Je m’étonne toujours des liens invisibles et hasards qui guident mes choix de lecture.
Récemment j’ai écrit sur « Le Consentement », je viens de voir (après la cérémonie des Césars – et pour (enfin) me faire une idée du film de Polanski (« J’accuse ») – et ai (enfin) lu le livre « My absolute darling » le 1er livre de Gabriel tallent (chez Gallmeister – vraiment une maison d’Edition incontournable), né après 8 ans de travail !. Le livre m’a été recommandé par des membres de notre Club de lecture (Merci A. et M. !)
La notion de l’abus soustend les trois œuvres et dans ce roman américain, traduit magnifiquement bien (et je ne parle pas seulement de la restitution parfaite d’une langue goûteuse, cruellement poétique) par Laura Derajinski (bravoo pour ses recherches botaniques !).
Je l’ai dis tout de suite : c’est mon premier coup de cœur de 2020, dont la lecture a toutefois été accompagnée de quelques hauts-le-cœur qui, et je le conçois aisément, peuvent rebuter nombre de lecteur/lectrices, quitte à rater le rendez-vous avec un personnage littéraire « inoubliable » (et je pèse mes mots), Turtle (Julia)/ »Ma croquette » une fille/un bout de femme de 14 ans (elle aura sa 1ere menstruation p. 299)
Présentation du livre sur le site de Gallmeister :
À quatorze ans, Turtle Alveston arpente les bois de la côte nord de la Californie avec un fusil et un couteau pour seuls compagnons. Mais si le monde extérieur s’ouvre à elle dans toute son immensité, son univers familial est étroit et menaçant : Turtle a grandi seule, sous l’emprise d’un père charismatique et abusif. Jusqu’au jour où elle rencontre Jacob, un lycéen blagueur qu’elle intrigue et fascine à la fois. Poussée par cette amitié naissante, Turtle décide alors d’échapper à son père et plonge dans une aventure sans retour où elle mettra en jeu sa liberté et sa survie.
A quelques encablures de San Francisco dans un coin de paradis naturel qui attire les cadres de la Silicon Valley (pour y avoir des maisons pour le week-end) vit Julia (Turtle) avec son père, Martin (la mère s’est suicidé (?)). Père certes « charismatique » mais le terme « abusif » est faible pour ce fou qui n’hésite pas à « remplacer » la défunte mère par Turtle et à abuser de ce brin de puma sur deux pattes.
Roman construit en trois actes : Tallent « présente » Turtle/Julia et son père, la vie quotidienne des deux dans leur maison reculée (« vieille maison …tapie sur sa colline, avec sa peinture blanche écaillée, ses baies vitrées, ses frêles balustrades en bois envahies de sumac vénéneux et de rosiers grimpants. Leurs tiges puissantes ont délogé les bardeaux qui s’entremêlent désormais parmi les joncs… » (p.15),
les journées à l’Ecole de Turtle/Julia (on va prendre connaissance d’une enseignante : Anna), les visites chez son grand-père (du côté paternel), les séances de tir et de nettoyage d’un arsenal d’armes (meuh oui, nous sommes aux USA !! …. Sig Sauer/carabine Ruger . 22, AR-10 Lewis Mahine, Noveske AR-15… etc…(descriptions détaillées qui certes sont justifiées pour comprendre le soin que leur prodigue Turtle/Julia – et auront leur importance dans le dernier quart du livre, mais…. – défaut du 1er roman ?).
Le lecteur que je suis avait pendant cette 1ere « partie » un peu de mal à m’attacher à Turtle/Julia tant fusaient les « espèce de connasse« / « débile, débile, une petite merde dans tous les domaines« /les « putain » à tout bout de champ débités dans la tête de la petite beauté sauvage, qui le matin se contente de manger des œufs crus pendant que son paternel écluse une bière… et on comprend peu à peu l’emprise du père (grand lecteur – l’attrait de cette 1ere partie est également la juxtaposition du discours (souvent) soigné du père par rapport à aux discours taciturnement mutiques de sa fille…. jusqu’à ce qu’on « assiste » sournoisement aux actes du père … et la rencontre de Turtle//Julia avec Jakob (fils d’un riche couple…) et la fratrie de celui-ci….
