
Lu il y a un moment déjà mais incapable d’écrire. Désormais le livre est sorti de qqs short-lists de prix littéraires (il n’est plus goncourable p.ex.) – je peux donc plus sereinement noircir mes pages.
Je commencerai mes considérations avec un extrait d’un article du Figaro. Je ne lis pas souvent ce journal, mais récemment je suis « tombé, » en furetant le net à la recherche de je-ne-sais-plus-quoi, sur un début de critique (de Sébastien Lapaque) de ce livre, critique rédigée dans le mode opératoire de E. Carrère. Elle débute ainsi (et vous donne (en effet) une petite idée de l’approche de Carrère :
L’autre jour, j’avais rendez-vous chez mon acupuncteur et je devais dire mon sentiment sur le dernier roman d’Emmanuel Carrère, lu la veille, entre Brest et Paris, dans le compartiment d’un TGV dont tous les occupants étaient masqués. Comme j’ai arrêté de boire, je m’intéresse à nouveau aux médecines d’origine orientale. Deux fois par semaine, je vais me faire poser des aiguilles par Aslam Bhattacharya, un ami de longue date qui tient un cabinet à Paris, avenue du Maine, entre la gare Montparnasse et le commissariat de police.
J’ai rencontré le Dr Bhattacharya il y a quinze ans, à l’époque où je mettais en forme mes notes de voyage en Amazonie avec l’envie d’arrêter d’écrire. Ce médecin m’a fait du bien. Il est plein d’humour. La mort atroce de sa femme et de ses deux enfants lors de l’effondrement du pont Morandi à Gênes, le 14 août 2018, n’a pas réussi à le détourner du chemin du vrai. Les autres l’intéressent tant qu’il n’a pas le temps d’accoucher des livres qu’il porte en lui…...
Ce début d’article m’a bien fait rire (il s’arrête là, parce que pour le lire en entier, il fallait payer) puisque j’ai reconnu l' »l’aisance » avec laquelle Emmanuel Carrère peut en une phrase passer d’un sujet à l’autre, lier l’anodin avec le profond et transformer le plus petit détail en objet littéraire.

Je dirai rétrospectivement que E.C. a une véritable plume, qu’il sait attraper le lecteur par les oreilles pour devenir un peu malgré lui, un confident. On a l’impression d’en griller une ou de vider une bouteille (ou deux) avec lui. Et j’ai de l’admiration pour cette capacité. On se trouve face à qqn qui raconte sa vie comme il veut, comme il peut, pas dans tous les détails (il en coupe certainement, ment un peu ici-et-là, transforme le banal en un objet brillant) et on a l’impression qu’il pourrait nous relater un annuaire de téléphone de manière haletante.
Le livre (roman/récit) se décompose en 5 parties : il y a le/un stage de Yoga dans le Morvan, occasion de qqs portraits réussi et drôles de participant à cette (à mes yeux quasi-secte, mais j’ai un problème avec le yoga…. et son in-spiration, ex-piration). Le stage qui devait durer 1 semaine sera interrompu par l’attentat contre Charlie Hebdo (et la mort d’un grand ami de E. Carrère – Bernard Maris). Suit dans une troisième partie la « folie » et dégringolade (électrochocs à Saint-Anne) qui’il raconte (mais pas aussi brillamment que ne l’a fait Philippe Lançon dans son « Le lambeau« ). La quatrième partie se déroulera en Grèce sur l’ile Leros (ou E. Carrère va essayer d’échapper de soi-même en proposant un atelier d’écriture à des jeunes migrants. Une sorte d’épilogue en guise de 5e chapitre – avec des considérations sur le fondateur de P.O.L. et un traité sur l’écriture au clavier d’ordi avec un doigt !
La 1ere partie est passé comme un e-mail (la lettre à la poste ne marche plus comme image) – j’ai appris un peu sur les différents types de yoga, c’est un petit voyage dans un monde qui m’est complètement étranger…. et c’était très distrayant, vu que Carrère varie les points de vue de l’observateur (il prend des notes justement pour écrire un livre sur le yoga – on aura droit à une multitude de définitions) mais aussi de celui qui médite, avec un enchainement parfait de digressions, apartés… une vraie réussite.
« S. N. Goenka nous avait prévenus : le deuxième jour est en général difficile. C’est pareil quand on fait de la randonnée. Le deuxième jour, on est courbatu, des ampoules écorchent les pieds, les cuisses brûlent en descendant l’escalier du refuge, on se demande pourquoi, pourquoi alors que rien ne nous y oblige on s’inflige une telle tannée. Et puis le lendemain on vole, on attaque de bon cœur les côtes qui la veille coupaient les jambes, on ferait bien deux étapes en une seule. Une session de méditation intensive ressemble à une randonnée, qui elle-même ressemble à la vie : il y a des étapes, des paysages qui changent à mesure qu’on s’élève, du soleil et de la pluie, des jours avec et des jours sans.«
La 2e partie m’a perturbée – vu qu’elle arrivé par irruption du monde extérieur et par surprise : l’attentat contre Charlie Hebdo et la mort de son ami Bernard Maris, dont la femme souhaite la présence de Emmanuel C. à l’enterrement…. et elle débouche sur la 3e – la grande dépression, un séjour à Saint Anne….et tout cela raconté avec une certaine légèreté, un humour d’autodérision et d’une fluidité qui laisse pantois (mais toutefois qui ne m’a pas une seule fois « touché »).

