Lu dans le cadre du Jury du Prix Caillé (de la SFT). Le livre se trouve en lice pour le prix 2019. Bien entendu je ne parlerai qu’en mon nom et ne laisserai rien paraître de ce que je pense de la traduction….ce sera au jury dans son ensemble d’en discuter.
Présentation de l’Editeur (Zulma)
David Toscana Evangelia
Roman traduit de l’espagnol (Mexique) par Inés Introcaso
« Et voilà qu’Il éprouvait à présent une passion bien humaine : de la colère mêlée à l’envie de rejeter ses propres fautes sur les autres. C’est qu’après avoir béni tant de membres de son peuple en leur accordant des fils uniques ou des premiers-nés mâles, après avoir donné à Jacob treize enfants, dont douze garçons, il se trouvait que Lui avait eu une fille. »
Voilà ce qui arrive quand on ne fait pas les choses soi-même et qu’on envoie un ange jouer les marieuses. Ainsi naquit Emmanuelle, fille de Dieu, dont la vie promet de ne pas être un long fleuve tranquille. Il va lui falloir faire ses preuves auprès de son irascible Père qui est aux cieux, s’imposer en icône révolutionnaire à Jérusalem pour que les prophéties s’accomplissent, malgré l’inénarrable misogynie ambiante et les embûches semées par son frère cadet, Jacob, bientôt connu sous le nom de Jésus…
C’est donc ainsi que la Sainte Trinité devient Tétrade, et que Dieu, dans tout ça, y perd sacrément son latin.
Ce roman est un pari fou relevé avec un talent inouï, un monument irrésistible d’érudition et d’humour.
Pour une fois (n’est pas coutume) je suis d’accord notamment avec la dernière phrase de cette 4e de couv’.
Dans un roman d’une richesse inouïe pas si alambiqué que ça, pourvu d’une multitude de couches et sous-couches narratives, David Toscana, dans une langue ou un mode qui semble être copié-collé de la Bible et/ou du Nouveau Testament mais paré d’un certain je-ne-sais-quoi qui crée un décalage et/ou un ancrage dans un réel historique réaliste (« ….les eaux qui avaient baptisé Emmanuelle suivirent leur cours, avec leur mélange naturel de terre, de feuilles et d’insectes morts;, d’excréments humains et d’animaux…. » (p. 109) ), nous narre l’Histoire de Emmanuelle, fille de Dieu (oui le pauvre archange Gabriel s’est trompé en confiant le « boulot » à Marie et Josef – comme « c’était une erreur d’envoyer son fils sur la Terre, mais l’Eternel écoutait rarement les conseils. Il ne les avait pas non plus écoutés lorsqu’on lui avait déconseillé de créer l’homme... » p.21)

Fresque à San Giminiano – notons quand-même le lit derrière la « vierge »
et du Fils de Dieu (resté au ciel pas content du tout de ne pas pouvoir s’incarner parmi les humains ainsi que le frère cadet de Emmanuelle, Jacob qui se nommera bientôt Jésus…..)…. Pierre qui va tomber amoureux d’Emmanuelle, la noce de Cana ne se passera pas comme vous l’avez lu, etc….
A travers son roman, qui souvent fait sourire le lecteur (même rire comme S. qui au bord de la piscine nous a (re-)lu à haute voix des passages), roman donc qui suit bien la trame archi-connue du Nouveau Testament, en rajoutant juste qqs éléments perturbateurs, provocateurs, David Toscana nous invite à réfléchir sur la place des femmes, sur la/les religion(-s) et toutes les (leurs) dogmes….

San Giminiano
Mais c’est surtout une re-lecture étonnante de la bible – ainsi le partage des eaux de la mer rouge… (extrait….)