Le grand-père va mourir (je ne dis rien des circonstances…. cinématographiques), le père va laisser en abandon sa fille (pendant des mois) – cette partie du roman est comme un réveil et une libération douloureuse pour la fille …
Vient le 3e acte avec le retour du père – avec, dans son sillage, une petite fille de 9 ans ((Cayenne)… – et c’est l’horreur (je re-pèse mes mots).
Une sorte d’Épilogue qui fait espérer au lecteur que tout ira bien un jour.
Un des liens avec « Le consentement » :
« Il n’a pas touché Cayenne, elle en est certaine. Mais bon Dieu, pense-t-elle, ce qui ne va pas, c’est que tu es convaincue que tu le saurais..(…)..Peut-être qu’il baise avec elle tout le temps et que tu ne vois rien, comme personne n’a jamais rien vu avec toi…(…)… Qu’est-ce que tu ferais, toi, si tu n’avais jamais eu ça dans ta vie ? Si tu étais enfant ? Tu ferais beaucoup de choses, pense-telle. Tu supporterais beaucoup de choses. Rien que pour attirer son attention. Rien que pour être proche de cet esprit immense, imposant, parfois généreux et parfois si terrifiant. » (p. 361)
A part les moments étouffants que Tallent égrène au cours de la montée crescendo de son récit (qui n’hésite pas à faire au sein d’un chapitre des sautes dans le temps – en mode ellipse) le lecteur est plongé dans des discussions autour du 7e continent (de plastique) « vaste île de déchets flottants, aussi grande que le Texas. Un vortex de bouteilles en plastique… » (p. 236)
ou des discours sur la mort du monde naturel (hausse de la température, obésité (« Ils ne savent même pas s’occuper de leur propre foutu corps. Combien de personnes meurent parce que leur cœur est encrassé par la graisse, à ton avis ? Beaucoup. Combien, déjà ? Soixante-dix pour cent des Américains sont en surpoids….(…) Et tu crois que cette personne, cet Américain moyen, est capable de s’occuper de quoi que ce soit ? Non. Putain, non. Alors le monde naturel, cette nature qu’ils n’aperçoivent pas depuis leurs routes, depuis leurs stations-services,…(…).. le putain de monde naturel, plus beau et plus important que ce qu’un Américain moyen n’a jamais vu ou n’a jamais compris dans sa putain de vie, le monde naturel va mourir… » (p. 144) )
Et tout cela prend encore plus de force à côté de magnifiques descriptions de la nature, de la faune et flore de ce petit paradis qu’est la région de Mendocino.
« Elle marche des kilomètres, pieds nus, elle mange le cresson d’eau dans les fossés. Les pins douglas et muricata laissent place à des cyprès chétifs, aux joncs, aux manzanitas pygmées, aux vieux pins tordus voûtés, séculaires mais à peine plus hauts que ses épaules. Le sol est dur et sec et couleur cendre, parcouru de touffes de lichen vert et gris, la terre trouée d’étangs argileux et asséchés. » (p. 70/71)
Un grand roman qui rend difficile le choix du prochain roman à lire, forcément plus « léger ». Le livre serait sans doute insoutenable si l’écriture de Gabriel Tallent n’était pas aussi extraordinaire.
Il y a désormais une préface de François Busnel (qui personnellement m’énerve un peu puisque tous les livres qu’il commente ou dont il invite les auteurs sont « formidables »). Là, je dois lu donner raison pour les premières phrases et le reste de son analyse et les extraits d’entretiens avec G. Tallent.
« Il y a donc des romans comme ça. Atroces et magnifiques. Dangereux. Dévastateurs. Qui nous nouent l’estomac dès les premières pages et vous poursuivent pendant des années. …(…) « Je voulais parler de la douleur et la rendre intolérable », me précise-t-il un peu plus tard, avant d’ajouter, avec une étonnant maîtrise du sujet : « Le Travail de l’écrivain ne consiste pas à rendre les choses tolérables. » …. (…) ..le véritable sujet de ce livre serait-il celui-ci, en fait : l’inadmissible ?. On ressort sonné de cette virée dans les tréfonds de l’âme humaine. Peut-être vous révolterez-vous contre ce roman, l’auteur, l’héroïne, son père, la société…Mais vous n’oublierez jamais Turtle….«
Une vue complètement à l’opposé de mon « coup de cœur » le 5/20 de Nowowak.
