5e roman de Julia Deck (de nouveau chez Minuit). J’en ai lu 3 (Viviane Elisabeth Fauville ainsi que Propriété Privée) et je trouve que son écriture devient de plus en plus littérairement riche, certains diront virtuose et d’une précision au scalpel dont la tranche est induite d’une ironie mordante. Sans toutefois laisser une empreinte profonde.
Présentation de l’Editeur (site web ET 4e de couv’) :
Au château, il y a le père, vieux lion du cinéma français et gloire nationale. Il y a la jeune épouse, ex-Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur, entièrement dévouée à sa famille et à la paix dans le monde. Il y a les jumeaux, la demi-sœur. Quant à l’argent, il a été prudemment mis à l’abri sur des comptes offshore.
Au château, il y a aussi l’intendante, la nurse, le coach, la cuisinière, le jardinier, le chauffeur. Méfions-nous d’eux. Surtout si l’arrêt mondial du trafic aérien nous tient dangereusement éloignés de nos comptes offshore.

Ca démarre (fort) avec la description du château, théâtre d’un monde ou tout se mélangera : la vie de château, les gilets jaunes, disputes autour d’un héritage, le jeune Président de la République et sa femme, même les prémisses du confinement et un lien (surprise, surprise) avec le précédant roman (« Propriété Privée« )
Situé en lisière de la forêt de Rambouillet, notre château est bâti sur le modèle du Petit Trianon – quatre façades carrées affichant avec morgue une feinte simplicité. Notre mère adorait Marie-Antoinette. Elle adorait Sofia Coppola, elle adorait Marc Jacobs, qui avait donné une seconde jeunesse à la marque Louis Vuitton. Au temps de notre splendeur ronronnaient dans la cour les automobiles. Notre père aimait les moteurs. Il jouissait des vibrations mécaniques, des fumées qui s’élevaient en panaches bleus sur le sable de l’allée. La façade ouest ouvrait sur une terrasse en granit, à l’est s’ébouriffait le jardin anglo-chinois. Des saules s’inclinaient autour du lac tandis que, sur une petite île, un temple de Diane abritait une cascade si claire qu’on aurait dit du diamant liquide. Mais c’est à l’arrière du château que se dissimulait notre plus haute fantaisie. Dans la pelouse si longue qu’elle finissait avec la ligne d’horizon, notre mère avait fait creuser une gigantesque piscine, et dans ses eaux vertes flottaient les ombres de quatre immenses topiaires – as de carreau, cœur, pique et trèfle, plantés à chaque angle du bassin.
Serge avait longtemps été joueur. Mais notre mère l’avait repris en main. Elle se flattait souvent d’avoir su convertir cette passion vorace en végétaux inoffensifs. Plus tard, je me suis demandé s’il n’était pas cruel de lui mettre sans cesse sous les yeux le plaisir qu’elle lui avait interdit.
(p. 8)
On reconnaitra facilement derrière le « vieux lion du cinéma » JP Belmondo avec un zeste de Johnny Halliday (les enfants adoptés par lui, la demeure dans les îles…), l’agent Dominique Bernard « cache » certainement Dominique Besnehard etc. On est toujours entre la réalité et la fiction peint avec un large faisceau d’indices. L’écriture est précise, les personnages parfaitement campés (même si ils n’ont pas la profondeur qu’ils auraient mérités) et on s’amuse bien sur ce paquebot chargé à donf des représentants des diverses couches sociales, une vraie micro-société tragi-comique. On aurait pu s’attendre à une n’ième bataille de la lutte des classes, mais Julia Deck dépasse ceci (malgré la présence des gilets-jaunes) en faisant virer les trajectoires des divers protagonistes (antagoniques) vers un point de non-retour proche d’un polar.
Un polar farfelu quand-même pas loin du grotesque par moment, et toutafé dans la veine des Editions de Minuit avec une pincée des Pinçon-Charlot pour une fois rigolos.
Toutefois ce n’est pas un roman qui m’a bouleversé ni une œuvre qui a laissé un souvenir impérissable. Juste, comme souvent chez les auteurs de Minuit, un texte par moments très distrayant, ce qui n’est pas mal dans les temps qui courent.
Sept heures par jour, Cendrine regardait défiler les articles sur son tapis roulant. Ils passaient sous ses yeux comme des poissons multicolores, bondissant du flot au moment de scanner le code-barres – Fanta orange, bip, pizza regina, bip, nuggets de poulet, bip, crêpes fourrées au chocolat, bip. Les clients du U plébiscitaient les produits affichant la pire note au Nutri-Score, songeait Cendrine pendant que le tapis charriait, avec les emballages, des images de sa vie d’avant. En ce temps, elle privilégiait les épiceries fines, les producteurs locaux, les légumes biologiques. (p.15-16)
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