Embrasement par le regard

affiche - jeune fille

Je le dis sans hésitation : très beau film de Céline Sciamma, qui vers la fin m’a « même » mouillé les yeux (un peu) – malgré moi.

Les spectateurs à la recherche d’action, d’un rythme effréné devraient s’abstenir…. c’est un film qui prend son temps, qui, avec une photo magnifique, se contente de 4 personnages, dans des décors dépouillés (à part dans les scènes à l’extérieur, ou la nature, la mer imprègne le tout).

portrait de la jeune fille - mer

Pitch : On est en 1770/80 – donc avant la Révolution. Marianne (Noémie Merlant) est peintre et sera déposée par un bateau dans un endroit reculé en Bretagne. Elle est chargée de réaliser le portrait d’Héloïse (Adèle Haenel), une jeune femme tout juste sortie d’un couvent (après le suicide de sa jeune sœur, promise à un Milanais). Héloïse ne vut pas marier en Ersatz cet inconnu auquel le portrait est destiné – et se refuse de poser. Un peinte a déjà dû partir bredouille. Marianne fera comme si elle était « juste » une dame de compagnie et commencera la peindre en cachette, ce qui exige un don de regard et de mémoire.

Film d’époque et en costume donc mais pas empesé pour un sou. C’est que le film est (devient) une peinture lui-même et plein de regards qui disent des romans. « Prenez le temps pour regarder (et ainsi capter l’invisible) » dit Marianne, devenu des années après professeur de dessin (et se plonge dans ses souvenirs…)

Film de regards qui nous oblige, spectateur, à regarder et de ne pas lâcher les 2 femmes. La naissance d’une attirance (et plus) entre les deux femmes constitue (pour moi) la première partie du film. Une deuxième partie sera « consacrée » à l’expérience vécue de l’intimité entre les 2 femmes plus à la peinture de la vie des femmes à cette époque (par la présence d’une servante – qui tombera enceinte et doit avorter – ce qui permet aussi une « réflexion » toute relative sur la condition de la femme à cette époque).

regards jeune fille

Mon « ami de la blogosphère » Newstrum parle magnifiquement bien de ce film avec des réflexions autrement moins épidermiques et nettement plus argumentées. Nous sommes bien en phase quant à la présence inouïe des deux actrices principales et avons tous les deux préféré la 1ere moitié du film.

Je trouvais – râleur que je suis – que C. Sciamma utilisait peut-être un peu trop des métaphores un tantinet trop appuyées dans de somptueux tableaux (les vagues qui s’écrasent avec fracas quand les deux se prennent dans les bras, l’avortement avec la présence d’un petit enfant, le miroir sur le con pour l’autoportrait…). Par contre, j’ai bcp aimé la discussion (des femmes) autour du mythe d’Orphée (l’interprétation déconstruisante de ce mythe correspond par ailleurs parfaitement avec le chapitre « Anti-Orphée » de Camille Laurens dans « Ni toi – ni moi »)

regards jeune fille

Et j’étais bluffé par une scène dans laquelle Marianne essaie de mettre des mots pour décrire la musique de Vivaldi 4 saisons – Été – descriptions qui deviennent une peinture en soi, en notes juxtaposées à la peinture avec les mains, avec les yeux. Pour le plaisir j’ai cherché une description de cette peinture en notes qui (Spoiler) va à la fin du film faire hoqueter et pleurer Héloïse, désormais mariée et mère…. (scène que je trouvais touchant mais surjouée – toutefois Strum me répond dans un échange de commentaire ceci : « Je trouve au contraire que c’est dans la scène à l’opéra qu’Adèle Haenel est la meilleure, peut-être parce que cette image est la seule du film où est montré son point de vue. »)

Donc on voit bien, chaque spectateur se fait sa toile devant les images proposées, ce qui est passionnant (notamment quand on voit/lit qu’il y a des gens qui se sont ennuyés ferme dans ce film…. que je juge absolument à voir !

Extrait du site de la Philharmonie de Paris avec des explications sur l’oeuvre « peinte en notes » « Été de Vivaldi)

I. Allegro mà non molto
A. Sotto dura Stagion dal Sole accesa
Langue l’Uom, langue ’l Gregge, ed arde il Pino
B. Scioglie ’l Cucco la voce, e tosto intesa
C. Canta la Tortorella, e ’l Gardelino.
D. Zeffiro dolce spira, mà contesa
Muove Borea improviso al suo vicino
E. E piange il Pastorel, perchè sospesa
Teme fiera borasca, e ’l suo destino.

II. Adagio
F. Toglie alle membra lasse il suo riposo
Il timore de’ Lampi, e tuoni fieri
E de’ mosche, e mossoni il stuol furioso.

III. Presto
G. Ah che pur troppo i suoi timor son veri
Tuona, fulmina il Ciel, e grandinoso
Tronca il capo alle spiche, e à grani altieri.