C’est la partie 4, un séjour sur l’Ile Leros et le récit des rencontres de E.C. qui commençait à toucher qqchose en moi, qui a fait vibrer un peu, et pas seulement parce qu’il y avait (aussi) Chopin (La Polonaise héroïque) jouée par Martha Argerich. Et comme j’avais fait pour Le Royaume (sa description d’une vidéo d’une femme qui se masturbait m’avait incité de la chercher sur le net ….(est trouvé sur onatrouve…. ), E.C. avait bien pressenti que je ferai comme un bon milliers de personnes pour voir le magnifique sourire de la pianiste dont il parle 335-336, après avoir consacré qqs pages (274- 278) à la découverte de cette pièce « »Ecoute, écoute la petite note, là!« … et nous incite « même » à regarder sur la vidéo ….
« ..On est à 5’15 », quinze secondes avant les 5’30 » qu’Erica m’a spécialement indiquées, je me demande ce qui va se passer, et voilà ce qui se passe : ce sont les dernières notes de guirlande avant que le thème revienne, grandiose et jouissif, par le côté droit du clavier, par le côté droit de l’écran. Martha Argerich est portée par ce retour du thème, elle le prend comme un surfeur prend la vague. Elle s’y abandonne totalement, elle ne tient plus dans le cadre, elle donne un coup de tête qui la fait sortir vers la gauche avec sa masse de cheveux noirs, elle disparaît un instant et quand elle revient dans le cadre après son coup de tête elle a un sourire. Et alors là … Il dure très peu de temps, ce sourire de petite fille, ce sourire qui vient à la fois de l’enfance et de la musique, ce sourire de joie pure. Il dure exactement cinq secondes, de 5’3″ » à 5’35 », mais pendant ces cinq secondes on a entrevu le paradis. Elle y a été, cinq secondes mais cinq secondes suffisent, et en la regardant on y a accès? Par procuration mais accès. On sait qu’il existe. »
C’est là dans cette 4e partie que j’ai le mieux suivi cet auteur et que le livre m’a parfois ému. La 5e partie sous forme d’épilogue est une sorte d’appendice qui m’a juste fait sourire un peu (moi aussi je maltraite mon clavier de PC avec deux à quatre doigts seulement….!)
L’ex-épouse de E. Carrère Hélène Devynck a défrayé la chronique fin septembre avec une interview/un article (dans Vanity Fair) assez virulent sur les « mensonges » de E. C. et la rupture d’un contrat morale envers elle. Ses derniers mots après une charge assez « hard » sont :
« Yoga est un succès commercial salué par une critique enthousiaste qui prend pour argent comptant la fable de l’homme à nu, honnête et souffrant, qui a remonté la pente en claudiquant et voudrait bien devenir « un meilleur être humain » »
Les lecteurs sont libres de croire ou de douter. L’auteur est libre de raconter sa vie comme il veut, comme il peut (29.9.20).
Il en était question sur France Culture tout à l’heure, mais j’ai pris en cours…je ne sais pas…depuis L’adversaire, j’ai du mal avec lui. Ce livre m’avait profondément perturbée, mise mal à l’aise par rapport à l’auteur.
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Ce type me fascine, au même titre que Houellebecq avec lequel il partage d’ailleurs quelques affinités. Pourtant, je n’ai encore jamais lu Carrère. C’est peut être le moment pour une séance de Yoga. Malgré tes réserves, tu me l’as plutôt bien vendu.
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En effet, il fascine, et et il peut énerver avec son égocentrisme qu’il arrive si facilement et joliment draper des autours souriant d’un enfant gâté… ….
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Je préfère de loin de très très très loin Carrère comme romancier que Carrère comme auteur d’autofiction. J’aime quand il s’oublie, quand il laisse la place aux autres. Son nombrilisme m’exaspère et n’arrive pas à atteindre l’universalité, selon moi. Il reste dans le « moi », à prendre ou à laisser… Et là je laisse.
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« ….Mais la vie, fort heureusement, n’a rien d’une équation mathématique et ce pan de sa vie que nous livre aujourd’hui l’écrivain, s’il nous a fait beaucoup bâiller, nous a aussi “touché” et “ému”, pour employer le langage de nos consœurs. Il y a cette tristesse poisseuse qui finit par donner envie de se recroqueviller dans un coin de sa chambre en position fœtale avec une tétine dans la bouche ; il y a cette solitude immense qui donne le vertige ; il y a surtout ce petit enfant perdu qui aimerait rentrer chez lui, à quoi ressemble l’écrivain âgé de 63 ans. Seul un monstre n’éprouverait pas l’envie, au moins une fois, de lui donner la main pour le raccompagner à la maison (ne serait-ce que pour ne plus l’entendre geindre !)….. » (extrait lu dans « Valeurs actuelles » ….
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Je crois que je suis alors un « monstre » selon cet extrait (qui décidément emploie de grands mots
.. à tort ou à raison…avec un certain goût douteux pour l’emphase) et je conseillerai à EC de poursuivre sa psychanalyse.
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Dans ce cas tu es mon « monstre » préféré……
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