Un pied au paradis – One foot in Eden

Un-pied-au-paradis

Traduit par Isabelle Reinharez

Présentation de l‘Editeur

Oconee, comté rural des Appalaches du Sud, début des années 1950. Une ancienne terre cherokee, en passe d’être à jamais enlevée à ses habitants : la compagnie d’électricité Carolina Power rachète peu à peu tous les terrains de la vallée afin de construire une retenue d’eau, immense lac qui va recouvrir fermes et champs. Holland Winchester est mort, sa mère en est sûre, qui ne l’a pas vu revenir à midi, mais a entendu le coup de feu chez le voisin. Ce drame de la jalousie et de la vengeance, noir et intense, prend la forme d’un récit à cinq voix : le shérif Alexander, le voisin, sa femme, leur fils et l’adjoint. Devant un texte aussi puissant que singulier, on pense à Larry Brown et Cormac McCarthy, voire Giono. Pas moins.

Vous connaissez le film « Rashomon » de Kurosawa ? Voilà un roman qui bizarrement m’a fait penser à ce film, de par sa structure et sa poésie sombre et mélancolique. Dans « Rashomon » ce sont quatre personnes qui présentent à tour de rôle des versions très différentes d’un même crime. Ici ce sont également 4 personnes.

C’est une tragédie grecque sans chœur mais avec des narrateurs différents (un shérif – Alexander -, une femme (Amy), son mari (Billy), leur fils (Isaac), l’adjoint du shérif) qui pour les 3 premiers racontent de leur point de vue un fait divers : la 4e de couv’ le dit  : un homme, Holland Winchester,  disparaît du jour au lendemain sans laisser une trace.

Le fils parlera env. 19 ans après les faits… et l’adjoint va clore le livre avec son récit (très court).

Holland Winchester était une sorte de bad boy du coin, décoré lors de la guerre de Corée. Le shérif pense, et se trouve soutenu dans cette idée par la mère de Holland, qu’il a été assassiné par ses voisins (l’homme et la femme) pour des raisons que je ne veux pas déflorer ici, mais qui font tout le sel de ce roman.

Quand je dis « sel » je dois aussi mentionner un autre personnage, la « sorcière », la veuve Glendower, on sait bien qu’il faut porter du sel dans sa poche quand on va parler à une femme, n’est-ce pas ?

Et pour être toutafé complet vaudra mieux annoncer la couleur aussi, sombre comme souvent chez Ron Rash (ceux qui ont lu « Une terre sombre » ou « Un silence brutal » auront été marqué), de la disparition d’un monde – ici, c’est la construction d’un barrage qui va engloutir un monde, des vies, des morts….  La nature est omniprésente, pas seulement dans la bouche des fermiers, non par tout le monde…..Tiens un autre lien souterrain : le roman de O. Norek qui se passait autour d’un village englouti, ici c’est une vallée entière…

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Ron Rash est u grand peintre de la Nature aussi (pas seulement de la nature humaine) – et au fil de la lecture je découvre un certain André Michaux (ainsi que son fils François André Michaux) qui a découvert dans la Caroline une plante (she-show) inconnu sous nos cieux en good old Europe.

Quelques extraits :

Ainsi les quelques phrases qui disent tout de la relation entre un père et un fils (qui ne voulais plus s’occuper de la ferme et a épousé une femme d’un milieu plus aisé (avant la crise de ’29) :

« J’entendais les cigales chanter dans les arbres tandis que nous cherchions quoi nous raconter de plus. Nous avions beau être assis non loin l’un de l’autre, on aurait cru qu’un lac s’était étalé entre nous, mais c’était quelque chose de plus grand et de plus difficile à traverser. » (p. 68)

Ou la citation des belles paroles d’un naturaliste américain du 18e siècle (William Bartram)

« Les espaces montagneux et sauvages moutonnant tel le vaste océan après une tempête. » (page 88)

Le regard réaliste et attendri sur une femme :

« Elle paraissait rouée de fatigue et pour la première fois j’ai entraperçu à quoi elle  ressemblerait quand elle serait plus ni jeune ni jolie. Je savais que ce temps-là n’était pas si loin, parce que la vie dans une ferme des collines vous use une femme plus vite qu’un homme, du moins au-dehors. »  p. 218)

J’ai lu (dévoré) le livre lors de mon (long) voyage en train pour Düsseldorf – et il m’a fait oublier le port de masque – comme un film …..C’est vraiment un très bel hymne à la nature (aussi âpre et aride elle puisse être), paré d’un tissu fait de thriller, de tragédie, de mots simples comme le bonjour et/ou des silences, même quand les personnes sortent des mensonges sans hésiter :  « C ‘est sorti joli comme un doryphore et sans un mot qui butait

doryphore

Très beau travail de Isabelle Reinharez – les niveaux de langage/d’éducation des divers personnages sont bien rendus…les exégètes de la traduction discuterons peut-être les choix du rendu du parler de quelques personnages (un peu plus « bouseux » que d’autres), mais cela ne m’a pas gêné.

A propos lorenztradfin

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4 commentaires pour Un pied au paradis – One foot in Eden

  1. princecranoir dit :

    McCarthy et Giono dans le pédigrée, voilà qui me donne envie de mener l’enquête.

    Aimé par 1 personne

  2. la découverte de Ron Rash….Magnifique et sans doute pour moi avec Serena, un de mes préférés

    Aimé par 1 personne

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