Le monde n’existe pas

« Fake est le nom de code du monde moderne. » (p. 224) 

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Lu dans le cadre de la sélection du Livre Inter 2020 (et le Shadow-Cabinet) 

Présentation de l’Éditeur (Gallimard)

«Autrefois, j’avais un ami. Je l’ai rencontré il y a bien longtemps, par un jour d’hiver, sautant de sa voiture et grimpant quatre à quatre les marches du lycée Franklin. C’est le souvenir le plus vivace que j’aie de lui, une impression inégalable d’éclat et de beauté. Figé sur les marches, rempli d’admiration et de honte, j’étais égaré dans ma condition de « nouveau », égaré en moi-même. Il m’a sauvé – des autres, de ma propre jeunesse. Des années plus tard, alors que cet homme était devenu une image détestée, j’ai tenté de le sauver. J’aurais aimé qu’on sache qui il était vraiment.»

Lorsque Adam Vollmann, journaliste au New Yorker, voit s’afficher un soir sur les écrans de Times Square le portrait d’un homme recherché de tous, il le reconnaît aussitôt : il s’agit d’Ethan Shaw. Le bel Ethan, qui vingt ans auparavant était la star du lycée et son seul ami, est accusé d’avoir violé et tué une jeune Mexicaine. Refusant de croire à sa culpabilité, Adam retourne à Drysden, où ils se sont connus, pour mener l’enquête. Mais à mesure qu’il se confronte au passé, toutes ses certitudes vacillent…
Roman haletant et réflexion virtuose sur la puissance du récit, Le monde n’existe pas interroge jusqu’au vertige une société aveuglée par le mensonge, où réalité et fiction ne font qu’un.

Fabrice Humbert (je n’ai encore lu aucun livre de lui) nous propose une variation de polar assez retors (je dirais presque Lynchéen), avec un narrateur-journaliste (paranoïaque?, lucide?, maso, ? homosexuel !) qui nous partage une enquête sur un ancien « demi-dieu » accusé de meurtre… Enquête qui sert de base de réflexion sur la mise en récit de notre monde et de la réalité tout court.

New York Jets at Baltimore Ravens

Adam Vollmann (en allemand ça donnerait « l’homme entier/l’homme complet) s’appelait dans sa jeunesse, qu’il a passé dans la ville de Drysden ((ville qui « doit compter vingt-cinq mille habitants , tout en étant longue de vingt kilomètres. C’est dire l’étrange espacement de cette ville résidentielle et morne coupée en son centre par une bifurcation d’autoroute. »(p. 64)) Christopher Mantel (en allemand « le manteau/la gaine/ l’enveloppe/la cape » – et Christopher est une variation du Saint des voyageurs……je fais mon propre récit là…)….

« J’ai dormi. Disons que j’ai réclamé ma part d’oubli. Passer plus de temps à dormir qu’à vivre n’est surement pas bon signe. Vers 18 h, je suis allé faire des courses. J’ai encore pris ma voiture et je suis allé au supermarché. J’ai tenté d’acheter les produits le plus frais possible, des fruits, des légumes, ainsi que du café, du lait et des céréales pour le petit déjeuner. Je sentais que c’était important. J’ai rangé tout cela, avec le plus grand soin ; là encore, c’était important. » (p. 114)

Humbert-Vollmann-Mantel a beaucoup réfléchi sur l’écriture et la mise en scène de récits. Ainsi il cite dans le 1er tiers du roman souvent Hemingway « Utilisez des phrases courtes, des premiers paragraphes courts, un anglais vigoureux, évitez les adjectifs… » (p. 44), rappelle les « 5 W » (who, what, where, when, why) dont Hemingway prétend d’être l’inventeur (« Bien sur il ne l’est pas. Fiction. Le monde n’existe pas. » (p.67)) et glose sur l’art d’écrire… » dans un roman de divertissement, écrit dans une prose transparente, et dont le seul propos est de tenir le lecteur en haleine, un rebondissement doit intervenir toutes les quatre à six pages » (p. 122), non, il ne glose pas, il l’applique avec la résurgence orchestrée du passé, la survenance de flashs de violences, de découvertes de plus en plus surprenantes….et cela en effet toutes les 6 pages environ.

