La fille de Evelyne et Bernard

Après une semaine de vie de grand-père (on s’est occupé de nos petits-enfants – un boulot full-time) je suis de retour.

« Salauds ! Vous avez tout balancé. »

C’est ce qu’aurait dit la mère de Camille Kouchner (Evelyne Pisier) quand Camille Kouchner et son frère jumeau (Victor dans le livre) ont enfin parlé à leur mère pour lui révéler que Olivier Duhamel (second mari d’Evelyne et donc leur beau-père) avait abusé régulièrement/souvent de « Victor ».

La couverture de « La Familia grande », le livre de Camille Kouchner, publié le 7 janvier 2021. (JOEL SAGET / AFP)

4e de couv’ (Seuil )

« Souviens-toi, maman : nous étions tes enfants. »

C.K.

C’est l’histoire d’une grande famille qui aime débattre, rire et danser, qui aime le soleil et l’été.

C’est le récit incandescent d’une femme qui ose enfin raconter ce qui a longtemps fait taire la familia grande.

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« Moins écrit que le beau « Consentement » de Vanessa Springora (Grasset), le « Festen » de Camille Kouchner est un document terriblement poignant. Et utile. » (Les Echos du 11 janvier 2021)

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En effet, il y a un côté « Festen » par la déflagration des 4e et 5e chapitre de ce livre-témoignage-autofictionnel qui débute comme la description d’une vie familiale (faut comprendre : d’une cellule familiale d’intellectuels, artistes, hommes/femmes d’affaire et politiciens à laquelle s’ajoutent des couches d’amis et d’amis d’amis (ou pour le dire avec les mots de Camille – le « phalanstère ») : « Universitaires, philosophes, sociologues, professeurs de droit, juristes, magistrats, avocats, bientôt ministres, à l’heure du café... » (p. 62) )

Après la lecture des 204 pages qui se lisent très facilement (en 2 soirées pour moi – et pareillement pour les représentantes féminines de ma « familia piccola ») je ne sais, à vrai dire, quoi dire (et penser) de ce récit sur les « non-dits ».

Soit, Camille Kouchner, la fille de Bernard Kouchner, médecin (« le french doctor) et ancien Ministre (c’est lui qui a forgé l’idée du « droit d’ingérence humanitaire ») – Ministre de l’Action Humanitaire, de la Santé et Ministre des Affaires étrangères et européennes – divorcé de la mère de Camille (Evelyne Pisier – sœur de l’actrice Marie-France Pisier – amante de Fidel Castro, Maître de conf’ Chevalière de la Légion d’Honneur et remariée avec Olivier Duhamel, politologue, constitutionaliste, directeur de la Fondation nationale des sciences politiques (dont Science Po, un homme qui pouvait faire et défaire une carrière, encenser ou ridiculiser un invité, faire débattre, et faire taire) et remarié avec Christine Ockrent (journaliste, présentatrice du journal de 20h (A2) et Directrice de la rédaction de l’Express). Camille Kouchner brosse le portrait du monde autour de ces « piliers » par le filtre du regard dans le rétroviseur pour glisser peu à peu le grains de sable dans la vie de ce petit monde d' »entre-soi » – et révèle les abus sexuels que son frère jumeau (nommé Victor dans ce récit) a dû subir de la part de Olivier Duhamel.

« Pour m’avoir laissée écrire ce livre alors qu’il ne souhaite que le calme, je remercie Victor » (p. 205)

C. Kouchner « se limite » à parler du silence faite autour de ces actes (dont son frère n’a certainement pas été la seule victime), pour permettre de faire la lumière sur ces faits, identifier toute autre victime potentielle et vérifier l’éventuelle prescription de l’action publique .

