Le premier mot de ce roman lu dans le cadre du Livre-Inter-Shadow-Cabinet 2019: « Paradis » ….. le dernier « les enfers ».
Parole(s) de l’Éditeur (extraits) :
https://www.editions-allia.com/files/note_6288_pdf.pdf
….. L’histoire de Nino Paradis et son grand amour Lale. L’histoire de leurs deux fois 20 ans collés au bitume, aux appartements insalubres sous-loués à des marchands de sommeil, l’histoire de cette pauvreté vraie de vraie sur laquelle on ferme les yeux. C’est l’histoire de leurs petites magouilles et de leurs grands blancs, ces fuites collées à grand coups de goulots, de petites pilules ou de lignes blanches. C’est l’histoire de leur amour immense au cœur de tout cela. C’est …..la banlieue parisienne. Ce …..sont les dealers, les esclavagistes modernes, les supermarchés qui dégueulent et la défonce d’une jeunesse qui fuit le jour. J’ai retrouvé la matière viscérale et organique de Simon et j’y ai découvert en plus un rythme bien plus emporté, probablement un coup de Capucine. J’y ai retrouvé cette écriture comme un port de tête altier de Simon, avec une grande dimension en supplément, celle de l’écriture qui aspire toute l’expérience contée, incontestablement la présence de Capucine. Quand la littérature prend la forme même du récit !
« Nino dans la nuit » est sorti accompagné d’un clip du collectif Contrefaçon ! qui colle farpaitement avec l’écriture et le monde décrit dans ces 280 pages :
Qu’est-ce qu’on peut rajouter ? Par exemple que c’est en effet une belle claque de lecture ou comme l’a dit E. (B. pour les intimes) : « Un coup de poing au plexus ! ».
Au début plutôt déroutant, Nino Paradis fait des tractions dans le cadre de qqs jours de sélection pour être admis chez les Légionnaires, il semble être en fuite…. Le lecteur est jeté dans l’Histoire sans comprendre les bouts et aboutissants, ni ou il est….ou ni pourquoi ce Nino y est…..Beaucoup plus tard, vers la fin du livre, il fera (de nouveau) des tractions, cette fois-ci avec une finalité toute autre, à l’opposé même….
Entre-temps il nous aura raconté par le menu une année de galère, dans une langue loin d’être châtiée. Elle cogne, est « vraie », comparable à un Rap matinée d’une poésie désabusée et vaporeuse sous l’influence de la drogue et/ou l’alcool ou d’autres substances sans lesquels Nino peine à survivre, lui qui surnage seulement grâce à son amour pour Lale, née en Turquie, élevée par deux prof de français. Elle vit de petits boulots (serveuse ou baby-sitter) et rêvera, lors d’un stage, qui se finira abruptement, d’une carrière de journaliste… Notons ici, que c’était elle qui le moment où elle l’avait vu, l’avait choisi, et a retourné le balayage brésilien d’une « concurrente » dans la pissotière des chiottes mixtes du bar ou ils étaient……
« J’ai le cœur gonflé de toi. J’ai du désir plein les oreilles et me tape des montées d’ecstasy en fermant les yeux, la tête bourrée de toi et du reste. » (p. 85)
« Alors quand mes paupières se ferment plusieurs fois sous ta main, j’adresse aux astres une lettre qui dicte l’alignement souhaité pour tous les jours qui viennent. Monnaie, monnaie, monnaie. Avant de sombrer dans un monde où tout est possible, et qui demain encore fera le réveil triste. » (p.108)
Le père de Nino pense que son fils fait des études. Ce dernier ne lui dit pas qu’il galère. La description de la galère/des galères/de la (sur-)vie dans un squat et des soirées d’éclate (boîtes, danse, lignes de blanches, alcool, ecstasy et autres) constitue la colonne vertébrale du récit (donc sur une année environ) – il s’y ajoutent deux virées rocambolesques de transport de drogue/de pierres précieuses (dont une à Paris, une autre en Belgique) qui apportent un peu d’adrénaline au lecteur. Pour de vrai. Et à la fin il y a un cauchemar (?)/conte de fée (triste), c’est selon votre place sur le canapé de bourgeois, assis à gauche ou droite ou derrière, au loin, debout…..
