Magnus lui propose, lors de ses visites, de lui faire la lecture. « Désormais, dit Lothar, je ne peux plus rester en tête à tête avec l’auteur d’un livre, il me faut chaque fois un lecteur, ou une lectrice, et ainsi nous sommes trois. Les inflexions de la voix de l’intermédiaire entre l’auteur et moi se répercutent sur le texte, et alors j’entends des nuances que je n’aurais peut-être pas su déceler en lisant en silence, solitairement. Cela réserve parfois d’étranges surprises…. » (p. 176)
C’est B. qui m’a parlé de ce livre avec ces mots :
« De la prose poétique, des explosions de lumière, de noirceur, jaillit de nulle part avec son ours décrépi pouilleux et rafistolé, Magnus est fascinant. L’écriture est brillante, elle m’a aspirée dans son flot fougueux, et laissée stupéfaite et admirante de tant de brio. Ce livre est passionnant, l’histoire dans l’histoire, je suis enivrée de phrases bijoux qui nous emportent tout au long de cette quête d’identité , c’est haletant. »
Introduction longue pour un livre dense (et pourtant facile à lire) que je n’aurai probablement pas lu sans qu’elle m’en parle. Les derniers livres de S. Germain lus étaient il y a des décennies maintenant « Le livre des Nuits » et « Nuit-d’ambre« .
4e de couv – version Folio (Albin Michel) – livre paru en 2005. Il avait alors reçu le prix Goncourt des Lycéens (!)
«D’un homme à la mémoire lacunaire, longtemps plombée de mensonges puis gauchie par le temps, hantée d’incertitudes, et un jour soudainement portée à incandescence, quelle histoire peut-on écrire?»
Franz-Georg, le héros de Magnus, est né avant la guerre en Allemagne. De son enfance, «il ne lui reste aucun souvenir, sa mémoire est aussi vide qu’au jour de sa naissance». Il lui faut tout réapprendre, ou plutôt désapprendre ce passé qu’on lui a inventé et dont le seul témoin est un ours en peluche à l’oreille roussie : Magnus.
Rien laissait s’attendre à un voyage à Londres, Vienne, le Morvan – ni que le roman est un long fleuve intranquille des années 40 aux années 70…. qu’il nous parlera des nazis, de D. Bonhoeffer, ni du Lebensborn (de manière furtive et allusive – on apprendra (Attention Spoiler (!) – que la mère de Franz-Georg/Magnus n’est pas sa mère naturelle).
Rien non plus d’une savante structure dont les chapitres seront intitulés « Fragments », « Séquence » (des extraits de chansons et de poèmes), « Notules » (des notes biographiques donnent de la chair à certains personnages) ou « Résonances ».
Ainsi le roman se divise en 31 chapitres numérotés de 0 à 29 + un appelé le « Fragment ? ». On dirait que l’effritement de la mémoire de Magnus se trouve renforcé par la numérotation chahutée ainsi que par le fractionnement des chapitres, avec leur temps de pause, les ‘intermèdes’ dans ce puzzle familial paré d’une esquisse de portrait d’un homme à l multitude de prénoms : Franz-Georg, Adam ((le premier prénom de l’humanité), Magnus…. portrait qui laissera des blancs.
« Adam a reconstitué une partie du puzzle familial qui ressemble bien davantage à un tableau d’Otto Dix, de Georg Grosz ou d’Edvard Munch qu’à la peinture romantique que lui présentait sa mère. Mais ce puzzle reste encore très incomplet, il y a ce trou du côté de sa petite enfance, et Lothar ne peut pas l’aider à le combler puisqu’il avait quitté l’Allemagne l’année de sa naissance. » (p. 65)
Signalons ensuite l’omniprésence des sons, de la musique – allemande
« Knautschke, Klautschke – ces sobriquets le taraudent, ils clapotent dans sa bouche, se font vermine grouillants en mots divers, Klatsche, Klapse, Knalle, Karen, Knacke, Knülche, Knauser, Kleckse... * Des mots gifles, des mots crachats; il les voit rouler en gros caillots de sang dans la gueule rosâtre d’un hippopotame bâillant jusqu’à la béa,nce. Il les sent gargouiller dans sa gorge, embourber sa salive. Il se met à frapper le sol de son bâton pour faire taire ce brouhaha visqueux. » (p. 238)
*Bavardages, taloche, claquements, crécelles, craquements, bougres, radins, tâches…
et des femmes qui jalonnent la vie de Félix-Adam-Magnus : May, Peggy…. qui lui sauvent la vie aussi.
« May n’a plus la force de rire, elle sourit. Et leurs sourires s’entremêlent, et leurs souffles. Ils ne parlent pas, n’ont plus rien à sa dire, ou trop à se dire, c’est pareil en cet instant. Ils sont bien, là, comme ça blotti, dans le nu de l’amour. Leur complicité n’a jamais été si dense, si vaste, si lumineuse. Ils sont dans l’absolu de la confiance, de l’abandon de soi à l’autre, de l’oubli de soi dans l’étonnement. Jamais ils ne se sont sentis aussi présents l’un à l’autre, aussi présents au monde – mais sur son seuil, non plus en son plein. » (p. 132 – Fin du trio May – Terence – Franz-Georg)
Beau roman qui est si j’ai bien lu désormais lu dans les lycées (en effet une foultitude de sujets de discussion/analyse stylistique pour un prof’ de français).
Je suis vraiment contente que ce roman fleurisse sur les blogs (les très bons comme le tien). Il mérite vraiment cette reconnaissance car le personnage principal reste bien en tête et longtemps. Et l’écriture de Sylvie Germain est vraiment à découvrir. Elle ne laisse rien au hasard. Bises
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Oui…. elle ciselle ses textes . C’est presque un air de Bach.
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En te lisant, cet ours m’en rappelle un autre signé Ungerer. Tu m’as mis la puce à l’oreille avec ton (tes) nounours.
Je constate que toi-aussi tu baignes dans les « longs fleuves intranquilles ». 😉
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