Don Giovanni au Japon en deux actes

Avant de m’immerger dans la lecture des 5 livres de la sélection du Prix Caillé 2019 (de la Société Française des Traducteurs – SFT) dans le cadre de mon travail de jury de ce prix éminent récompensant un traducteur/une traductrice en début de carrière dans l’édition… j’ai fait un voyage virtuel au Japon, avec les deux livres (tomes) du « Meurtre du Commandant » de Haruki Murakami.

Le meurtre du commandant 1 & 2

Drôle de roman(s)…. qui mélange(nt) réalisme (aussi bien la vie de tous les jours dans sa splendeur du quotidien que la nature) et monde imaginaire (les « Idées » et « Métaphores » qui prennent vie et s’insinuent dans la vie « réelle ») en y rajoutant des réflexions sur l’Art, la Musique (classique & jazz) et toutes les 50 pages quelques jolies scènes érotico-porn (soft toutefois). Un big bisou-merci à D. qui m’a prêté les deux livres.

Taikan-Yokoyama-Spring-Dawn-Chichibu

Le héro-narrateur est peintre (de portraits avec l’aspiration de faire des œuvres artistiques d’un autre calibre). Il nous apprend que sa femme le quitte (elle a une liaison avec un autre homme) et le lecteur va assister au cours des premières pages à un voyage de plusieurs mois dans le Nord du Japon – jusqu’à ce qu’il s’installe dans la maison-atelier du père (peintre de Nihonga réputé – désormais dans un « Ephad ») d’un ami d’enfance. La maison se trouve dans un coin reculé dans un paysage vallonné et boisé. La retraite pratiquée ainsi va permettre au narrateur en panne d’inspiration de retrouver sa voi(e)x:

a) un acceptant de faire le portrait d’un homme muy muy rico (Wataru Menshiki = absence de couleur)

b) en trouvant dans le grenier de la maison-atélier un tableau dont les personnages semblent sortis tout droit de l’opéra « Don Giovanni » de Wolfie (il faut savoir que la maison est plein de disques d’enregistrements de musique classique (tout y passe, dans les meilleures interprétations))

c) en recherchant l’origine de quelques événements bizarres qui se produiront et déclencheront une foultitude de mini-évènements

d) en se mettant – en partie à la demande de M. Menshiki – à faire le portrait d’une jeune fille (quasi-voisine)

e) en prenant du bon temps avec deux mamzelles mariées du coin ….

Katsuda-Testsu-Evening-Bijinga

Tout ce que j’évoque ici est mis en route dans le tome I et développé avec forts accents mystico-platoniciens (avec le « réveil » et sortie du tableau d’un des personnages du tableau Giovanni-esque sanguinaire – et surtout la disparition de la jeune fille …. pas à la perle, mais au jean troué….)

Alors comment dire – en tant que lecteur assidu – aucun mal à dévorer les presque 1000 pages – et cela malgré bon nombre de répétitions (dues je pense – aussi – au caractère feuilletonesque des chapitres), un penchant (pour moi parfois énervant) de nommer les marques de voitures (Subaru, Jaguar, Volvo et autres Prius…), de nous expliquer en détail les plats, boissons ingérées, de nous proposer aussi parfois des dialogues dignes d’une série télé (en fait Murakami ne brille pas par un style d’écriture enlevée – ou est-ce la traduction du japonais par Hélène Morita avec la collaboration de Tomoko Oono ? – même s’il surprend parfois – positivement – par des formules du genre : « j’écoutais le temps mourir« ) )…. Mais après quelques pages « diluées et trop « plates » pour accrocher le lecteur fermement surgissent d’un coup de (très) belles réflexions (pensées) sur la réalité (réelle, palpable) et celle, apparente (rêve? autre dimension – parallèle?)