I. Allegro mà non molto
A. Par la dure saison qu’attise le soleil ardent
L’homme est harassé, ainsi que le troupeau, et le pin se consume ;
B. Le coucou retrouve sa voix et joint son chant
C. À celui de la tourterelle, puis du chardonneret.
D. Zéphyr passe doucement ;
Mais Borée qui arrive le bouscule.
E. Inquiet, le berger pleure
Car il craint la rude bourrasque et ses effets.

II. Adagio
F. Les éclairs, les coups de tonnerre
Le vrombissement furieux des mouches et des insectes
L’empêchent de se reposer et de soulager ses membres las.

III. Presto
G. Ah comme ses craintes sont réelles !
Il tonne ; la foudre gronde dans le ciel et la grêle
Couche au sol les blés, et tous les autres grains.

Le texte en italien est tiré de la partition éditée par Bärenreiter en 2002. La traduction du texte est tirée du livre Antonio Vivaldi de Sylvie Mamy, Éditions Fayard, 2011.

I. ALLEGRO MÀ NON MOLTO

Ce premier mouvement plonge immédiatement l’auditeur dans la torpeur provoquée par la chaleur de l’été.
La lassitude de « l’homme harassé » sous « le soleil ardent » (A) est figurée par les gammes descendantes liées, relayées entre les violons et les cordes graves. On se laisse alors bercer par le balancement langoureux de la ritournelle introductive : un rythme anapeste (deux brèves + une longue) répété, chaque fois donné un ton plus bas et suivi d’un silence éloquent. Soudain, le chant du coucou retentit (B) : le premier solo du violon est une suite effrénée de notes rapides, régulièrement ponctuée d’un intervalle de tierce descendante, caractéristique du chant du coucou. La ritournelle langoureuse revient avant le deuxième solo de violon, chantant la tourterelle et le chardonneret (C). Le tutti qui suit évoque le vent qui se lève (D) : d’abord doucement, nuance piano, puis en bourrasques tournoyantes, forte. Le berger inquiet émet un chant plaintif (E) : la ligne mélodique, sinueuse, crée des dissonances avec la basse qui procède par mouvements chromatiques descendants. Le retour de la bourrasque clôt le mouvement : avec toutes les cordes à l’unisson/octave, sans ritournelle de fin, le vent violent triomphe de l’atmosphère pesante de l’été.

II. ADAGIO

Le berger n’en finit pas de se plaindre dans ce deuxième mouvement : après les bourrasques du vent, les mouches et autres insectes l’empêchent de dormir (F). Ceux-ci sont figurés par un motif pointé aux violons répété en ostinato

ostinato rythmique de l'Adagio

, tandis que le violon solo émet par-dessus sa complainte. Par moments, le grondement menaçant de l’orage qui approche se fait entendre dans les trémolos des cordes à l’unisson/octave.

III. PRESTO

L’orage (G) est enfin là dans le dernier mouvement.
La ritournelle d’introduction fait entendre plusieurs éléments figurant la tempête : le tonnerre est représenté par les trémolos des cordes à l’unisson/octave (déjà entendus dans le deuxième mouvement), les bourrasques de pluie et de vent par les grandes gammes descendantes, les éclairs par les fusées ascendantes… Les ritournelles orageuses alternent avec des passages solistes, très virtuoses, qui ont fait le succès de cette pièce.

A propos lorenztradfin

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4 commentaires pour Embrasement par le regard

  1. Strum dit :

    Merci pour le lien et pour la mention du livre de Camille Laurens que je ne connaissais pas. Cette réinterprétation du mythe d’Orphée et Eurydice (assez légitime je dois dire) est fondamentale dans le film.

    Aimé par 1 personne

    • lorenztradfin dit :

      Sachant que C. Laurens en fait une interprétation différente – quoique toujours centrée sur le « poète » qui ne s’intéresse qu’à une seule chose, aller chez les morts… voir les morts et « rester vivant après ce regard » …sa « solution : ce n’est pas lui qui meurt, c’est l’autre – l’alter ego, cet autre moi d’Orphée qu’est Eurydice….-ô je t’éprouve en moi plus moi-même que moi »… (…citation de l’opéra de Gluck nda ) … pour C.L. Orphée est un éjaculateur précoce ! Impuissant … il n’a qu’un petit test-amant à faire, et il le rate..s’il aimait Eurydice il aurait fait l’effort d’aimer, il résisterait à son impatience. … de fait il est « le négatif de Cary Grant dans Soupçons : on lui donnerait Apollon sans confession alors que c’est un assassin…. »… et qu’il n’aime que les femmes absentes …. p. 165 – 173 dans ce livre (qui est un de mes livres de chevet à cause de sa richesse, ses mélanges cinématographiques, musicales, trouvailles lacaniennes…(mais il a fait barber pas mal les personnes auxquelles je l’ai fait lire…. ce que je peux comprendre aussi )

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  2. princecranoir dit :

    Voilà une très belle chronique qui vient ajouter à ma curiosité. Il me tarde de découvrir à mon tour cette toile signée Sciamma (sans h me semble t il,).

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