Chuchotements et hurlements.
« Ecrire et vivre sont deux choses distinctes » (P. 316).
Emma Becker is back – avec un roman qui va peut-être faire parler d’elle (elle a tout fait pour), et c’est intéressant (notamment pour un homme) de mettre en perspective ce « brûlot » d’une femme « libre » avec le dernier-né de Virginie Despentes (« Cher connard » – avis suivra…).
Pour être tout à fait honnête, j’ai faillé abandonner le livre au 1er tiers (sur les 366 pages). J’étais un peu heurté (?), gêné (?) ==> petit bourgeois plus prude que ce que je pensais, je dois peut-être faire une séance de psy ?) par la multitude d’instants de « baise » entre Emma et Victor, Lenny, Cody, Jon et j’en oublie : les « va et viens dans la gorge« , le « farcir le cornet« , les robes retroussés, « Il n’a pas plu » (…dit-il en se reboutonnant… nda) , c’est à dire que je ne nous ai pas, comme c’est pourtant mon habitude, recouverts de suc« .... « (p.49), « C’est là, dans cet appartement hanté par les deux chats qui nous fixent quand nous baisons, que je me compose le premier souvenir inoubliable de Jon. Ce souvenir prend la forme d’une contraction réflexe de tout mon être, pendant un 69 ou je réalise que je suis non seulement excitée intellectuellement, mais trempée aussi... » (P. 73) « Et puis, diantre, je ne suis pas obligée de baiser avec lui . J’ai le droit de ne pas être d’humeur……..au moment de se coucher, lorsqu’on se dit, crevée, qu’il serait plus laborieux de refuser que de se laisser faire, ….la rage qu’on cadenasse en se laissant grimper dessus par un homme qui devrait être le bon mais qui est devenu le mauvais.… » (P. 78). « Maintenant qu’il bande, sa queue est absolument énorme. Je m’empare du préservatif qu’il me tend, le déroule et bave discrètement dessus, comme c’est l’usage lorsqu’on est résolue à laisser de bons souvenirs à des mecs dont on se fout. », « C’était peut-être l’émerveillement de la queue dure pour moi, ou l’émerveillement de la queue dure tout court, qui peut-être est dure pour tout le monde, mais en tout cas n’a pas faibli devant moi…. »

Je me suis dit à un moment « ok, j’ai compris » (elle nous met le paquet pour comprendre le bon bout de femme – qu’elle est) …. mon enthousiasme pour les variations linguistiques pour les fellations à gogo avait fané, peut-être aussi à défaut d’y connaitre grande chose en littérature « érotique » (il faut quand-même ajouter et avouer que le style n’est pas pour émoustiller, loin de là) quand arriva – un peu après la mort du grand-père de la narratrice (dont elle souligne assez pesamment que c’était un chirurgien), un chapitre (p. 123 – 151) sur un week-end de camping à mon sens d’anthologie (c’est tristement tordant au début, pour virer peu-à-peu dans une observation clinique noire comment une phrase – anodine – peut faire basculer une conversation qui part « en couille »).
C’est à à partir de ce chapitre que tout va « basculer » – et pas du 69 au 96 (le personnage de Vincent (metteur en scène parisien) qui apparaîtra peu après va par ailleurs souligner la qualité de l’écrit « Vous écrivez incroyablement bien, vous savez? » (p. 202 – on verra plus tard ce qu’il en est). Par ailleurs, c’est vrai, ça saute aux yeux, Emma Becker aime se voir écrire avec facilité (le contraire de V. Despentes)….

Ce Vincent deviendra une obsession et une déception qui mènera aux pages les plus intéressantes sur l’écriture et sur les classes sociales qui la hantent
« C’est de là que je viens, de cet univers parallèle, la banlieue. Même pas la classe ouvrière, non la classe un petit peu au-dessus qui envoie ses gosses à l’école privée et aime faire semblant de s’en être sortie en dépit des heures supplémentaires pour payer les leçons de tennis de la petite […] Je suis de cette classe qui a une maison de vacances, oui, mais une maison héritée, passée de génération en génération et que personne, depuis le grand-père chirurgien, n’a les moyens de retaper correctement. L’été je vais à Saint-Tropez, c’est ce que je dis et c’est pas loin d’être vrai, de toute façon personne ne connaît Saint-Aygulf…. » (p. 335)
Et pas seulement les classes sociales (Jon est pauvre, Lenny un directeur financier rico-rico – ce qui donne à lire qqs considérations à débattre : genre être riche = bite plus dure ?), aussi un certain féminisme pas aussi radicale comme chez certains personnages dans le dernier livre de V. Despentes mais un peu dans le sens d’une Angot.
« Mes histoires sont de la littérature parce qu’elles existent sous forme de papier, derrière une couverture sur laquelle il y a mon nom, ça donne l’impression que je sais de quoi je parle. Et la raison pour laquelle j’écris si lentement, c’est que je ne peux pas pondre une page sans devoir penser aux Grands Ecrivains Français et me souhaiter la confiance d’un homme blanc médiocre. Il faut que je m’en souvienne chaque fois que la tentation me prend de me dire que mes histoires n’intéressent personne d’autre que moi. Si on les laisse aimablement représenter le regard universel sur ce monde, pourquoi douterais-je une seconde de l’intérêt qu’ont mes histoires de fesses? …Qu’in me laisse parler du regard des hommes qui m’a construite comédienne, capable de deviner leurs plus petites inclinations, tellement capable que mes propres désirs me deviennent illisibles et qu’il me faut des heures, après, courbée sur mes feuilles, pour me relier à cette mascarade….. (p. 316-317)

Au final, à part de m’avoir fait découvrir (belle description !!) la vidéo-chanson « Anamour » de Gainsbourg/Birkin, un auteur américain Nicholas Baker, d’avoir permis d’entre dans la tête d’une femme (libre – qui n’a pas de copine) qui se découvre, de m’avoir fait marrer parfois et de ne pas cacher le côté presque glauque à côte de quelques oui-oui-oui…., je conseille ce roman riche en portraits et auto-portraits (en parallèle à « Cher connard » qui est vierge de scènes de sexe).
Le prochain roman d’elle pourrait être celui ou la cohorte ou farandole de mecs s’estompe…. ce sera intéressant.
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