Présentation de l‘Editeur (Grasset) – 4e de couv’
« Cher connard,
J’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve : je t’écris. »
Après le triomphe de sa trilogie Vernon Subutex, le grand retour de Virginie Despentes avec ces Liaisons dangereuses ultra-contemporaines.
Roman de rage et de consolation, de colère et d’acceptation, où l’amitié se révèle plus forte que les faiblesses humaines…
J’ai hésité un petit moment dans ma librairie avant de l’acheter, trop de pub (ou battage médiatique) devient étouffe-bourgeois, mais l’espoir de retrouver une radiographie de notre époque m’a finalement poussé vers la caisse avec le livre sous le bras. Et pour faire « bonne mesure » j’avais également dans mon sac à dos le livre de Emma Becker (« L’inconduite ») même si l’une des deux se déclare 120% être une femme et rien d’autre tandis que l’autre dit (Télérama – n° 3788) : « … je ne suis pas tout le temps une femme et rien d’autre qu’une femme. Et avec l’âge, cette question d’être un homme ou une femme m’intéresse de moins en moins ») ne se demande plus si elle est femme ou homme. »
Deux personnes s’écrivent : Rebecca, hétéro, une actrice d’une petite cinquantaine d’années (ce qui ouvre aussi le champ pour des réflexions sur le cinéma et les freins à trouver des rôles pour et faire travailler des femmes au-delà d’un certain âge, surtout quand elles ont « dix kilos de trop » et Oscar (Rebecca était une amie de la sœur d’Oscar), écrivain (avec un certain succès) – et « connard modèle courant » (et à priori hétéro) – qui se trouve dans le collimateur d’une jeune féministe, ancienne attachée de presse d’Oscar qui balance dans les réseaux sociaux des accusations d’harcèlement subi de la part d’Oscar 10 ans plus tôt – ce dernier va au fil des échanges changer son regard sur les actes « commis »). Accusations qui vont avoir des répercussions dans la vie d’Oscar.

Au fil des échanges de courriers (courriels) quasiment tous les sujets actuels (et éternels) sont passés en revu, et la forme de l’échange épistolaire permet de varier les points de vue, d’apporter des changements de perspectives… pour n’en citer que quelques’ uns des sujets : les « vrais mecs », la culture, le(s) féminisme(s) et/ ou les femmes battues, le viol (V.D. semble encore être à contrecourant du mainstream – p. 258-260), les addictions et réconciliations, l'(im)possibilité de se reconcilier avec qqn qui vous a fait mal…
Imagine qu’à la place des femmes qui sont tuées par les hommes, il s’agisse d’employés tués par leurs patrons. L’opinion publique se raidirait davantage. Tous les deux jours, la nouvelle d’un patron qui aurait tué son employé. On se dirait, ça va trop loin. On doit pouvoir aller pointer sans risquer d’être étranglé ou criblé de coups ou abattu par balles. Si tous les deux jours, un employé tuait un patron, ce serait un scandale national. Pense à la gueule des gros titres : le patron avait déposé trois plaintes et obtenu un ordre d’éloignement mais l’employé l’a attendu devant chez lui et l’a abattu à bout portant.
C’est quand tu le transposes que tu réalises à quel point le féminicide est bien toléré. » (p. 73)
Il n’y a pas mal de passages de cet acabit, qui dans son style rap-eux vous frappent. Malheureusement, pour moi au moins, les passages sur les addictions (« Alors se défoncer – c’est aussi se connecter à d’autres pensées. Ouvrir les portes en soi. Laisser la poussière du dehors entrer. Soustraire son attention au marché. Et se procurer du plaisir, là où on en trouve….l’addiction, c’est chercher du réconfort dans ce qui te détruit » – p. 123) et les manières de lutter contre étaient pour moi (ma « seule » addiction se sont les cigarettes) bcp trop nombreuses, même si la galerie des portraits des personnes qui viennent au séances des NA (narcotiques anonymes) – en présentiel ou quand la Covid s’invite par Zoom (caméra éteinte ou pas) – est parfois plus que savoureux.

