Œuvre immense traduite de l’anglais (Irlande) par Clément Baude

Nous vivons notre vie, en cercles de plus en plus larges qui passent sur les choses (Rilke) – l’original dit :
Ich lebe mein Leben in wachsenden Ringen,
die sich über die Dinge ziehn.
Ich werde den letzten vielleicht nicht vollbringen,
aber versuchen will ich ihn.
Ich kreise um Gott, um den uralten Turm,
und ich kreise jahrtausendelang;
und ich weiß noch nicht: bin ich ein Falke, ein Sturm
oder ein großer Gesang

Ce n’est pas le 1er livre de Colum McCann que j’ai lu – [ou ici ] mais c’est le plus beau, le plus abouti. Le livre est comme les cercles qui se chevauchent lors d’une pluie – ou si on y jette une poignée de pierres. Column McCann en jette des centaines de ces pierres (précieuses), les cercles s’agrandissent, se chevauchent, indéfiniment….Apeirogon

4e de couv’ (Belfond)
Rami Elhanan est israélien, fils d’un rescapé de la Shoah, ancien soldat de la guerre du Kippour ; Bassam Aramin est palestinien, et n’a connu que la dépossession, la prison et les humiliations.
Tous deux ont perdu une fille. Abir avait dix ans, Smadar, treize ans.
Passés le choc, la douleur, les souvenirs, le deuil, il y a l’envie de sauver des vies.
Eux qui étaient nés pour se haïr décident de raconter leur histoire et de se battre pour la paix.
Afin de restituer cette tragédie immense, de rendre hommage à l’histoire vraie de cette amitié, Colum McCann nous offre une œuvre totale à la forme inédite ; une exploration tout à la fois historique, politique, philosophique, religieuse, musicale, cinématographique et géographique d’un conflit infini. Porté par la grâce d’une écriture, flirtant avec la poésie et la non-fiction, un roman protéiforme qui nous engage à comprendre, à échanger et, peut-être, à entrevoir un nouvel avenir.
Pour une fois la 4e de couv’ dit clairement ce qui attend le lecteur. En effet, c’est une « exploration » multi-sujets (parfaitement et admirablement documentée). Juste pour vous donner une idée (superficielle) : on y croise et/ou creuse Borges, Al-Masri ( un milliardaire palestinien), Belfast, Sinéad O’Connor, Philippe Petit, Mitterrand, Arafat, Netanyahou, la (les) Nakba(s), Spielberg, Theresienstadt, Matti(tyahu) Peled, le beau-père de Rami Elhanan, la femme de ce dernier Nurit Peled-Elhanan, l’ami (palestinien) Bassam Aramin, Peres, Rabin, les accords d’Oslo, l’occupation (ou la « préoccupation« ) les intifadas, les colombes/pigeons de la paix (Picasso), le goût d’une gorgée de Coca-Cola en prison, les check-points (mobile et/ou fixes…. ahh ces bribes d’enregistrement des échanges – les micros des check-points sont sensibles… – entre soldats israéliens et palestiniens qui veulent entrer dans ou sortir du territoire), [toutes ces descriptions, le vécu, les récits – vous donnent la chair de poule, les portraits diffractés des deux fillettes Abir et Smadar, les oiseaux toujours (du rapace au plus paisible de l’espèce)….

Rajoutant à cela une structure des plus audacieuses : 499 « chapitres » – parfois un chapitre => une phrase, des fois d’une poésie qui étreint, des fois comme un coup de fusil ou une bombe. Cette série de 1 – 499 chapitres débouche en milieu du livre p.243(sur 510 pages) sur le chapitre 500 » Mon nom est Rami Elhanan« , auquel suit un chapitre 1001 « Il était une fois » suivi lui par un autre chapitre 500 « Mon nom est Bassam Aramin » [ces deux récits sont des transcriptions…. »rassemblées à partir d’interviews menées à Jérusalem, à New York, à Jéricho et à Beit Jala« ] et rebelote, mais en mode diminuant , chapitre 499, 498, 197 etc….se terminant avec un chapitre 1 « Les collines de Jéricho sont un bain d’obscurité. »
Il y a des gens (des critiques professionnels aussi) qui disent comme p.ex. Alexandra Schwartzbrod dans les pages de « Libération » L’ensemble forme Apeirogon, qui donne son nom au livre, une figure géométrique au nombre infini de côtés. L’idée est de montrer toutes les facettes d’un conflit multiple et les liens de cause à effet entre les tragédies, parfois même l’absurdité de ce conflit. Le procédé est intéressant, brillant, mais il entrave terriblement la lecture, bride le romanesque et finit par lasser. Jusqu’à la page 243. ou chez Pamolico qui écrit : « …Ambitieux, Apeirogon est d’une complexité rare, construit selon une trame souvent opaque, mais aussi stupéfiante d’intelligence. Les phrases sont aussi courtes que les chapitres, parfois simple image venant couper court à tout argumentaire. La lecture en résultant est hachée, parfois désagréable, confuse. On est à la fois muet devant l’émotion qui imprègne les pages et muet devant le système labyrinthique qu’est ce livre.

