Présentation de l’Editeur (Stock) – 4e de couv’ aussi
« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu’il n’en sait pas grand-chose. Comment l’appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment.
Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ?
Celle d’une jeune fille, qui n’aura pour tout voyage qu’un escalier à monter et à descendre, moins d’une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l’imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets ; au cœur de l’Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »
« la mémoire, écrit Louise Bourgeois, « ne vaut rien si on la sollicite, il faut attendre qu’elle nous assaille ». »

Au cours des dernières années j’ai déjà lu deux livres de Lola Lafon : « La petite communiste qui ne souriait jamais » et « Chavirer » et avais apprécié son écriture directe, précise et souvent émouvante. Par contre, je n’ai lu encore aucune des « commandes » dans la série « Ma nuit au Musée » (Kamel Daoud, Amigorena, Chevillard, Enki Bilal, Bernard Chambaz, Leila Slimani entre autres) n’y voyant pas trop l’intérêt. [Stock demande à un auteur/ une autrice de passer une nuit dans un musée de leur choix et faire un récit]. Le livre de Lola Lafon m’a un peu secoué dans ce jugement péremptoire.
Puisqu’elle m’a bien surpris avec cet essai riche (et pourtant seulement 245 pages très aérées, qui se lisent en qqs heures), d’une belle intelligence et chargée d’émotions, même si les précédentes lectures m’avaient bien montré la « valeur émotionnelle » des écrits de cette auteure.
Elle a choisi de passer une nuit dans l’Annexe du Musée Anne Frank à Amsterdam, l’endroit conservé « en état » du réduit dans lequel la jeune fille a dû vivre recluse, caché des voisins et des allemands…. et rien ne m’avait préparé à recevoir une charge émotionnelle, devenu – pour moi – rare lors d’une lecture.
« Je suis venue en éprouver l’espace [de l’Annexe] car on ne peut pas éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. »
On est seul dans un musée, on a toute la nuit et les pensées galopent par ricochets, détours, associations dans toutes les directions.
Lola Lafon parle un peu de la genèse du livre et surtout de ses pensées dans ces murs…. Elle passe en revu la courte vie de Anne Frank, celle de son père Otto Frank (qui au retour des camps a tout fait pour faire vivre la mémoire de ses / sa fille(s) – Anne Frank avait une sœur, morte comme elle dans les camps.
Lola Lafon rectifie (un peu/beaucoup) les idées reçues véhiculées autour de Anne Frank – pour elle c’était une vraie autrice (elle a réécrit une bonne partie de son journal dans l’espoir être publiée après la guerre). Ce qui rend d’autant plus rageant les modifications de la réalité vécue par elle dans un film – The diary of Anne Frank (1959) et en 2008 (même) dans un Musical. Sont évoqués les passages supprimés (insupportable pour moi, l’idée même pour gommer des pensées et réflexions) dans son journal par les divers éditeurs (et pays – notamment US et DE) parfois/ souvent avec l’accord du père….
Ecrire n’est pas tout à fait un choix : c’est un aveu d’impuissance. On écrit parce qu’on ne sait pas par quel autre biais attraper le réel. Vivre, sans l’écriture, me va mal, comme un habit trop lâche dans lequel je m’empêtre. Il faut parfois rétrécir l’espace pour en entendre l’écho.
Pourquoi écrit-on ? Peut-être est-il possible de répondre par la négative : ne pas écrire met à vif toutes les failles, alors on écrit.
Pendant sa nuit Lola Lafon se pose des questions sur le pourquoi du besoin d’écrire (et souligne bien que « nous en connaissons la fin ; l’autrice, elle, l’ignore. « ) Elle pense à ses propres racines familiales (juifs roumains, son grand-père, sa jeunesse à Bucarest…), réfléchit sur le « bon » et le « mauvais goût » et bien d’autres sujets (parfaitement amené de chapitre en chapitre), retourne dans son passé à elle, sa rencontre avec le fils d’un couple de diplomates du Cambodge qui l’a marqué. Et elle réussit de dresser un pont qui passe de la persécution des juifs aux exactions des Khmers rouges et réunit dans son récit – au-delà des époques – le jeune garçon (Charles) qu’elle a connu enfant et Anne Frank…
Quand j’écouterai cette chanson, je penserai à toi, Charles Chea. Mais je ne parviens pas à écouter cette chanson sans penser à toi alors je n’écoute pas cette chanson.