« Les poissons jaillissaient de ces murs d’eau sans se rendre compte que la mer avait désormais des limites. Les gens attrapaient les poissons qui semblaient tomber du ciel, disait Gabriel, et les jetaient dans un panier pour les manger sitôt parvenus sur l’autre rive. Le seul incident à déplorer fut peut-être la mort d’un vieil homme dénommé Tsélophchad, brutalement écrasé par un orque, non à cause de la férocité de l’animal mais de son poids hors de l’eau. » p.144
Ou quand l’archange, déjà légèrement ivre, raconte à la demande des « ivrognes…. » Parle nous, cher Archange, de la cuite de Loth. Une fois, il leur avait décrit par le menu la façon dont la femme de Loth s’était changée en statue de sel moyennant une réaction en chaîne parfaitement contrôlée de fissions et de fusions nucléaires, jusqu’à ce qu’il ne restât d’elle que des molécules de chlorure de sodium; mais personne n’y ayant rien compris, cette partie du récit fut supprimée. Les buveurs ne s’intéressaient à l’histoire qu’à partir du moment où Loth s’en allait habiter dans une grotte avec ses deux filles… » (p. 190)
David Toscana nous offre dans ses chapitres (assez courts, correspondant chaque fois à un passage de l’Ancien ou du Nouveau Testament – merci S. pour la remarque!) un glissement réjouissant vers « autre chose » – tout est différent et pourtant « on » reconnait tout, quand on a eu l’occasion de lire le Nouveau Testament….
Il vaut mieux aimer le style humour « Monthy Python » et être suffisamment « ouvert » pour ne pas crier au « blasphème » ….. mais comme le dit Dieu à un moment qu’on ne devrait pas s’inquiéter, si les gens croient en cette histoire ils goberont tout le reste….. ( ce qui me rappelle une interview du Monde avec l’acteur Woody Harrelson qui dit que sa croyance s’est arrêté brutalement en lisant l’Evangile (la résurrection du Christ) ou on dit que deux anges ont accompagné Jésus quand il a disparu de la tombe. Pour lui, deux ça semblait trop, pour lui il ne pouvait y en avoir qu’un seul. Et Woody a perdu la foi…)
Drôle aussi les pages sur les traducteurs :
Dieu le père avait un certain intérêt pour le monde hellénique éveillé moins de trois siècles avant la naissance de sa fille. « suite au projet de Ptolémée II de traduire en grec le Pentateuque et les autres livres sacrés des juifs. Au début, le Seigneur s’en offusqua. Sa parole était sa parole dictée en hébreu. La traduire dans une autre langue entraînerait des changements dans les virgules et les iotas. Si le traducteur y ajoutait quoi que ce soit, Il lui faudrait le frapper des fléaux décrits dans le livre, et s’il retranchait quelque chose des fléaux décrits dans le livre….. … et il commença à envisager les plaies qu’Il enverrait sur les traducteurs, car comment pourraient-ils ne pas toucher à une virgule, aux noms de personnes et des villes, ne pas sauter de ligne ni confondre Cananite et Cananéen, Naziréat et Nazaréen, ou confondre Jéhova et Yahvé ?…. » (p. 46)
Et sur les 426 pages du roman il y en a beaucoup qui sont empreintes de cet humour (noir) qui fait du bien…
Bien content d’avoir eu une éducation de catholique (ce qui m’a permis de « suivre » facilement) et surtout d’avoir lu le livre en Italie entre les visites d’églises et la foultitude d’images/peintures/fresques qui finalement ne parlent que de « ça »…. heureusement la peinture s’est « libérée » de ce carcan de l’Eglise.
Cher ami, ça n’a pas de sens de dire « la Bible et/ou le Nouveau Testament » car ce dernier fait partie de la Bible ! La Bible a 2 parties : l’Ancien Testament et le Nouveau Testament, ou, comme on dit aujourd’hui : le Premier et le Deuxième Testamant.
Foi de protestante 😉
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ahhh ces protestants protestataires…. Merci – tu as bien raison…..
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Farfelue mais amusante me semble être cette réinterprétation biblique. Il ne faudrait pas que la foudre lui tombe dessus. 😉
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En effet « loufoque » et très, très original – qui respecte totalement la trame des Écrits en y ajoutant le grain de sable pour faire réfléchir…..(ainsi l’archange Gabriel que Dieu renvoie sur terre pour trouver une autre Vierge doit constater que quand il y en a une elle est certainement fiancée déjà et quand elle dira à sa famille qu’elle est enceinte par Dieu on la répudie et/ou lapide…. Dilemme, non ?! Collant farpaitement avec une certaine réalité (de plus, dès comme Josef, qui acceptent sans broncher (?), y’en a pas bcp non plus….
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Ah : Ce vieux Joseph de Moustaki 😉
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Sarah était prise….on l’oublie
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