« C’est un beau et terrible roman sur l’usure du temps, la fidélité au passé et l’amour qui, fut-il en capilotade, ne veut pas abdiquer. » (J. Garcin)
Le « dernier » Julian Barnes, lu en Folio. Une belle histoire, triste aussi. J’ai acheté le livre (j’ai fait le plein de livres avant la fermeture des librairies pour cause de Conoravirus….tzzz) suite à une (belle – comme d’habitude) critique lue chez viduité la-seule-histoire-julian-barnes
Traduction (Anglais) : Jean-Pierre Aoustin
Présentation de l’Éditeur (Mercure de France)
Un premier amour détermine une vie pour toujours : c’est ce que j’ai découvert au fil des ans. Il n’occupe pas forcément un rang supérieur à celui des amours ultérieures, mais elles seront toujours affectées par son existence. Il peut servir de modèle, ou de contre-exemple. Il peut éclipser les amours ultérieures ; d’un autre côté, il peut les rendre plus faciles, meilleures. Mais parfois aussi, un premier amour cautérise le cœur, et tout ce qu’on pourra trouver ensuite, c’est une large cicatrice.
Paul a dix-neuf ans et s’ennuie un peu cet été-là, le dernier avant son départ à l’université. Au club de tennis local, il rencontre Susan – quarante-huit ans, mariée, deux grandes filles – avec qui il va disputer des parties en double. Susan est belle, charmante, chaleureuse. Il n’en faut pas
davantage pour les rapprocher… La passion? Non, l’amour, le vrai, total et absolu, que les amants vivront d’abord en cachette. Puis ils partent habiter à Londres : Susan a un peu d’argent, Paul doit continuer ses études de droit. Le bonheur? Oui. Enfin presque car, peu à peu, Paul va découvrir que Susan a un problème, qu’elle a soigneusement dissimulé jusque-là : elle est alcoolique. Il l’aime, il ne veut pas la laisser seule avec ses démons. Il va tout tenter pour la sauver et combattre avec elle ce fléau. En vain…
Mais lui, alors? Sa jeunesse, les années qui passent et qui auraient dû être joyeuses, insouciantes? Il a trente ans, puis trente et un, puis trente-deux. Vaut-il mieux avoir aimé et perdre ou ne jamais avoir aimé?
Mon 1er roman de J. Barnes était « Le perroquet de Flaubert » (dans les années 80), j’ai ensuite lu « Love, etc. » et « Dix ans après » ainsi que « Une fille, qui danse » et un recueil de nouvelles « La table citron« . Je savais donc à quoi m’attendre, un ton teinté d’ironie, une précision de haute volée dans la peinture de plus petits frémissements de l’âme humaine avec un zeste d’amertume.
Le roman est un lointain cousin de « Je me souviens » de G. Perec centré sur un seul thème : l’amour.
Novel : A small tale, generally of love / Roman : une petite histoire, généralement d’amour. (Samuel Johnson – 1755) ==> c’est l’exergue.
« La seule histoire » (The only story) est un roman gravement léger en trois parties pas seulement sur l’Amour, un amour, mais aussi du temps qui passe et illustre magnifiquement la manière dans laquelle on recompose constamment ses souvenirs, son /ses histoire(s).
« Il lui semblait qu’une des dernières tâches de son existence était de se souvenir d’elle correctement. (…) c’était son ultime devoir, envers elle et lui-même, de la garder en mémoire comme elle avait été dans leurs premières années ensemble. De se souvenir d’elle au temps de ce à quoi il pensait toujours comme étant son innocence : une innocence de l’âme ».
1ère partie : Paul – une cinquantaine d’année après l’histoire qu’il racontera – se souvient des débuts de l’amour pour Susan (presque 30 ans son aînée et mariée) – cette partie est exclusivement écrite à la première personne du singulier et illustre parfaitement la confrontation et union de celle qui a « appris la vie avec la vie » et de celui qui a appris la vie dans les livres.
2e partie : les 2 vivent ensemble, l’alcool s’invite dans leur couple, Susan sombre, Paul n’arrive pas à empêcher la chute de l’aimée. – cette partie passe après quelques pages au récit à la deuxième personne du pluriel (« …. et aussi parce qu’il y a encore beaucoup de bonnes heures et de bons jours, quand sous l’effet de la sobriété, la gaieté emplit la maison ; alors ses yeux et son sourire sont exactement comme ils étaient le jour où vous l’avez rencontrée, et vous faites quelque chose de simple comme… » (p. 191) avec des passages, dans lesquelles le narrateur interpelle le lecteur, le prend à témoin pour lui montrer l’envers du décor… C’est aussi le passage dans lequel Paul commence à fixer dans un calepin des phrases parfois clichéesques sur l’amour, des métaphores, des définitions ou comparaisons comme un entomologiste.
