Richesse oblige

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Présentation de l’Éditeur (Métaillé)  sur son site

Dans les petites communautés, il y en a toujours un par génération qui se fait remarquer par son goût pour le chaos. Pendant des années l’engeance historique de l’île où je suis née, celle que l’on montrait du doigt lorsqu’un truc prenait feu ou disparaissait, ça a été moi, Blanche de Rigny. C’est à mon grand-père que je dois un nom de famille aussi singulier, alors que les gens de chez moi, en allant toujours au plus près pour se marier, s’appellent quasiment tous pareil. Ça aurait dû m’interpeller, mais ça ne l’a pas fait, peut-être parce que notre famille paraissait aussi endémique que notre bruyère ou nos petits moutons noirs… Ça aurait dû pourtant…

Au XIXe siècle, les riches créaient des fortunes et achetaient même des pauvres afin de remplacer leurs fils pour qu’ils ne se fassent pas tuer à la guerre. Aujourd’hui, ils ont des petits-enfants encore plus riches, et, parfois, des descendants inconnus toujours aussi pauvres, mais qui pourraient légitimement hériter ! La famille de Blanche a poussé tel un petit rameau discret au pied d’un arbre généalogique particulièrement laid et invasif qui s’est nourri pendant un siècle et demi de mensonges, d’exploitation et de combines. Qu’arriverait-il si elle en élaguait toutes les branches pourries ?

Vous vous rappelez peut-être de « La Daronne » que j’appelais alors la « Collectionneuse de feux d’artifices » … et qui va passer sur nos écrans (un jour, quand on aura de nouveau droit aux salles obscures) incarnée par Isabelle Huppert.

Mon « article » pourrait s’intituler « L’élagueuse de l’arbre généalogique« . La narratrice est l’avant-dernière feuille sur une branche de la famille de Rigny… (heureusement Hannelore Cayre nous esquisse page 73 l’arbre généalogique de cette tribu – j’y suis retourné souvent) – et se trouve en ligne direct (disons comme ça – un père peut en cacher un autre, hem!) d’Auguste et de Corentine (l’un de Saint-Germain, l’autre d’une île bretonne) … et le roman nous parle, entre autres, du cheminement d’Auguste en cette année 1870 (le récit débute le 14 juillet – càd 5 jours avant la déclaration de la guerre contre la coalition d’Etats allemands sous la houlette de la Prusse – d’ou le nom « Guerre franco-prussienne » et se termine avec la Commune de Paris – « la semaine sanglante » & l’insurrection qui préfigurera la Révolution russe, entre autres… et se terminera sous la IIIe République).

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Je souligne ce contexte historique puisque je n’ai pas appris ces années-là sous cette perspective là chez moi en Allemagne (drôle pour moi – de voir de l’autre bout de la lorgnette les turpitudes autour de la « dépêche d(e Bad)’Ems » – die Emser Depesche))….

Il n’y a pas que le cheminement d’Auguste et de sa famille qui intéresse Hannelore C. , elle nous propose finalement une double intrigue puisque la narratrice est bien de chez nous, je veux dire de notre époque (le 21e siècle), et elle a la gouaille de l’héroïne de la « Daronne » (par ailleurs, Hannelore C. a bien fait de marquer stylistiquement une forte différence entre le 19e et le 21e siècle – c’est presque un exercice de style, mais qui ralentit et/ou dilue aussi un peu le roman qui finalement court (à mon avis) un peu trop de lièvres à la fois. Je m’explique :

Non content de nous raconter le passé d’une famille ultra-riche (et les méfaits du capitalisme), il s’attaque par le biais de la narratrice, de sa fille Juliette et l’amie Hildegard, à quasiment tous les sujets qui grincent dans les rouages de l’Histoire du 21e siècle : gilets jaunes (tiens!), l’anticapitalisme, la lutte contre les violences faites aux animaux, l’écologie (le gasoil de qualité africaine p.ex.), les paradis fiscaux,  l’handicap et /ou les dérives de l’Art Contemporain (la photographie) – une descente bien noire ou jaune bile dans la FIAC ….