P.243
Il s’agit de : [« I started a joke » (Bee Gees) ]
Les pages sont empreintes d’une certaine mélancolie, tristesse aussi, sont marquées de la fragilité de l’auteure et d’une douleur lancinante.
« J’imaginais la nuit propice à accueillir l’absence d’Anne Frank, je me préparais à être au diapason du vide, à le recevoir. Je me trompais. La nuit s’est habitée, éclairée de reflets »
Et à la TV elle semble avoir dit : « Pourquoi des millions de gens veulent voir cette chambre d’adolescente ? Moi, j’ai passé la tête, je n’arrivais pas du tout à y rentrer, j’ai vraiment tourné autour toute la nuit. Il y a quelque chose de déchirant, parce que dans l’annexe, j’ai été confrontée pendant des heures à l’absence des Frank »
Je ne spoile donc pas vraiment en disant qu’elle n’était pas capable de se rendre dans les qqs m2 du réduit de Anne Frank…..
Qu’on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s’y soustraire ; qu’on s’y confronte . Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il y a rien, et ce rien, je l’ai vu. »
Peut-être le livre le plus émouvant lu cette année, à mettre dans la main de tout le monde….. pour ne pas oublier ! Un diamant étincelant.
PS Le livre vient de recevoir le Prix Littéraire des Inrockuptibles. Le magazine récompense une « œuvre brillante et bouleversante »
PPS: Le livre a également reçu le Prix Décembre 2022
Belle chronique qui me décide à lire ce nouveau livre de la nuit au musée. J’avais beaucoup aimé celui de Lydie Salvayre sur sa nuit à l’exposition Giacometti et Picasso. Pas la même émotion mais du lourd aussi…
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Belle expression » diamant étincelant » qui convient bien à ce magnifique essai
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Trop sympa’…. et ce n’était pas une figure de style mais ma conviction. C’est rare une telle sensibilité !
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OK je vais l’acheter. J’ai assez aimé Chavirer, lui trouvant pourtant plus de matière « documentaire » , si j’ose dire, que stylistique. Mais Anne Frank est un mystère poignant et Lola Lafon en a parlé à la Grande Librairie avec passion. J’avais lu celui de Leila Slimani dans cette série. Elle était au musée Pinault à la Punta della Dogana, Venise. Mais ça n’avait pas l’air de l’inspirer plus que de livrer une certaine intimité due à une nuit blanche je suppose.
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Elle n’est pas grande styliste non plus. Je l’avais acheté le livre, sans conviction, à ma compagne, qui était sous le « charme » de sa passion et sa « simplicité » (?) dans La Grande Librairie (que je ne regarde pas). Ma compagne a bcp aimé, et moi comme tu vois, aussi.
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Je viens de lire « La petite communiste… » ce qui m’a donné envie de découvrir plus encore cette romancière.
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Je suis très tentée par ce livre de Lola Lafon, les extraits à propos de l’écriture (pourquoi on écrit) me semblent très justes. Et le Journal d’Anne Franck a été une lecture importante de mon adolescence.
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Je n’ai rien lu de Lola Laffont. Je débuterai son oeuvre peut-être par ce livre-ci.
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Nos listes de livres sont trop longues pour tout lire. … merci pour ton passage !
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Bonsoir,
Un livre qui m’a également bouleversée, je n’avais encore jamais lu Lola Lafon et son écriture m’a touchée.
Je me suis aussi interrogée sur ces « Nuits au musée », elle est arrivée à piquer ma curiosité aussi sur ce sujet.
Anne
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Il y a une simplicité honnête jumelée avec une sensibilité qui ne peut que bouleverser. Merci pour ton passage ici.
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