Le café du matin devint un rituel. Ils alternaient chez l’un et chez l’autre, mélangeant de mieux en mieux leurs mots et leurs silences. (p. 39 Livre de poche)
J’ai lu pendant mon séjour en Bretagne, ou plutôt lors de l’interminable trajet en train (AR), ce petit roman (merci T. pour le prêt), sorti en 2016, sans savoir que je devais bientôt lire – dans le cadre de la sélection du Livre Inter 2021 – le dernier né de cet auteur que j’avais découvert avec « Né d’aucune femme« , à savoir « Buveurs de vent ».
Présentation de l’Editeur (La Manufacture de livres) – « Buveurs de vent » sort chez Albin Michel
Sur ce plateau de Haute-Corrèze, Virgile et Judith ne sont plus qu’un vieux couple de paysans. Auprès d’eux vit Georges, ce neveu dont les parents sont morts d’un accident de voiture et qu’ils ont élevé comme leur fils. Aujourd’hui, c’est Georges qui s’occupe de la terre. Mais lorsqu’une jeune femme qui fuit son passé vient se réfugier chez eux, lorsqu’un ancien boxeur tiraillé entre ses pulsions sexuelles et sa croyance en Dieu s’installe dans le hameau, lorsqu’un mystérieux chasseur commence à rôder alentour, le plateau devient le théâtre d’un huis clos où toutes les passions se déchaînent.
Prenant pour cadre ce territoire où la sauvagerie de la nature fait écho à l’âpreté des hommes, Franck Bouysse nous livre une œuvre ciselée comme un joyau noir.
Le roman avait reçu le Prix des Lecteurs de la Foire de Brive 2016

On voit bien à cette présentation qu’on est en terrain connu : Une terre belle et rude, la nature plus grand que l’Homme et dans ce décors des êtres minuscules qui se débattent dans des tragédies grecs.
Un vol de grues perfore les nuages et se met à tournoyer à l’aplomb de Virgile. Les oiseaux semblent perdus et il ne les distingue pas, malgré toute la concentration qu’il déploie à fixer le ciel bruyant. Les grues s’orientent durant plusieurs minutes, pareilles à des vautours évaluant une proie au sol, puis le groupe se reforme en une pointe de flèche asymétrique qui poursuit sa route, transperce une cible charbonneuse et disparaît dans un ciel blasé, derrière des voiles liquides carguées pour le Sud. Les cris s’amenuisent et s’évanouissent, recouverts par le vent qui s’écoule à la poursuite des oiseaux.
ou
Le vent d’est bazarde des langues de nuages par-dessus le toit de la grange. Le gel ne prendra pas cette nuit. Partout, le soir s’étale sur le Plateau, pareil à une coulée de boue qui s’avance. On croirait voir la lèvre supérieure de quelque monstruosité animée par les derniers rayons du soleil. L’illusion d’un mouvement, une sorte de rumination. Brasser, avaler, régurgiter créatures et végétaux pour n’en faire qu’un pâte informe privée de singularité. Une chose sans devenir.
C’est du noir avec une bonne rasade de poésie qui pousse les récits parfois à la limite du mystique, mais dans une langue plutôt ciselée et parfaitement adapté à ces « contes », même si je trouvais que dans ce roman F. Bouysse charge particulièrement la barque avec ses descriptions lestées, comme possédé parfois (une partie de moi l’admire toutefois pour cette capacité là) .
Parfois je me suis donc bien dit eh Franck, tu en fais un peu trop, là, c’est lourd……. mais il retombe toujours bien sur ses pattes, donne une pichenette au déroulement du récit pour la faire virer dans une direction légèrement différente de celle qu’on a deviné.

J’ai donc finalement aimé sans être enthousiaste. La tendance à la « surécriture » mille-feuille avec très peu de « lumière » m’a freiné dans mon élan. J’espère que « Buveurs de vent » sera un peu plus léger/digeste.
Mais comme dans les autres romans que j’ai déjà lu de lui on trouve parsemé par-ci- par-là comme des petits cailloux les romans/auteurs qui inspirent / ont inspirés Franck Bouysse, c’est toujours ça à prendre (une belle « readlist/playlist »):
Et il y a des livres disposés sur les meubles et quelques rayonnages méticuleusement classés par auteur. Georges les a tous lus au moins une fois : Faulkner, Steinbeck Caldwell, Shakespeare, Carver, Thomas, ceux-là plusieurs fois. Ceux qui ouvrent les horizons, ceux qui parviennent à déplacer ce maudit Plateau par-delà des méridiens bandés comme des arcs magiques. […] Tant de fois il a rêvé d’ailleurs, au fil des pages froissées dans de fiévreuses nuits dévalant des jours sans frissons.
Un autre avis (j’avais oublié cet article de 2016 (!)) c’est ma chère camarade Simone qui évoque Shakespeare et Dante et arrive, au-delà de ça, comme à son habitude, à déceler et communiquer l’humanité profonde de F. Bouysse.
Des « descriptions lestée » mais servies sur un Plateau, voilà qui pourrait me convenir finalement, malgré ton bémol.
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C’est du pain béni pour des scénaristes adaptateurs….. la structure qui pointe vers un climax est cimentée…. des esquisses de dialogues… sont presentes…..le silence pesant est roi… qqs bons acteurs…..et on reouvre les cinémas
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Si c’est du « prêt à filmer », ça me tente tout de suite moins. J’aime que le matériau littéraire résiste à l’adaptation.
Encore que Zola était dans cette veine d’écriture et cela me plaît quand même.
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On est du même avis, cher Bernhard, la barque est bien chargée. On perd ici ce qui a fait la beauté de Grossir le ciel qui demeure mon préféré justement parce que F.Bouysse sait en dire bien autant avec moins de mots, c’est plus fort je trouve. Comme toi j’ai bien aimé sans être emballée. Et par contre je connais bien et j’aime la Corrèze, avec une prédilection pour celle du sud, voisine du Périgord, celle du nord est plus auvergnate dans l’esprit et le décor, belle aussi. Zut, je rêve de vacances, camarade…
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Je relis que j’avais été élogieuse. C’est drôle comme notre perception change. Je crois que l’homme m’avait touchée. Mais en fait je me suis arrêtée à Née d’aucune femme, parce que j’en ai eu assez justement de ce lyrisme. Je crois aussi que lisant, j’apprends encore à lire et puis que mes exigences changent. Qu’en penses-tu, toi grand lecteur aussi ? Le slivres également ont leur heure, favorable ou moins, non ?
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C’est un débat à faire autour d’une bouteille de Chasse Spleen.
En effet, je partage ton avis qu’un livre qui nous a transporté en n-10 ne le fais pas nécessairement en n+3.
Mais les points que tu as souligné dans ta « récension » restent valable – c’est juste qu’avec le temps on est peut-être davantage attiré par des textes qui avec peu disent bcp. Qui avec qqs mots arrivent à brosser des tableaux sans surcharger… Je pense p.ex. à Ron Rash….. et même celui que je n’ai aimé que moyennement mais qui est plutôt économique en mots pour dresser une ambiance je nomme Hervé Le Corre.
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Ah, j’ai adoré Le Corre ! quant à Ron Rash, c’est un très grand pour les raisons que tu cites. Faire fort en peu de mots.
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