C’est d’ailleurs une chose que je retiens : un humour pince-sans-rire et comme apaisé, presque tendre. [lisez les pages SNCF – achat de billet…. c’est tordant – p. 290 ss]. Le seul « écart » à cet apaisement c’est un article de blog de Zoe (p. 297 – 305) qui cogne, au marteau….précédé (et suivi) de qqs « gifles » bien senties.
Le nouveau projet décadent que les chefs (lire : le gouvernement, pda) voudraient nous imposer c’est le couvre-feu le week-end. La semaine tu vas taffer et le week-end tu te cloîtres et fermes ta gueule. Tu sers qu’à ça – faire marcher la machine économique. Le reste, ta vie, ton équilibre, tes proches, le ciné – on s’en fout. C’est étonnant à vivre. Chaque fois on sent que c’est une bouchée plus difficile à avaler que la précédente. Mais on avale…….(p. 279)
Comme dans « Vernon Subutex » il y a une BO de fou, même si la plupart de ses musiques se trouve très peu dans mes « playlist » Spotify) ….Public Enemy, D. Bowie, Orelsan, Lil Nas X (belle découverte pour moi), B. Dylan, Moby, Pharell Williams, Billie Elish, PNL, Lydia Lunch (quand je pense que l’héroïne de Emma Becker écoute souvent « T Rex » on est loin loin….).
https://open.spotify.com/embed/playlist/1znV179K5QFFbCNkjDC9ro
En fin de compte, content d’avoir été re-sensibilisé aux questions de notre société contemporaine, sans pour autant d’avoir « kiffé » le livre, à part de nombreuses « fulgurances » et passages « écrits avec les tripes » au détour de passages trop centrés sur la lutte contre les addictions.
Un dernier exemple du style qui sied aussi aux slams (ou au Hip-Hop) – dommage que parfois les lettres de Oscar et de Rebecca sont écrites avec le même style, sans différencier aussi stylistiquement les deux (peut-être parce que ça n’a pas d’importance pour V.D. de faire la différence entre H & F dans ce cas précis…?) :

« …. la gueule tatouée tout défoncé qui fait du hip hop de gamins gros cernes à la fois super doux et smooth codéine et à la fois déglingué dérangeant désolé avec une séduction enfantine. J’avais du retard sur l’actualité – ça c’était il y a cinq ans visiblement un train est passé…..j’ai eu le temps de penser c’est quoi ce petit bouffon puis j’ai pensé à Eddy de Pretto qui me met mal à l’aise pas quand je l’entends mais si je le vois parce que j’aime bien sa façon de bouger et il a des petites jambes maigres je peux m’identifier à ce type physiquement et…… (p. 280)
Tu m’as donné envie (plus qu’Emma Becker quand elle parle de son bouquin à la télé). DeV.D. je ne connais que le premier livre (que je ne citerai pas de peur que mon message soit mal interprété). Très curieux de découvrir celui-ci.
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Tu as ciblé mon seul regret: la différence de voix entre elle et lui, très peu décelable. Mais ça c’est sur le style. Le fond est formidable. L’idée de l’épistolaire, l’incruste de la jeune Zoé, le débat entre elle et lui où poind peu à peu une forme de bienveillance. Elle ne perd pas du tout son punch. Elle garde son extrême clairvoyance sur notre époque. Oui, il y a pas mal de remarques sur l’addiction, mais pour moi, c’est un mal tellement contemporain (j’ai arrêté de puis novembre). A part la clope et l’alcool, on peut aussi évoquer les écrans et les réseaux sociaux. Elle m’en a appris sur les blackbox, des réseaux qui harcèlent et trollent à qui mieux-mieux, que ce soit masculinistes ou viandards, même combat! Un livre moins ambitieux que la trilogie, oui, une forme d’apaisement. Un peu trop peut-être?
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