Ceci dans un style d’une simplicité biblique – voici un exemple (Camille est accompagnée par sa grand-mère (son beau-père n’était pas libre ce jour) pour un récital de piano) :

« On débarque à Nogent. Courbettes, « Bonjour, madame ». Je suis fascinée, ma grand-mère est transformée. Je me mets au piano. Fin de son jeu, début du mien. Je m’applique. Je me laisse emporter par ces notes, tant de fois répétées, par la confiance qui me lie à ma prof, derrière l’autre piano. J’adore ça. Chopin. Beethoven. Schubert. J’espère la convaincre. Il faut tout enregistrer pour mon beau-père. Ma grand-mère se tortille. « Que c’était long! C’était incroyable, mon Camillou, mais quel emmerdement! Tirons- nous . Tu es une pianiste magnifique. la prochaine fois, on envoie ton père. » (p. 90)

Vue de la propriété de la famille Duhamel à Sanary-sur-Mer. BAPTISTE DE VILLE D’AVRAY POUR « M LE MAGAZINE DU MONDE »

Un autre extrait dans les chapitres sur la culpabilité qui la ronge et qui est le moteur de ce livre :

« Puis l’hydre montre un nouveau visage. Dans nos silences, nos regards échangés, le serpent mord. Je suis coupable d’avoir participé. La brûlure au fond de mon ventre, cette torture subreptice et constante, me laboure le crâne. Une culpabilité qui, plusieurs fois dans la journée, jaillit et bouscule ma sidération : en ne désignant pas ce qui arrivait, j’ai participé à l’inceste. Pire, j’y ai adhéré. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Je sais, maman. Ma culpabilité est celle du consentement. Je suis coupable de ne pas avoir empêché mon beau-père, de ne pas avoir compris que l’inceste est interdit. » (p. 124)

Pour moi la pudeur de ce livre (dans la dissimulation fréquente des personnes et noms et surtout des faits mêmes) m’a surpris mais je préfère à ce témoigne douloureux et comme étouffée finalement la rage plus forte d’une Vanessa Spingora (« Le consentement« ) même si à un passage elle nomme ce qui fait glacer le sang :

Mon beau-père entrait dans la chambre de mon frère. J’entendais ses pas dans le couloir et je savais qu’il le rejoignait. Dans ce silence, j’imaginais. Qu’il demandait à mon frère de le caresser peut-être, de le sucer. J’attendais. J’attendais qu’il ressorte de la chambre, plein d’odeurs inconnues et immédiatement détestées. Il entrait ensuite dans la mienne. Ma nouvelle chambre qui désormais séparait celle de Victor de celle des parents. Cette chambre-péage. Cette chambre-témoin obligé. Pendant ces longues années.

PS (23.2.2021) France Info

Le barreau de Paris a engagé une enquête disciplinaire contre le politologue et avocat Olivier Duhamel, accusé de viols sur son beau-fils à la fin des années 1980. Confirmant une information du Parisien et de Libération, le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, a indiqué, lundi 22 février, que le conseil de l’ordre des avocats de Paris avait voté le 16 décembre l’ouverture de cette enquête disciplinaire.

Cette procédure, comme toute procédure disciplinaire engagée par le conseil de l’Ordre, aurait dû rester « confidentielle », a-t-il remarqué. « L’Ordre fait son travail, a une activité importante concernant l’autorégulation et le contrôle de l’exercice professionnel de l’ensemble des avocats ».

« La profession d’avocat est une profession de serment. A partir du moment où arrivent des informations à vérifier – chacun bénéficie de la présomption d’innocence –, il faut faire une instruction et déterminer si, quand un avocat a prêté serment, il a dissimulé ou menti ou dit des choses qui ne sont pas exactes. Si c’est le cas, ça pose un problème de maintien ou de respect des principes essentiels de notre profession », a détaillé le bâtonnier.

A propos lorenztradfin

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2 commentaires pour La fille de Evelyne et Bernard

  1. Je n’ai pas lu ce livre, je le lirai peut-être -je ne sais pas-. En tout cas, ce qui me bluffe est le style de l’autrice, impeccable dans les extraits que tu as choisis. Incisif, percutant mais pas dérangeant : seules, les scènes suggérées le sont (et c’est normal car elles sont totalement anormales !)

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    • lorenztradfin dit :

      « Incisif » voilà un terme qui vaut pour bon nombre de passages, en même temps ces phrases souvent réduites à la plus simple des structures me manquaient parfois d’épaisseur…. Mais entièrement d’accord avec toi que le côté « dérangeant » se trouve derrière les mots, n’est pas sculpté ni surligné ou sur-souligné par ses mots… elle nous offre les contours… et c’est absolument assez pour faire dresser les poils.

      Aimé par 1 personne

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