Deux autres toiles français vus avant que les salles ne ferment de nouveau (??)
La Daronne & Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait

Il y a presque 3 ans j’ai dit tout le bien que je pensais du roman éponyme duquel est tiré ce film (le scénario a par ailleurs été écrit en collaboration avec l’auteure Hannelore Cayre (La collectionneuse de feu d’artifices« . (Prix Le Point du Polar européen 2017)
J’écrivis alors : « Patience Portefeux (à noter que mes collègues traducteurs judiciaires appartenant à la catégorie les appellent des « Jérôme Portefaix » !), 53 ans, veuve, qui « parle la bouche légèrement tordue, ce qui fait que le côté droit de (son) visage est un peu moins ridé que le gauche. » ….(a) un physique robuste avec cinq kilo de trop pour en avoir pris trente à chacune de (ses) deux grossesses…. » (p.18).

Isabelle Huppert (actuellement fêtée sur Arte (avec des films dont hier l’étonnant « La séparation » et un documentaire) est loin d’avoir des kilos en trop….et ce n’est pas le seul « écart de l’original ». Mais je peux vous dire qu’on s’en fout finalement. L’esprit du roman est présent, sa causticité bien transcrite, le passé de Patience moins traité (pour éviter des flash-back trop lourd j’imagine). La trame d’action garde les moments invraisemblables et teintés d’humour noir… et on passe un moment léger, sympa’ (sans prise de tête), sans conséquences…. porté par le jeu d’acteurs (mention étoile à Isabelle Huppert, qui contre toute attente est tout à fait crédible dans ce rôle et mention bien à Hippolyte Girardoux, le policier amoureux-amant occasionnel qui n’arrive pas à mettre la main sur « La Daronne » pourtant si proche. Leurs tête-à-têtes sonnent vrais de vrais (parfaitement incarnant les scènes du roman).
Un petit plaisir pour celui qui accepte une histoire tiré par les cheveux mariée à une approche / un jeu Huppert-ien, sans s’attendre à un « grand film » mais qui s’avère nettement « mieux » que « Arsène Lupin » du même Jean-Paul Salomé (le seul film que j’ai vu de lui).

Le nouveau-né de E. Mouret se situe clairement à un autre niveau. (à noter que sur les marchés internationaux le film se vend sous le titre « Love Affair(s) » ce qui manque cruellement de finesse par rapport au titre français plus marivaudant, tout en transcrivant parfaitement cette spirale d’histoires d’amours (« banales ») sur la base desquelles E. Mouret nous propose un cours quasi-philosophique sur la/les relation(s) amoureuse(s)….cours qui devient une sarabande quasi-jouissive qui cependant n’avait pas besoin d’un tapis musical du « best-of-classic » (Chopin, Vivaldi, Satie, Samuel Barber) plus ou moins bien utilisé pour souligner les états d’âmes des acteurs.
Parmi les amis avec lesquels j’ai vu le film peu de dissonances dans l’accueil – une voix disait toutefois que c’était (un peu) trop long, une autre était déçue de n’entendre que des platitudes mille fois traitées au cinéma et en littérature… d’autres commentaires (glanés chez Princeranoir) disent p.ex. « Mon Dieu. J’ai détesté ce film, c’est long, prétentieux, surjoué, et j’avais l’impression de voir du théâtre filmé…Une amie s’est endormie trois fois » …
Rien de tout ça chez et/ou pour moi !!

J’ai lu la critique proposée par Le tour d’écran (Princecranoir) ici et me suis retrouvé dans presque tout et me permets donc le citer (puisqu’il parle nettement mieux que moi de ce film et pas que…).
Voici son incipit et le 1er paragraphe :
« Nous n’allons pas, on nous emporte : comme les choses qui flottent, ores doucement, ores avecques violence, selon que l’eau est ireuse ou bonasse.
Chaque jour nouvelle fantasie, et se meuvent nos humeurs avecques les mouvemens du temps.
Nous flottons entre divers advis : nous ne voulons rien librement, rien absoluëment, rien constamment. » Michel de Montaigne, Essais, Livre II, 1595.
L’amour est un mystère qu’il n’est pas si aisé de percer à jour. Il est des cinéastes qui en ont fait leur cible de cœur, s’attachant par un soin délicat à en circonscrire le sujet, en observant les variations complexes, les inconstances nombreuses, s’essayant même à l’embrasser en prenant garde de trop étreindre. Filant sur les elles du désir au détour des ils aux trésors, hommes et femmes peuvent se montrer volages, sous l’empire d’une passion volatile, d’une émotion contagieuse, tel le spectateur qui vient à la rencontre d’un film dans l’espoir peut-être d’en tomber amoureux. Il y a « les choses qu’on dit, les choses qu’on fait », Emmanuel Mouret en sait quelque chose puisqu’il est passé maître dans l’art du « Caprice ». Le suite ici
Par ailleurs, comme lui j’étais saisi par le jeu (et le personnage) joué par Emilie Dequenne.
Moi j’ai bcp aimé ce théâtre des sentiments littéraires (plus ou moins volages) bien filmé (et cadré – ahh ces portes… – avec parfois un travail très fort sur les couleurs), mais peu comprendre les réticences de certains qui resteront de marbre devant les acteurs et leur interrogations.
Toutafé recommandable – puisque loin des canons de la critique « mainstream » – la critique de Strum – qui souligne notamment le « goût de l’effacement » des personnages (bien vu !) …. voici un extrait :
Ces réserves faites, le film intéresse par autre chose que l’application de la théorie du désir mimétique. Un trait de caractère commun relie en effet plusieurs personnages : le goût de l’effacement. Maxime s’efface devant Gaspard ; Daphné s’efface devant son amie étudiante ; Louise (Emilie Dequenne), surtout, l’épouse de François, s’efface devant Daphné. C’est cette récurrence de la figure de l’effacement qui finit par intriguer, qui va de pair d’ailleurs, avec l’idée que ces amours fugaces et inconstants ne trouvent jamais une juste rétribution, chaque personnage paraissant toujours déchiré entre plusieurs élans, plusieurs souvenirs, qui contrarient le présent. L’amour apparait alors comme une promesse jamais tenue, relevant presque du jeu des apparences, voire du simulacre comme dans cette scène où Louise simule un bonheur retrouvé avec un autre pour cacher son malheur aux yeux de François, et qui est rétrospectivement la plus belle du film.
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