Un roman comme une déflagration.
Une histoire d’adultère-d’amour déclenchée par une sorte de coup de foudre entre Laure, professeure universitaire, mariée avec 2 enfants et Clément, quinquagénaire célibataire, cadre supérieur dans une banque, vivant seul avec son chien et n’ayant pas encore résolu un petit problème œdipien.
Présentation de l’Editeur (Fayard) – 4e de couv’
Laure envie, quand elle devrait s’en inquiéter, l’incandescence et la rage militante qui habitent sa fille aînée, Véra. Clément n’envie personne, sinon son chien. De la vie, elle attend la surprise. Il attend qu’elle finisse. Ils vont être l’un pour l’autre un choc nécessaire.
Saisis par la passion et ses menaces, ils tentent de se débarrasser l’un de l’autre en assouvissant le désir… Convaincus qu’il se dompte.
Dans une langue nerveuse et acérée, Maria Pourchet nous offre un roman vif, puissant et drôle sur l’amour, cette affaire effroyablement plus sérieuse et plus dangereuse qu’on ne le croit.
Depuis des années j’aime lire des romans sur le couple, l’amour, la passion, romans écrits par des femmes et ceci pas seulement pour percer un tout petit peu le « mystère » de la femme et de l' »alchimie » foudroyante qui peut se produire entre 2 personnes dissemblables.
La rencontre de 2 personnes, qui ne se connaissent ni d’Adam ni d’Eve, pour les besoins de la préparation d’un colloque (elle voudrait qu’il y intervienne) ouvre la brèche dans la vie d’une femme marié (une fille née d’une aventure d’un soir – une autre de son mariage avec Anton, médecin généraliste). Cette rencontre est décrite par Laure et ne se déroule finalement pas aussi professionnellement qu’initialement prévu par elle :
…..Tu t’étonnes de ces mains de fille nouées par erreur au corps d’un homme. Doigts frêles, attaches poncées, phalanges adoucies, et sous la peau trop fine pour en masquer la couleur, les veines sont enflées. La droite s’agitant au-dessus des olives et du pain, tu vois remuer un muscle vulnérable, d’enfant, qui bientôt tremble quand il soulève la carafe. Tout ceci est très fragile et pourrait se briser dans un geste un peu vif. Tu penses qu’il serait incapable de t’étrangler. Tu notes les ongles limés court, l’annulaire sans alliance ni trace de, les extrémités blanches, exsangues, et presque mauves. Chez lui le retour du sang au cœur se fait mal et par à-coups. Entre la malléole et le drap sombre du costume, tranchent deux centimètres de coton épais, immaculé. Tu supposes une chemise étroite lavée une fois, portée deux. Maximum. Tu voudrais soudain voir le reste sous la laine froide. Alors regarde ailleurs, s’affole ta mère dans la tombe, depuis les femmes correctes et aliénées. (p.8)
Tout y est dans ce (presque) début de roman – la langue vive, le fait qu’elle dis « tu », qu’elle se parle à elle, observation au scalpel – ainsi que la voix de la mère ( « mais fous-moi le camp, s’époumone maman de sous la dalle, depuis les femmes éteintes mais renseignées » – p. 15 ou « Silence bobonne, t’ordonne au ciel la mère de ta mère, celle qui fit la vraie guerre, apprends-lui simplement à faire sauter les boutons-pressions d’une seule main, la vie est courte et Roland Barthes inutile. » (p. 59 – il y’en a plein comme ça…)

