Présentation de l’Éditeur – Minuit (4e de couv’)
Il était temps de devenir propriétaires. Soucieux de notre empreinte environnementale, nous voulions une construction peu énergivore, bâtie en matériaux durables. Aux confins de la ville se tramaient des écoquartiers. Notre choix s’est porté sur une petite commune en plein essor. Nous étions sûrs de réaliser un bon investissement.
Plusieurs mois avant de déménager, nous avons mesuré nos meubles, découpé des bouts de papier pour les représenter à l’échelle. Sur la table de la cuisine, nous déroulions les plans des architectes, et nous jouions à déplacer la bibliothèque, le canapé, à la recherche des emplacements les plus astucieux. Nous étions impatients de vivre enfin chez nous.
Et peut-être aurions-nous réalisé notre rêve si, une semaine après notre installation, les Lecoq n’avaient emménagé de l’autre côté du mur.
http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Propri%C3%A9t%C3%A9_priv%C3%A9e-3303-1-1-0-1.html
La propriété, dans le sens général, désigne les droits exclusifs d’une personne sur un ensemble de choses (propriété individuelle) ou partagés avec d’autres (propriété commune, copropriété). La propriété désigne également les objets visés par ce droit. Un individu a un droit de propriété sur une chose. Lorsqu’un individu a le droit de jouir d’une chose de manière exclusive, de l’utiliser, de la céder, ou de la détruire, cet individu possède le droit de propriété sur cette chose. Selon le droit romain, le droit de propriété se sépare traditionnellement en trois droits :
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fructus: le droit de recueillir les fruits,
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usus: le droit d’utiliser,
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abusus: le droit de disposer c’est-à-dire de modifier, de céder à un autre ou de détruire en tout ou partie.
La propriété, de même que la liberté dont elle constitue une condition indispensable, est inséparable de la responsabilité. Le propriétaire est responsable de ses propriétés, notamment en cas de dommage sur autrui. Il peut également supporter différentes servitudes légales ou conventionnelles, souvent anodines (comme l’obligation de laisser passer les ondes radios), mais parfois plus contraignantes (droit de passage). La propriété matérielle est la plus intuitive : elle traduit le fait qu’une chose ne peut généralement servir qu’à une personne à la fois.
Je mets cette définition en préambule puisque je pensais que le roman de Julia Deck en parlait mais finalement j’ai eu l’impression qu’on n’en parle pas du tout, sauf de tous les désagréments liés aux voisins, le voisinage, les barbecues et autres crémaillères ou apéros, vide-greniers ou excavations, terrassement trop bruyants et gênants le calme et le repos.
De toute façon ce livre est comme une bulle d’air avec une langue d’une précision folle mais aussi de bon nombre de dérapages, glissements (de terrain), ce qui crée dans l’esprit du lecteur un constant questionnement ou plutôt un flot d’interrogations sur la nature aussi bien de la narratrice et/ou du roman qui va virer même vers la fin en direction d’un policier (sans en prendre l’autoroute balisé).
Pendant toute la durée du récit de 174 pages la narratrice s’adresse à son mari – le roman commence ainsi :
« J’ai pensé que ce serait une erreur de tuer le chat, en général et en particulier, quand tu m’as parlé de ton projet pour son cadavre. C’était avril déjà, six mois que nous avions emménagé. Les maisons neuves rutilaient sous le soleil mouillé, les panneaux solaires scintillaient sur les toits, et le gazon poussait dru des deux côtés de l’impasse. Tu m’avais accompagnée à l’extérieur pendant que je rempotais les soucis sous la fenêtre de la cuisine. Les feuilles s’ébattaient entre mes mains gantées, et parmi elles les bourgeons gonflés à bloc, prêts à éclater sous la puissance des fleurs.
Tu avais réfléchi à tous les détails pour occire le gros rouquin. Comme tu les exposais tranquillement, adossé à la porte d’entrée, j’ai continué de creuser la terre sans répondre. Sans doute ruminais-tu sous le coup de la colère, et tes mots n’auraient-ils pas plus de conséquence que lorsque tu t’emportes sur la cuisson de la viande ou l’accumulation de calcaire au bord de la douche. J’ai tassé la terre, étalé les racines au fond du trou. Je me suis dit que tu parlais par provocation. Que si tu avais la moindre intention de passer à l’acte, tu aurais insisté pour rentrer à l’abri des oreilles indiscrètes. Tu savais très bien qu’ici, rien ne demeurait caché. Oui, c’étaient des mots gratuits pour semer le doute, agiter l’air. » (p.7)
La narratrice est douée pour le jardinage, notamment pour faire fleurir, à l’admiration de tous, des soucis (hah : c’est aussi le homonyme d’inquiétudes, préoccupations… dont il y aura plein…)
« Tout l’hiver, nous avons regardé des films, de vieilles choses en noir et blanc vues autrefois dans des petites salles du Quartier latin, alors qu’elles étaient déjà vieilles. Le soleil se couchait derrière l’écran. Soudain la baie vitrée prenait feu, saturée de rayons rouges. Le spectacle méritait bien quelques désagréments. Nous avions appris, par exemple, que notre système de chauffage cent pour cent énergie renouvelable ne fonctionnerait, en définitive, jamais. Le bureau d’études s’était trompé dans les calculs. Le volume d’eaux usées récupérable sur la parcelle ne suffisait pas à alimenter la chaudière. Bref, dès les premiers beaux jours, on forerait le bitume pour nous amener le gaz. » (.48)
Le lecteur fait connaissances des Lecoq (notamment Mme Lecoq en minijupe, belle (elle s’appelle par ailleurs Annabelle), insouciante, envahissante… mais aussi de Môssieur (Arnaud) que la narratrice déteste mais finalement peut-être pas tant que ça…
« J’avais fini par te dire, pour Lecoq. Accablée par ta patience, un soir je t’avais avoué que j’avais couché avec lui, sans joie ni autre bénéfice, pas une fois mais quatre, et tu t’étais encore contenté de sourire, comme si tu savais qu’on en arriverait là, qu’il y avait chez moi cette pente stupide par laquelle je succomberais fatalement à notre prie ennemi.…» (p. 90)
J’ai souris au « sans joie ni autre bénéfice« …. Ce mari (Charles Caradec), dépressif, ne conduit plus la voiture depuis un moment, mais en conduira (certainement ?/probablement?), Annabelle et son garçon disparaîtront et la police s’occupera de ce cas…. mais les voisins aussi.
Je n’en dis pas plus. C’est parfois jouissif et parfois déroutant.
De toute façon, je l’avais déjà remarqué et écrit dans le cadre d’une fiche de lecture pour son premier roman… « Et puis… et puis rien ne se passe comme le lecteur pense, toutefois avec une petite intrigue vaguement policière….. Sur 154 pages petites pages les certitudes s’écroulent souvent… » (Viviane Elisabeth Fauville) – ici c’est pareil, avec une maîtrise je dirais encore plus grande, plus fin, à laquelle se rajoute un humour ironique qui fait mouche.
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Merci pour cette belle chronique qui me donne très envie de le lire!
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