Lu dans le cadre de la sélection du Livre Inter 2020 (et le Shadow-Cabinet) (en mode « liseuse » donc – sorry : les qqs citations seront faites sans indication du n° des pages) – c’est le 8e de la liste. Manquent donc « juste » encore 2.
Présentation de l’Éditeur (Minuit)
La carrière de Gérard Fulmard n’a pas assez retenu l’attention du public. Peut-être était-il temps qu’on en dresse les grandes lignes.
Après des expériences diverses et peu couronnées de succès, Fulmard s’est retrouvé enrôlé au titre d’homme de main dans un parti politique mineur où s’aiguisent, comme partout, les complots et les passions.
Autant dire qu’il a mis les pieds dans un drame. Et croire, comme il l’a fait, qu’il est tombé là par hasard, c’est oublier que le hasard est souvent l’ignorance des causes.
Lire Echenoz, c’est une véritable expérience de lecture vraie pour lecteur qui aime se faire perdre dans une intrigue bien bâtie mais interrompue par des sous-intrigues, des personnages, assez solidement et ironiquement campés qui viennent et sortent du récit; ce dernier s’interrompant parfois pour sauter d’une scène à l’autre, délaissant le narrateur (Gérard Fulmard himself) pour laisser la place à des « intermèdes » échevelés comme ci-dessous – un moment scabreux (j’adore la manière d’utiliser des niveaux de langage fort différents, de nous offrir une écriture d’une richesse éblouissante).
« Pour mettre un peu d’ambiance, comme Angélique s’attarde sur un bouton rétif, Franck lui demande respectueusement s’il pourrait lui toucher les seins. Elle ne répondant pas, Franck suppose que ce n’est point inclus dans le forfait, se garde d’insister cependant qu’Angélique vient de mettre à jour son membre, se tourne vers le distributeur de condoms dont elle extrait une unité, en déchire l’étui, amorce le déroulement du latex et soudain Franck n’en mène pas large.
Pas large au point que sur-le-champ s’ensuit un effet de détumescence et cela va être toute une affaire, pendant presque une minute, pour tâcher d’enfiler l’accessoire sur l’organe devenu mou de Franck. La chose est techniquement impossible : le caoutchouc ne tient pas sur un support flaccide, cela relève de l’antinomique. Angélique s’obstine cependant contre toute logique à résoudre cette aporie * jusqu’à ce que Franck convienne que l’entreprise est vaine et qu’il lui en fasse part, lui suggérant de laisser tomber, ajoutant qu’il est désolé. C’est moi, dit poliment Angélique. » (nda *Contradiction insoluble dans un raisonnement )
Gérard Fulmard, va tomber dans les rets d’une obscure Fédération populaire indépendante (FPI) (un parti politique qui n’a jamais fait plus de 2-2,2 % de voix) et qui est en proie d’une recomposition et le théâtre d’une lutte acharnée pour le siège de la présidence (ahh ces noms des cadres qu’on s’imagine avec leur têtes d’agneaux sages sur des affiches : Dorothée Lopez, Cédric Ballester, Francis Delahouère, Jean-Loup Mozzigonacci, Jacky Bloch-Besnard, Luigi Pannone, Joël Chanelle, ….) et sera chargé d’une mission (est-ce qu’il réussira mieux que son activité de détective-conseil privé d’après son modèle fétiche du Détective Duluc, rue du Louvre.?)
« Voici donc qu’après le coup de l’arme à feu, figure imposée dans ce genre d’histoire comme l’a pertinemment fait observé Gérard Fulmard, voici qu’on va nous faire le coup de l’exotisme. Ne manquerait plus maintenant qu’une scène de sexe pour remplir les quotas – mais alors une vraie scène de sexe, bien sûr, savamment menée, moins déprimante que celle de Franck Terrail à Pigalle. Nous verrons plus tard. Gardons-là en réserve si l’occasion se présente. »
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On rencontrera un requin (en Indonésie – Florès), assiste à des échanges sur le jeu de Go – les frères Apollodore et Ermosthène Nguyen qui étudient les parties classiques …, on apprend des faits divers qui ont eu lieu dans la rue Erlanger (Paris 16e) – rue dans laquelle G.F. vit avant de se faire virer de l’appart’ occupé auparavant par sa mère… (suicide de Mike Brant, le Japonais Issei Sagawa y a mangé des étudiantes, etc…), fait le tour de demeure magnifiques, avec des piscines …
« Non loin d’eux, seule et nue, Louise Tourneur va et vient dans une piscine de vingt mètres sur douze. En arrière-plan se dresse une villa moderne et tarabiscotée : décrochements et surplombs, verrières polychromes, échauguettes bivalves, balustres asymptotes et autres finasseries……. D’un bout à l’autre elle va et vient donc, Louise Tourneur, de cette piscine carrelée par briques en pâte de verre qui déclinent, du cobalt au ciel, tous les bleus. Son rythme est raisonnable mais soutenu. Passant d’allers en crawl à retours en brasse coulée, une fois sur deux l’on distingue son visage de profil, l’autre fois de face. Elle procède sans forcer, sans s’essouffler ni recruter par trop ses muscles sur un parcours de deux mille quatre cents mètres, demi-fond qu’elle s’impose chaque matin.
À la voir ainsi nager, l’on peut comprendre l’enthousiasme de Gérard Fulmard tant l’anatomie de Louise Tourneur – floutée par le remous, prolongée par le sillage, festonnée par l’écume – paraît élancée, longiligne, harmonieuse, d’autant mieux proportionnée que le mouvement flatte ces attributs. Ses cent vingt longueurs accomplies, comme elle sort de l’eau, se hissant aux barreaux de l’échelle en agitant ses cheveux, nue à l’air libre on la voit d’autant mieux.
Dès lors on se prend à déchanter un peu car enfin n’exagérons rien, Fulmard s’est exalté, Louise Tourneur n’est pas mal du tout, certes, mais pas tant que ça. Même si elle incarne un modèle standard de grande blonde mince bronzée, aux courbes assurément calibrées, son menton présente une légère angulosité, son œil gauche diverge légèrement, ses pieds ne sont pas si menus.… »
Finalement on s’en fout de l’histoire, c’est plutôt un plaisir de la langue qu’Echenoz nous offre dans ce court roman dont je ne garderai cependant rien de plus qu’un bain linguistique réjouissant, mais de type limité dans le temps, éphémère – Jean E. aurait peut-être dit archiptère.
Ah celui-ci, j’en lis du bien partout, je le lirai donc, pour le plaisir immédiat si je te comprends bien.
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Mitou!
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Tu utilise des mots savants comme ça ?
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J’aime lire Echenoz. A chaque fois, pour toutes les raisons que tu évoques, et surtout celle que tu mets en avant, sa langue.
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