« Dans notre vie, il est fréquent de ne pas pouvoir discerner la frontière entre le réel et l’irréel. Et il me semble que cette frontière est toujours mouvante. Comme une frontière entre deux pays qui se déplacerait à son gré selon l’humeur du jour. Il faut faire très attention à ces mouvements. Sinon, on finit par ne plus savoir de quel côté on se trouve.«  (Tome I – p. 278)

S’ajoutent à cela de beaux passages sur Vienne (avant et après l’Anschluss), sur la musique (Don Giovanni bien entendu, Tosca, Schubert…) et la peinture (et leur perception et/ou création dans le doute et questionnement), ou d’autres sujets comme les relations hommes-femmes (les drôles de 5 à 7 – en rêve aussi) et la douleur du désir non-partagé…(un passage qui a résonné fortement en moi: la « paralysie que le cœur d’un humain déclenche automatiquement afin d’apaiser l’atroce souffrance causée par le désir de l’autre lorsque celui-ci n’est pas partagé. »)

pingouin porte bonheur

un porte-bonheur de ce type joue un rôle

Tout le « sel » (shio) de ce roman étant l’irréel, la personnification des « Idées » et « Métaphores » qui prennent vie, je suis toutefois peut-être quand-même resté un peu en dehors dans ses parties « fantastiques » …. mais toujours ramené j’étais (pour parler comme le « commandeur) par les passages sur les sentiments enfouis profondément en nous et nos motivations et ou mobiles (internes) qui restent parfois un mystère pour nos semblables, puisque chacun de nous a son passé, et vit différemment la vie, la mort, l’amour, le sexe, la ma-/paternité….

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Curieusement les passages sur la difficulté pour le peintre de faire des portraits m’ont incité à regarder – par ricochet – plus intensément les portraits (que j’ai en carte postale !) du peintre H. Craig Hanna (j’adore !) …. cela n’a rien à voir avec le Japon mais quand-même…(peut-être un peu avec les « vides » des Nihonga)

Craig Hanna

Et drôle de coïncidence encore – ma chère amie T. parlerait de synchronicité….- Le Monde publie ce jour (18.7.19) un entretien avec Murakami…:

« ….Dans votre dernier livre traduit, « Le Meurtre du Commandeur » (Belfond, 2018), ce parcours que l’on fait pour aller chercher l’inspiration au fond de soi est mis en scène et métaphorisé. Ce roman constitue-t-il une réflexion sur la ­création artistique ?

Lorsqu’on descend au fond de sa conscience, il y a des choses que l’on voit, des bruits que l’on entend, et c’est tout ce matériel qu’on rassemble pour le remonter à la surface. Une fois que l’on dispose de ces éléments, il suffit de les agencer. Moi-même je ne sais pas comment se fait ce travail, c’est mystérieux. Si on écrit dans la logique, ce n’est plus une histoire qu’on raconte, mais une suite d’affirmations. Une histoire est belle parce qu’elle n’est pas explicable.

Dans la littérature japonaise, il existe, de longue date, une veine personnelle, qui exprime des sentiments très intimes. Mon œuvre, au contraire, s’inscrit vraiment du côté de l’imagination, elle n’en est que le ­développement. D’ailleurs, au début, mes romans n’étaient pas très appréciés, car ils paraissaient trop différents de ce qu’on avait connu jusque-là au Japon.

Lorsque je vais au fond de ma conscience, que je rassemble les éléments que j’y ai trouvés pour raconter une histoire, et que, en ­lisant mon livre, vous vous sentez en empathie, il y a fort à parier qu’il y a des émotions communes entre nous deux, au fond de nos deux consciences. Et c’est l’émergence de ce lien-là, entre l’auteur et le lecteur, qui ­m’intéresse……

A propos lorenztradfin

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Un commentaire pour Don Giovanni au Japon en deux actes

  1. princecranoir dit :

    Jamais testé Murakami, pourtant je suis nippophile. Celui-ci n’est peut être pas la meilleure entrée (me fiant à ton ressenti).

    Aimé par 1 personne

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