Je ne suis pas d’accord (du tout, même) – tout labyrinthique qu’il semble être, il n’est le reflet d’une situation inextricable dans laquelle se trouvent les juifs, arabes, palestiniens, israéliens là bas. Et personnellement j’ai été ébloui par la manière avec laquelle Colum McCann nous « guide » d’un chapitre à l’autre. Il y a toujours un mot, une idée, un fait qui relie un chapitre X avec le chapitre X+1.
Deux exemples : L’eau sous toutes les formes et gouttes.
« Pour être remplie, une piscine moyenne nécessite quatre-vingt-quatre mille litres d’eau » ((ch. 491) ….« L’eau dissout davantage de substances que tout autre liquide, même l’acide » (ch. 466)…. »Elle désorganise les forces d’attraction qui maintiennent ensemble les molécules » (ch 465) « Dans bien des maisons en Cisjordanie, vous remplissez des bassines, vous alignez les cruches, vous remplissez des bouteilles près de l’évier. Vous vous brossez les dents près de l’évier…(…) ….vous priez pour qu’il pleuve même si la citerne est presque pleine » (ch 464)..; »Un des jeux auxquels se livrent les soldats israéliens s’appelle Tire sur la citerne : plus la balle atteint la partie basse de la citerne, plus le tireur est adroit. (ch. 463) …. »En Cisjordanie, Mekorot, la compagnie israélienne de l’eau, s’arrange pour que les colons paient le moins cher possible. Les Palestiniens paient jusqu’à quatre fois le prix. En privé, les dirigeants de l’entreprise surnomment cet accord la clause de la Piscine » (ch. 271) . … et ceci n’est qu’un aperçu.

Plus poétique quelques chapitres qui en partant de la « couronne d’épines » portée par Jésus (ch. 356) et en passant par les « chapeaux rembourrées et cousus de lourdes pièces de monnaie » (ch. 355) ou les manteaux noires des sicaires (secte de zélotes juifs) dissimulant « des poignards acérées« – (ch. 353) le terme sicaire a été par ailleurs, vous n’êtes pas sans le savoir, reprise par les cartels de drogues (Sicario) – (ch. 352) Colum McCann emmène le lecteur à l’artiste Sigalit Landau qui « déposa une longue robe noire dans la mer Morte, la suspendant dans une cage en bois à une profondeur de quatre mètres cinquante« (ch. 350) .

L’image de cette robe gorgée de sel après quelques semaines va bouleverser Rami « …il fut tellement décontenancé qu’il se rendit dans la chambre de sa fille et s’assit en silence« (ch. 347) suivi du ch. 348 : « Elle aurait eu trente ans, à quelques jours près trente et un« .
Jamais, au grand jamais, je n’étais perdu… mais souvent, très souvent ému. Je n’ai pas pu lire cette œuvre d’une traite – ce n’est pas à proprement parler un « page-turner » même si il vous aspire dans un tourbillon d’images et d’informations. J’ai dû parfois faire le vide pour pouvoir continuer à le lire. Lady DoubleH le dit mieux que moi dans son blog et comme elle, je pourrait écrire/dire « Coup de cœur et enthousiasme colossal pour cette lecture«
L’un des meilleurs livres de l’année 2020 (pour moi). (et un grand merci à Clément Baude, le traducteur de cette somme)
On peut en complément (si on veut sortir de la littérature pure) feuilleter les sites du Cercle des Parents (d’enfants tués – israéliens ET palestiniens) – en anglais ainsi que le site des Combattants pour la paix (dont Rami et Bassam – je ne peux m’incliner devant leur soif de paix)
Et last but not least cette chanson qui fait souvent apparition dans ce livre :
PS
Information ce jour (14.10.2020) dans la presse (Le Monde/Libération/ Figaro) :
Israël approuve la construction de plus de 2 000 logements dans des colonies en Cisjordanie.…
Plus de 450 000 Israéliens vivent dans les colonies juives en Cisjordanie occupée, en plein essor ces dernières années sous l’impulsion de M. Nétanyahou et sous le mandat de Trump.
Pour La Paix maintenant, le premier ministre israélien gâche une occasion de faire la paix. « Au lieu de profiter des accords avec les pays du Golfe et de promouvoir la paix avec les Palestiniens, il détourne les priorités d’Israël pour satisfaire une minorité marginale » de son électorat traditionnel nationaliste, affirme l’organisation.
Le lien ne fonctionnera certainement pas pour toujours (11.12.2020) , mais il y avait une interview des deux protagonistes hier sur ARTE.TV
Nous ne tomberons donc jamais d’accord… merci de la mention.
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Pas tout-à-fait…..mais j’aime citer des avis contraire pour la ‘♎ ‘ et tu as bien parlé de la césure et bascule du milieu ….et n’oubliens pas : j’approche les 66 ans avec des petits enfants…. ça te change le regard (aussi)
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Je suis loin d’être encore sortie du labyrinthe, et c’est un grand bonheur d’y errer, d’y apercevoir parfois une lumière, un leurre d’issue et des nuées d’oiseaux…Je poursuis ma lecture, mais je suis déjà 100% d’accord avec toi. Il y a des lectures exigeantes et celle-ci en est, mais tellement d’émotions, de beauté, d’histoire(s)…comme toi, je ne doute pas que ce grand livre sera parmi mes plus belles lectures de l’année.On en reparle quand j’aurai fini mon voyage.
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Un de mes auteurs préférés, tout lu de lui, il me surprend toujours même si je ne suis pas toujours d’un enthousiasme effréné pour chacun de ses romans. Je m’y attaque dès que j’aurais terminé « Trencadis » de CarolineDreyns sur Niki (excellent, une écriture trépidante).
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Je signe ta 1ere phrase – pareil pour moi. Contrairement à pleins de lecteurs j’ai préféré p.ex. de loin « Dancer » à « Zoli » ….
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Mitou! Et les saisons de la nuit, Et que le vaste monde… Ainsi que ses nouvelles.
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Pareil pour moi….
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