« Le mariage est un chenil où vit une présomption qui n’est, elle, jamais enchaînée. Le mariage est un coffret à bijoux qui, par quelques mystérieuse contre-alchimie, transforme l’or, l’argent et les diamants en plomb, en strasse et en quartz. Le mariage est un hangar à bateaux désaffecté contenant un vieux canoë à deux places hors usage, coque trouée, pagaie manquante. Le mariage est…. oh, vous avez des dizaines de ces comparaison à votre disposition. » (p. 165)
3e partie : (on passe à la 3e personne du singulier) – la vie de Paul sans Susan qui pourtant sera toujours avec, en lui. Cette partie est empreinte de la « sérénité » d’une personne âgée, qui rature et réécrit ses souvenirs, barre, rajoute de nouveau… accompagné de réflexions d’ordre « générale » :
...il avait remarqué au cours de sa vie une différence entre les sexes dans la façon de parler des relations amoureuses. Lorsqu’un couple se brisait , la femme était plus susceptible de dire « Tout s’est très bien passé, jusqu’à ce que X arrive ». X étant un changement de situation ou de lieu, la naissance d’un autre enfant, ou trop souvent, quelque banal – ou pas si banale – infidélité. Alors l’homme était plus susceptible de dire : « Je crains que tout n’ait cloché depuis le début ». Et il faisait allusion à une incompatibilité mutuelle, ou un mariage plus ou moins forcé, ou quelque secret non avoué, d’un côté ou de l’autre ou des deux, qui avait fini d’émerger. Elle disait donc : « Nous avons été heureux jusqu’à… » tandis qu’il disait : »Nous n’avons jamais été vraiment heureux. ». Et la première fois qu’il avait remarqué cette divergence, il avait essayé de démêler qui, de Susan ou de lui, était le plus susceptible de dire la vérité ; mais maintenant, à l’autre bout de sa vie, il admettait qu’ils le faisaient tous les deux. « En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c’est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité. »(p. 285/286)
L’ambiance, malgré l’universalité de l’histoire, est très british, avec parfois un humour pince sans rire, cette manière de dire les choses plutôt entre les lignes… Parfois j’ai pensé aux romans de Ian McEwan…. surtout en ce qui concerne la description de l’époque (années 60).
Belle construction, avec peut-être un « manque » : Susan, on la v(o)it seulement à travers le prisme des souvenirs et pensées de Paul. J’aurai bien aimé d’en savoir plus sur elle, ses pensées (perso’), ses motivations (profondes), ses démons racontés par elle.
Un très beau roman triste – dans lequel quasiment tout détail a(ura) son importance. (Folio met en exergue en 4e de couv’ une phrase de Jé »rôme Garcin, l’Obs : « Un beau et terrible roman ». Je soussigne.
La 1ere phrase du roman donne le ton :
« Préfériez-vous aimer davantage, et souffrir davantage; ou aimer moins, et moins souffrir. C’est, je pense, finalement, la seule question » [Would you rather love the more, and suffer the more; or love the less and suffer the less?] Question qui ne trouvera pas réponse. Mais vous incite à réfléchir. Et c’est Wikipedia sous l’entrée « Passion » (philosophique) nous donne une piste :
Dans son sens philosophique, plus large que le sens courant, la passion, du latin patior, pati, homonyme grec πάθος (pathos) , signifiant la « souffrance », le « supplice », l’« état de celui qui subit », désigne l’ensemble des pulsions instinctives, émotionnelles et primitives de l’être humain qui, lorsqu’elles sont suffisamment violentes, entravent sa capacité à réfléchir et à agir de manière raisonnée
Jeu, set, match. Fin de partie pour cette histoire d’amour qui semble bien compliquée. J’aime la manière délicate avec laquelle tu la décris.
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en effet, j’ai essayé de rester aussi « poli » que J. Barnes…. et l’histoire est moins compliquée que mes bafouilles laissent entendre. Mais je pense au fond que 29 ans de différences peuvent être assez compliquées – même sans passer par la bouteille.
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Aimer n’a rien à voir avec la passion. Ou peut-être juste une amorce. Je n’avais pas marché avec Love, mais tu me donnes envie de lire celui-là. Merci. Bises
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Et, oui, 29 ans de différence, c’est comme deux générations et un autre continent culturel!
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J’aime bien l’idée du « continent » – ça change des planètes dont on nous parle si souvent….. Bizz
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