrées, ce qui ressemblait à du plaisir. Chien et chienne collés. Griffes et dents. Bave, fluides, sueur.

Comme Franck le lecteur va être berné, trimballé dans un maelstrom de violences, de sauts d’humeurs de Jessica, écœuré par la toxicité des parents…. il aura envie de souffler à Franck de s’en aller, de partir, de fuir ces dégénérés…et l’ambiance glauque. Je ne peux pas dire que j’ai « aimé » la lecture, j’étais juste « englué » dans ce monde poisseux, me suis dit souvent : yep, on va en faire une mini-série sur Netflix : tous les ingrédients – aussi pour les surprises scénaristiques (et les cliffhangers) sont là et ça devrait cartonner. Pas un personnage qui sauvera l’autre (sauf peut-être la petite Rachel, énigmatique et cabossée à souhait).

Lecture aussi d’un texte dont l’écriture vise surtout à créer une ambiance et de faire « monter la sauce ». Pas de recherche syntaxique ou stylistique (à un moment je me suis même dit que Hervé Le Corre abuse avec ses phrases débutant mantraesque avec un « il ») :

Il les a laissées rentrer chez elles. La folle salope et son enfant martyre, et la vieille peau de vache flétrie. Il s’est aperçu soudain qu’il n’en avait rien à foutre. Il partirait ce soir. C’était décidé. Il irait loger dans un petit hôtel pas cher non loin de Bordeaux et il verrait venir. Il expliquerait à Fabien que la situation ici n’était plus tenable, que cette maison de dingues devenait dangereuse. Un nid de crotales. Ils aviseraient à son retour quoi faire avec cette histoire de dope. Cette famille empoisonnée n’était pas la leur. Que ce Serbe et son équipe viennent les travailler en férocité, au couteau où à la flamme, tant pis pour leurs gueules. Ce n’était définitivement plus son affaire.

Un roman pour les aficionados de gouffres déshumanisés et de noirceur.

A propos lorenztradfin

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Un commentaire pour Prendre les loups pour des chiens

  1. princecranoir dit :

    De la possibilité des « ils »… En tout cas ce passage en revue canin m’inspire. A lire avant d’en croquer sur Netflix donc.

    Aimé par 1 personne

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