images

F. Humbert nous balade également dans « Oedipe roi » (Sophocle), se réfère à Orson Welles et son film « Vérités et mensonges » (F for Fake)  pour tisser son roman fait de réalités supposées, de récits (retranscriptions de récits de personnages clé du fait divers interviewés par lui (et dont le contenu est, vu leur subjectivité, un mélange de vrai et faux), d’images (photos, films, sons – qui avec les moyens techniques d’aujourd’hui peuvent être triturés, transformés, déviés).  Et rajoute une couche en parlant de scénaristes ciné : Les règles du récit : « Un personnage en état de manque initial (1) se voit proposer une tâche (2) qui le conduit à affronter un adversaire (3), affrontement nécessitant une stratégie (4) et ayant pour conséquence un combat final (5) physique ou spirituel, avec le bienfait d’une révélation (6) venant répondre au manque initial. Dans l’ensemble, ce plan correspond aussi bien au Godfather de Coppola qu’à l’affreux nanar de la semaine. (p. 146)

Le mélange de réflexions (plutôt intelligentes) et d’intrigue est ce qu’on peut appeler habile, mais pour être franc, malgré la maîtrise stylistique, les digressions bien insérées et last but not least, des questions qui restent ouvertes, en appelant à l’intelligence du lecteur,  je suis resté en-dehors, j’avais du mal à avoir une empathie pour le narrateur ((you’re talkin’ to me?) et sa quête de son moi /double profond et mal de vivre….

 

 

A propos lorenztradfin

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5 commentaires pour Le monde n’existe pas

  1. princecranoir dit :

    Le résumé fait envie, mais ton descriptif me la coupe illico. Sans doute encore l’effet d’une représentation erronée que je m’étais faite de ce livre. 😉

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    • lorenztradfin dit :

      D’autres sont nettement plus enthousiastes. (voir p.ex. Le Figaro qui débute sa critique ainsi : «Je prétends que tout ce que nous vivons est un livre ou un film.» Derrière les paroles du narrateur Adam Vollmann, journaliste au New Yorker, l’écrivain Fabrice Humbert n’est pas loin. Avec ce texte, l’auteur nous emporte dans une histoire où l’on ne sait plus où donner de la tête. Est-ce vrai? Est-ce faux? Le lecteur se retrouve secoué dans un tourbillon. Autant l’annoncer tout de suite: Fabrice Humbert a composé un roman virtuose. Le monde n’existe pas, ne cesse de marteler Adam. Et pourtant le cauchemar dans lequel il s’est empêtré semble bien réel…. » (ça donne envie, non ?! ) Pas encore parlé avec mes acolytes du Shadow-Cabinet-Inter (à cause du Covid on ne peut faire nos apéro-samediesques avec échanges de livres et 1ere discussions sur nos ressentis… mais dès que j’en ai des nouvelles je les communiquerai… Peut-êtrre le Covid sournoisement laisse – asymptomatiquement – des traces dans mon cerveau aussi, altérant la capacité de réfléchir….

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      • princecranoir dit :

        Ce qui est sur, c’est qu’il n’altère pas ta capacité à disserter passionnément sur ce livre, et c’est plutôt bon signe !
        Si le cauchemar n’est pas réel il n’en reste pas moins un cauchemar dans lequel nous baignons tous autant que nous sommes.

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  2. lorenztradfin dit :

    Cher Princecranoir – le cauchemar de Sire Vollmann-Mantel est/sera autrement plus vicieux et aussi « invisible » que celui que nous vivons actuellement. Juste qu’un masque couvrant nez &bouche ne lui sera pas/n’aurait pas eu d’une grande aide. Merci – tu me grandis !
    Peu de cinoche pour moi (quand je vois les toiles que vous vous offrez Strum et toi…. Le prochain « film » dont je parlerai sera « L’oeuvre sans auteur » (mais c’est moins le film que le sujet – le peintre Gerhard Richter – qui sera (probablement) au centre – le film est regardable mais n’entrera jamais dans un quelconque Panthéon du 7e art. Merci pour ton passage ! (j’ai envie de dire merci aux caissières, aux blogueurs, pharmaciens, infirmières/infirmiers, boulangers, critiques de livres, ciné … Donc re-merci!

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