La beauté noire - Ademaïde

La beauté noire – Adelaïde

ce qui approche les 217 pages du roman à thèse (lire les deux pages de « remerciements » à Thomas Piketty, Paul Lidsky, Bernard Schnapper, Gérard Mordillat, Peter Watkins ou/et « même » l’association « Robin des Bois » – ce qui alourdit un peu.

« Il suffisait d’avoir lu Balzac, Zola ou Maupassant pour ressentir dans la chair que ce début du XXIe siècle prenait des airs de XIXe. Il y’avait bien sûr la disparition progressive des services publics, mais pas seulement. …..la part des revenus du travail dans les ressources dont une personne disposait au cours de sa vie s’était mise à reculer pour arriver exactement au même niveau qu’à l’époque de mon ancêtre Auguste. On se surprenait à nouveau à attendre le décès de papa-maman pour s’acheter un logement ou payer les études et l’installation de ses enfants. Et cette tendance n’irait qu’en s’accentuant avec la fin (irrémédiable dans un monde épuisé) de la croissance telle que nous la connaissons depuis la révolution industrielle….La lecture du Père Goriot avec ses impayables conseils de Vautrin à Rastignac pour gravir l’échelle sociale devenait ultra branchée et la vision méritocratique du monde, complètement ringarde. » (p. 161/162)

Ile-d-Ouessant

Le roman se passe donc entre passé et présent, entre Paris et une île bretonne (Ouessant?). Occasion pour décrire (en ce qui concerne 1870) une île de femmes fortes (dont les maris, fils et pères sont souvent parti en mer….)…  C’est que le père d’Auguste charge qqn pour trouver un homme qui pourrait faire office de remplacement militaire pour son fils – et ce « rabatteur » ce trouvera sur cette île (cet aspect de la possibilité de « acheter des hommes » pour qu’ils servent de remplaçants au service militaire – notamment quand il y avait danger de guerre à l’horizon…- m’était inconnu – on parlait alors du « commerce d’hommes ») )

Tirage au sort : C’était rituel : tous les ans les jeunes gens qui avaient fêté leur vingtième anniversaire se retrouvaient au chef-lieu de canton pour le tirage. Un moment chargé d’émotion. Ceux qui avaient tiré les « bons numéros », les plus élevés, se réjouissaient. Quant aux autres, ils avaient la possibilité d‘être « exemptés » ou « dispensés » quand ils pouvaient justifier de leur situation de famille (fils de veuve, frère au service, etc.), de leur métier (instituteur, séminariste, marin), d’une faiblesse de constitution, défaut de taille, etc. En dernier recours, ceux qui étaient assez aisés avaient recours au remplacement – ce qui impliquait de trouver un homme qui accepterait de se substituer au conscrit « tombé au sort » et le payer. Les résultats du tirage peuvent être lus dans « la liste de tirage », consultable aux AD.

Je me réjouissais d’avance de me jeter dans la langue rafraîchissante de Hannelore Cayre et sors plutôt mi figue-mi-raisin (ni poisson ni viande comme on dirait en allemand qui affectionnerait aussi  Avec un oeil qui rit et un qui pleure). L’intrigue « contemporaine » traite trop de sujets, l’élagage d’un arbre généalogique ne va pas sans tordre le cou à la cohérence de certaines situations. Et le soubassement de la partie 1870 appuie parfois un peu trop visiblement sur les personnages annexes ou théoriques, pour  dresser un tableau le plus complet possible. Néanmoins, le roman vibre d’une vraie colère retenue (à peine), dessine des liens entre les deux siècles et m’a (au moins à moi) appris des notions que je croyais être du moyen âge.

Le lecteur qui s’attend à un récit tambour-battant comme dans « La Daronne » sera forcément déçu, mais ce 6e livre de H. Cayre est autrement plus profond et donc perturbant.

D’autres ont bcp plus aimé :

https://www.nyctalopes.com/richesse-oblige-de-hannelore-cayre-metailie/

 

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4 commentaires pour Richesse oblige

  1. CultURIEUSE dit :

    Malgré la moche couverture et le titre niais, ta chronique attise ma curiosité. Je vais peut-être craquer.

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  2. Yv dit :

    Je n’avais pas été emballé par La daronne et comme je ne suis pas fan d’I. Huppert, je n’irai pas au cinéma voir le film et je crois que je ne lirai pas ce livre

    Aimé par 1 personne

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