(dernier paragraphe)
C’est médiocre, sans âme, sans intérêt, rarement crédible, jamais sympathique, toujours hautain. Il aurait fallu garder uniquement les passages (surabondants) botaniques et écrire un guide de survie dans la jungle ou à la limite un manuel de jardinerie. J’ai tenu longtemps pour voir si à un moment le récit justifiait les louanges incroyables…. eh non !! Le lecteur est baladé sans raisons, il est pris en otage par un auteur qui ne semble pas savoir où il va, qui ne se rappelle plus ce qu’il vient d’écrire. Encore un joli coup de pub adoubé par Stefen King qui a vendu son âme en donnant son avis dithyrambique en quatrième de couverture. Le seul prodige à l’actif de cet attentat plumitif réside dans l’indigence d’une prose marécageuse où les personnages possèdent une pensée absolument en dehors de toute humanité. On nage dans le saumâtre et l’irréel. Quelle imposture, quelle honte, quelle médiocrité, huit ans pour aussi mal écrire, que c’est fortiche ! Ce pseudo succès de librairie est le signe effrayant, un de plus, d’une société décadente où l’on encense le pire du pire !
C’est vrai ,c’est un livre magnifique et très dur .Un véritable coup de cœur. Et Julia si fragile et si forte restera pour longtemps dans ma mémoire .
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Pas du tout adhéré à ce livre, rien ne m’a plus, ça arrive, je crois que j’en ai fait une critique pas gentille.
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Rien ?….. ça alors. Comme je laissais entendre, j’avais du mal, au début…. les armes, le traitement siii civilisé …. mais comme un venin cela s’est mis à éclore, soutenu aussi par la belle traduction… Merci pour le passage !
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Je n’aime pas du tout le style et ce climat de violence, du coup je ne suis pas allé au bout… l’ennui va vite gagné. La trilogie d’Agata Kristof évoque des horreurs semblables mais elle a un talent et une magie que je ne perçois pas ici. Chacun sa perception 🙂
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C’est comme au ciné… il y’en a des violences hors champ et d’autres en mettent ‘plein les yeux’. Suffoquer lors d’une lecture est une expérience rare pour moi…et je te comprends aisément.
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Je viens de lire ta critique. Est-ce que je peux en copier/prendre le dernier paragraphe (et mettre un lien) pour contrebalancer mon « enthousiasme » ?
Merci d’avance !
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Je l’ai trouvé d’une extraordinaire puissance, autant chez les personnages que dans son style.
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Tu n’es pas la seule….j’étais d’autant plus surpris de la critique/des remarques de Nowowak … mais c’est vrai nous ne sommes pas égaux devant un livre (de gustibus non disputandum est).
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Je n’ai pas envie de lire cela, plus maintenant!. Un jour peut-être … mais je n’en suis pas tellement sûre. jJe fuis certains titres qui décrivent la noirceur de l’humanité..
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En effet reste éloignée d’au moins d’ une distance d’1 mètre
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Oui c’est cela, besoin d’air, d’oxygène et d’espoir
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Ping : Ce lien entre nous – The line that held us | Coquecigrues et ima-nu-ages
J’assume mon peu de plaisir devant ce livre, j’assume aussi ma faute d’orthographe dans mon premier commentaire. Dans un livre je fais attention au style, les maladresses me freinent si l’ensemble ne m’attirent pas. Je pardonne quand j’adhère à l’histoire et aux personnages. Pour voir des avis (nombreux) similaires au mien : https://www.babelio.com/livres/Tallent-My-Absolute-Darling/1024627/critiques?note=1
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C’est ça qui rend la vie si agréable – on soigne la diversité. Merci pour ton commentaire.
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