« Je suis mes livres, du verbe être, je ne suis rien d’autre que mes livres, effacez-les et je cesse d’exister. (p. 195)

Présentation de l’Editeur (Mialet-Barrault)
Je tourne la page, et ça y est, la chose est enfin dite:« Dans un entretien, observe Nathalie Léger, Marguerite Duras s’énerve un peu : ”L’autoportrait, je ne comprends pas ce que ça veut dire. Non, je ne comprends pas. Comment voulez-vous que je me décrive? Qui êtes-vous, allez-y, répondez-moi, hein?”» Qui je suis, moi? C’est la question à laquelle je dois maintenant répondre.
Lionel Duroy aura passé l’essentiel de son temps à écrire. À travers ses nombreux romans, il a tenté de démêler les fils d’une vie, éclairant au passage celles et ceux qui nous aident à grandir ou s’emploient à nous détruire, parfois sans le vouloir: nos parents, nos frères et sœurs, ceux que nous aimons, puis désaimons. Aujourd’hui, avec L’homme qui tremble, il inverse les perspectives et, dans un autoportrait cruel et lumineux, s’interroge sur son propre rôle dans ce destin singulier.
Même si j’étais un peu déçu (lassé même) du dernier roman de Lionel Duroy ((« Nous étions nés pur être heureux » ), « l’archéologue du malheur d’une famille », je me suis mis à lire son « autoportrait », de manière presque compulsive, lire étant pour moi aussi important que l’est l’écriture pour lui.
Il y’avait, pour moi, avant cette lecture « Colères » (2011 dans lequel déjà « il tremble », « Trois couples en quête d’orages« , « Eugenia » et le beau « Echapper » ou aussi « L’absente »….
L’homme qui tremble les contient tous puisque Lionel Duroy 5 ans plus âgé que moi regarde dans le rétroviseur, parle de sa famille, sur son écriture, ce moteur essentiel à sa vie, ses femmes, ses (petits-) enfants… pour voir/montrer, comme sur un divan, avec une lucidité impressionnante, son « propre rôle » dans le déroulé de son chemin de vie.

Je savais cette capacité d’observer comme un entomologiste les plus infimes réactions d’un être humain, de vouloir rien laisser sous le boisseau, ce que je ne savais pas c’était son cheminement de journaliste, son prêt de plume à bon nombre de personnages publics (Vanier, Vartan, Betancourt, Mouskouri, Dépardieu….), son travail chez « Libération »…. ce qui m’a intrigué, presque surpris – l’égo-centrique qu’il est me devenait/deviens plus sympathique et nous montre bien comment un livre peut « révéler mieux que 20 années de vie partagée » un être humain sans oublier de souligner à plusieurs reprises que « nous mettons dans un livre le meilleur de nous-mêmes, qu’un livre est la somme de centaines d’heures de réflexion et qu’il est donc illusoire d’escompter que son auteur puisse, à chaque minutes, être à la hauteur de l’objet fini… » (p. 364)
« Pour la première fois, cette année-là, je note comment l’écriture pèse sur le degré de confiance que je peux avoir en moi, en la vie aussi. Que mon « livre » me plaise et je me sens fort, qu’il me déçoive et aussitôt je suis rattrapé par la « tristesse d’exister », je tremble, je ne suis plus rien à mes propres yeux, je voudrais mourir » (p. 130)
J’ai aimé les pages dans lesquelles Lionel Duroy montre l’entrelacement de sa vie amoureuse ou de désamour avec des passages de ses romans (fasciné que j’étais des échos), j’ai aimé les pages sur le « désir » qui flanche chez l’un, qui fait peur à l’autre, mais qui est à mon sens un moteur essentiel dans un couple.
« … Il y a un soir où Esther m’avoue qu’elle n’a plus de désir pour moi – « Mais depuis longtemps ? – Oui. – Et pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ? – Parce que j’avais peur de te perdre ». Elle peut me le dire maintenant parce qu’elle n’a plus peur, sa vie est ailleurs déjà. Mais moi je ne comprends pas encore que je l’ai perdue, je ne dis pas : « Alors séparons nous, Ester, pourquoi restes-tu avec un homme que tu ne désires plus ? » Je ne dis rien, et le lendemain matin je me remets à écrie L’Hiver des hommes. (p. 278 – dans une « litanie de « Il y a ») )
Il y a peut-être quelque « répétitions » dans le processus d’analyse dans ce livre mais j’étais enchanté par ce renversement du point de vue qui ne se contente pas de décrire une situation mais de montrer clairement et lucidement le rôle de L.D. dans les situations qu’il a vécu et inlassablement décrites dans bon nombre de ses romans.
Télérama (Marine Landrot) le dit bien
Il revient ici sur les épisodes tant de fois dépiautés, désossés, nettoyés, de son enfance dans une famille nombreuse déclassée à coups de visites d’huissiers, menée à sa perte par un père irresponsable se mangeant sans cesse le gras du pouce, et par une mère aux portes de la folie, se cachant nuitamment dans les placards pour faire croire à sa mystérieuse disparition. Les inconditionnels de l’auteur noteront la teneur nouvelle de l’éclairage porté sur ces traumatismes et leurs conséquences dans la suite de son existence. La fuite allait, en effet, devenir un réflexe dangereux, préjudiciable à son entourage, notamment aux femmes de sa vie, qu’il admet avoir piteusement abandonnées dans des moments où elles auraient eu besoin de sa présence, avortements, accouchements, deuils. « Tu es là, mais tu n’es pas là », lui ont toujours reproché ses proches. Ce livre procède du même miroitement intermittent, oscillant entre la narration distanciée d’étapes professionnelles et l’évocation écorchée de douleurs intimes. Comme un phare dans la nuit, qui clignote pour éviter le naufrage aux bateaux à la dérive et les faire arriver à bon port.
J’ai eu du mal à lâcher le livre – et je ne me l’explique pas encore pourquoi – peut-être était-ce l’écriture qui simple, entraine le lecteur dans ces réflexions qu’on fait (plus ou moins) à la soixantaine, dans ce regard sur les bifurcations, les (non-)choix de la vie… présenté ici comme sous un microscope lumineux et qui me rappelle pas mal mes propres écrits qui peuvent tourner inlassablement autour des mêmes sujets sous des éclairages toujours changeants et dans lesquelles j’ai parfois le bon rôle et parfois non….