Surprise ensuite dans le chapitre suivant (aisément repérable puisque date, heure, température, FR, FC et TA mesuré par sa montre ouvrent le ballet comme ici : « 23 juin, 07:15, TC 36,6°, FR 17/min, FC 82/min, TA 16″ p.65): un aperçu de la même scène par l’homme, cynique, blasé, imbue de lui-même, célibataire maniaque endurci et (surtout) monologuant à son chien dénommé « Papa » – et ces paroles sont à des km-lumières de ce qu’on vient de lire avant.
« Elle m’a écrit. La fille de la serre, la bizarre, la d’hier. …Elle m’a écrit la première, d’habitude elles attendent. Elles attendent longtemps dans la mesure ou elle ne savent pas, ce n’est pas criant que je suis quasi mort, elles attendent que ça bouge dans la tranchée d’en face… » (p. 38)
Et voilou les bases d’une douche chaude-froide sont jetées. L’auteure ne peut guère sortir des ornières du schéma ultra-usé du triangle classique des adultères (la critique pro’ du livre parle souvent de Flaubert – moi j’ai pensé à Annie Ernaux, ou la « Conversation Amoureuse » (Ferney) ou aussi ma « chère » Camille Laurens ….)
Toutefois, trame à part, Maria Pourchet nous offre qqchose de nouveau – avec des accents Covodiens par ailleurs – ça se passe en 2020 et sous les masques (le mari on l’entendra peu, de Vera, l’une des deux filles on entendra et verra nettement plus). C’est que le tout se pare d’une vision très noire de notre société (vie au bureau/dans une banque – les relations humaines dans une boite; travail d’une maître de conf’)….

« Je lui adresse au-dessus du gobelet, le regard du clan de ceux qui baisent les femmes des autres tandis qu’ils, les autres, pour leur payer à elles, celles qu’on baise, une baraque à peine décente. Un regard d’ordure ultralibérale qui fatiguée du choix des corps dévalués par le libre accès, du choix immense des femmes libres gratuites qui ne demandent rien, ni argent, ni protection, ni job, ni paroles, ni pardon, tape dans les femmes interdites. » (p.100)
La langue – parfois juste des substantifs, un staccato sténographique dans la bouche de Clément – m’a un peu déconcerté au début (ce n’est pas un langage châtié) – , mais elle avait le « don » de m’entrainer comme dans un maelstrom dépeignant encore mieux que 10 phrases l’état psy des personnages.
Quelques highlights à côté des douches froides (et attristantes) que sont les chapitres des monologues de Clément devant Papa (tout en restant muet devant les « cris » de Laure – Mais parle moi ! Dis moi quelque chose ! Ne reste pas muet….) : la diégèse d’Andromaque par Vera (« Andromaque, dit-elle, ex-bombasse du palais, n’a pris que des râteaux mais continue à vous regarder de haut, c’est la reine... », la séance du jury pour un poste de Maître de conf, la soirée « Lorenzaccio », mais aussi de petites scénettes glaçantes, comme quand Laure couche avec son mari, ou aussi les vues désabusées sur le monde de la finance…….
« Vous restez sur le canapé. Bientôt sur le corps lourd d’Anton, tu parviens à trouver en fermant les yeux la clavicule coupante de Clément, le fantôme de l’étreinte qu’il t’a refusée tout à l’heure. Et c’est vraiment ça l’obscénité, la vrai. Prendre le corps de l’autre comme une roue, aller se faire sauter en rêve. » (p. 208/209)
Enfin une nouvelle voix pour l’éternelle « boy meets married girl » – réjouissante, touchante, remuante, triste, cynique, amusante… et qui nous emmène aussi en Toscane/ à Sienne (mais ce ne sera pas romantique).

J’apprends également que ce roman se trouve dans la 1ere sélection du Goncourt 2021 (16 livres).
PS (en date du 13.9.2021) : les critiques de la « Masque et la Plume » ont dans leur émission d’hier (12.9.) unanimement encensé ce roman… ce qui n’était pas le cas pour les romans de Marie Darrieussecq, ni de David Diop, de Kazuo Ishiguro ou de Tanguy Viel…. Ca vaut ce que ça vaut… mais m’a surtout conforté dans mon sentiment positif.
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PPS. Voici la très belle critique – nettement plus fouillé que la mienne de En attendant Nadeau
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