Nom

Lu dans le cadre du Prix du Livre Inter 2022/Shadow-Cabinet (mes amis et moi lisons tous les 10 livres candidats du Prix France Inter 2022 et voteront le jour du « vrai » Jury autour d’un barbecue et de bons vins) – Je n’aurais pas lu ce livre sans ce choix d’Eva Bettan et son équipe.

4e de couv’ (Flammarion)

« J’ai un programme politique. Je suis pour la suppression de l’héritage, de l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants, je suis pour la suppression de l’autorité parentale, je suis pour l’abolition du mariage, je suis pour que les enfants soient éloignés de leurs parents au plus jeune âge, je suis pour l’abolition de la filiation, je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut. »

OK – je ne voulais pas le lire, mais je ne suis pas si mécontent que ça d’avoir égrenées les quelques 170 pages pleins de mots furieusement crachés sur le papier. Dès l’incipit on sait que ça va cogner :

Là où la psychanalyse dit : Arrêtez, retrouvez votre moi, il faudrait dire : Allons encore plus loin, nous n’avons pas encore trouvé notre Corps sans Organes, pas assez défait notre moi. Remplacez l’anamnèse par l’oubli, l’interprétation par l’expérimentation. Trouvez votre Corps sans Organes, sachez le faire, c’est question de vie ou de mort, de jeunesse ou de vieillesse, de tristesse et de gaieté. Et c’est là que tout se joue … (G. Deleuze et F. Guattari – « Mille plateaux »)

En effet, elle tape fort avec une rage qui m’a fait penser parfois à la Miss Despentes (mais en plus virulent), une rage que moi, simple lecteur, qui contrairement à elle n’a pas lu « tous les livres », ne peut pas toujours partager.

(p. 52)

J’ai dû m’arrêter un moment après ce moment cafardeux.

« Nom » (que moi en tant qu’allemand entend aussi comme « Non » ) est bien une sorte de témoignage rageux d’une femme de 50 ans maintenant, fille du journaliste (et reporter de guerre et Prix Albert-Londres) François Debré – envoyé plusieurs fois en cure de désintoxication par son frère (donc l’oncle de Constance : Bernard Debré), petite fille de Michel Debré (Premier ministre sous de Gaulle)…. Ses parents se sont drogués, et ont été outé par la famille Debré (sa mère est Maylis Ybarnégaray). C’est cet « héritage » que Constance veut jeter aux orties, dans les oubliettes et exister, délesté du nom et de ce qu’il implique, par elle-même.

Se dégage néanmoins dans ses litanies d’injonctions et affirmations parsemés de « on s’en fout » une sensibilité aigue même si elle écrit à un moment :

« J’ai dit je me foutais de tout mais ce n’est pas vrai. La vérité c’est que je suis le contraire de quelqu’un qui s’en fout. Tout ce que je fais c’est parce que je ne m’en fous pas. Quand je quitte une femme, c’est parce qu’il n’y a plus d’amour et qu’on n’a pas le droit de mentir sur l’amour. Si je ne suis plus avocat, c’est parce que….(p. 61)

Et on sent derrière ce langage peu châtié une femme blessé, écorché vive.

Toutefois elle en fait – au moins pour moi – un peu trop. Comme dans son dernier livre je suis consterné de lire qu’elle vit l' »aventure » (la liberté) en prenant le train à tour de bras ((elle ne prend donc pas de BlaBlaCar), squattant à gauche et droite, (….« j’habite les appartements des autres, j’habite chez les autres, chez tous ceux qui me passent leurs clés quand ils partent en vacances. » (p.112) – et pourtant, ça ne doit pas être une vraie vie de « sans-dents » (voir ses résidences d’écrivain(es) à New York, en Arles….). Il y a, pour mois, comme une incohérence.

Une autre « incohérence » pointe également son nez dans cette logorrhée d’une femme qui « nage » (au propre et au figuré) – elle écrit des livres (c’est quand-même son 3e) …et on se demande finalement pourquoi.

« Dans les appartements que je traverse, je vois les livres, les bons livres, je ne peux pas les toucher, je fais en sorte que mon regard ne les accroche pas. Je commencerais par là si j’étais terroriste, je commencerais par les livres, je les détruirais, je les déchirerais, je les brulerais, tous les livres bien rangés, les petits murs de livres, ….l’arrogance des livres, la mollesse des livres, la bourgeoisie des livres, la putasserie des livres.,…l’immense bêtise des livres, celle de ceux qui lisent, celle de ceux qui écrivent…. » (p. 115)

Libre à vous de lire ce livre….. l’auteure écoute souvent Bach, mais c’est plutôt du côté de Guyotat qu’il faut la chercher. Toutefois une femme qui aime les Magnum Classic et boit du Coca ne peut pas être foncièrement détestable.

A propos lorenztradfin

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8 commentaires pour Nom

  1. Matatoune dit :

    Pas sûr que je le lise même s’il devient livre Inter 2022 ! Ou alors. Il faudra qu’Eva Bettan en parle bien, ce qu’elle sait trop bien faire 😊

    Aimé par 2 personnes

  2. princecranoir dit :

    J’ai lu aussi sa réaction au soir du premier tour dans un article des Inrocks. C’est assez lunaire. C’en serait drôle si ce n’était pas si consternant à force de se prendre au sérieux.
    Est-ce qu’elle écrit bien au moins ? Difficile de juger sur ces extraits.
    En tout cas bravo pour ton article.

    Aimé par 1 personne

  3. Philisine Cave dit :

    Je ne suis pas super charmée par la prose de madame Debre ni par l’incipit ni par le pitch. Je passe mon tour sans aucun regret !

    Aimé par 1 personne

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