Je ne suis pas habitué de lire une prose de ce type (écrite à 4 mains) – Capucine et Simon Johannin vont encore plus loin que le roman « Fief » (le roman de David Lopez, qui a eu en 2018 le Prix Livre Inter). Eux ils « accusent » plus ouvertement une société de consommation, ont un regard (plus) dur sur la société, sans filtre… Leur héro fait des courses peu orthodoxes (si ce n’est pas dans les poubelles des supermarchés qu’elles sont faites) :
« Je me fais des courses au quart du prix, je suis le voleur de chevaux des temps modernes et ça me rend aussi heureux que papa quand il pisse sur le pont d’un pont par temps de pluie. Je prends sans me presser plein de trucs verts et bio emballées individuellement dans leur carton imprimé jardin pour être vendus au tarif grosse blinde, et je vire tous les emballages pour aller les peser dans les sacs à légumes pour pauvres au tarif que je pense le bon, le moins cher quoi. » (p. 54)
Ou il se font l’écho de ses pensées le matin à 5h dans les transports publics :
« Je transite sans encombre dans la masse de tous ceux qui sont debout avant l’heure de leur corps, et ça se lit sur les visages. J’ai autour de moi la preuve que le meilleur moyen d’attraper une sale gueule c’est de se lever tous les jours trop tôt pour aller bosser. Ça craint. Plus personne se tient droit, tout le monde a sa nuque qui fait un angle étrange pour avoir le visage oublié dans le téléphone... » (p. 61)
….ou dans un job d’inventaire de nuit dans un hypermarché (le « contre-maître ») :
» Avec sa chemise blanche et son badge, y a pas à dire, c’est vraiment le fond de veau de la race des ratés. Je sais qu’au-dessus, il se fait démonter aussi, qu’il rampe la langue collée au cul de ceux qu’on fait pas se déplacer la nuit pour encadrer les gens qui bipent pour bouffer. Juste la gâchette pour appuyer et transmettre la pression au paquet de biscottes, à la soupe en brique ou à la Dakatine. Et partout ça use du laser rouge en flippant qu’on les sorte, alors chacun file et bipe en glissant près du sol » (p. 138)
Dans ce genre le chapitre 11 est particulièrement fort (à mon sens). Il débute ainsi :
« Je cherche le bout du départ pour nous dérouler la grande vie, te tailler des tangas dans le tapis rouge et plus jamais suer à courir après ce qu’il faut pour passer d’un jour à l’autre. Je sais pas comment faire, alors je sors guetter, brancher la vigilance dans la rue pour voir si des fois de l’or sortirait pas de ses trous.« (p. 144)
A noter, la polysémie de l’expression « mort » (à part « c’est mort ») m’était inconnu – et le petit bourge que je suis, tranquillement assis dans mon fauteuil, ne connaissait pas non plus « avoir le seum » ….
« ….j’aurais trop les morts d’être …. » ou « il pleut les morts que j’avais tout à l’heure et des grosses gouttes s’écrasent partout sur le paysage…. » (p. 109)
et il en pleut des expressions de ce type , certainement courantes pour la plupart des fans du rap……
Le roman-récit peut se faire aussi drôle : génial l’idée de la weed vendue aux copains (et qqs médecins d’Ehpads) pour rendre calme et heureux les personnes âgées parquées là-bas…..
J’ai passé un bon moment avec ce feu-follet transi d’amour ainsi qu’avec ses acolytes (Malik, Charlie et les autres). Chapô les artistes de montrer parfois que vous savez écrire aussi autrement (les discours managériales des divers « boss » d’une langue qui vous fait haïr le capitalisme, les paroles aimantes du père….).
Toutefois, j’ai eu, en fin de compte, du mal à avoir ce qu’on appelle de l’empathie pour ce garçon – et la fin tranche à mon goût un peu trop avec la galère…. Donc, je sors de ce voyage avec des « mixtes feelings ». Certes, j’avais envie de souligner sur presque chaque page une ou deux phrases bien ciselées – comme, allez une dernière pour la route – on est au bord de la mer, en visite chez le père de Nino :
« Du bleu dans du bleu sur du bleu, du bleu qui danse et des barques dessus. Les maisons sont avalées par la mer et le ciel, les volets toujours ouverts sur de simples rideaux qu’on tire à peine pour se cacher la nuit. » (p. 202)
Mais souvent j’avais l’impression d’être dans un puzzle de moments de vie, de fragments qui collent bien à cause de l’unité de style de poésie brute et rêche – langue dont le message sous-jacent (mais jamais exprimé ouvertement) plaira aux gilets jaunes certainement, mais que c’est tout un « Stimmungsbild » (une photographie d’un état d’esprit/ reflet d’une idée globale) de notre société, bô clip qui à part une « musique » bien troussée s’envole de nouveau.
Je suis convaincu par contre que les lecteurs de moins de 30 (voir 40) ans adoreront davantage (et qui sait, mes chers co-membres de jury du Shadwo-Cabinet, seront plus captivés).
J’avais lu et chroniqué « L’été des charognes » de Johanin, très très trash, assez écœurant, lyrique aussi. Une expérience de lecture. Peut-être que Capucine adoucit cette écriture âpre et brutale, mais poétique dans sa violence ?
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peu de violence (physique) ici, davantage de « violence de la société » – quant à Capucine j’ai en effet lu dans le lien que j’ai poste (de l’Éditeur) ce qui suit : « J’ai retrouvé la matière viscérale et organique de Simon et j’y ai découvert en plus un rythme bien plus emporté, probablement un coup de Capucine. J’y ai retrouvé cette écriture comme un port de tête altier de Simon, avec une grande
dimension en supplément, celle de l’écriture qui aspire toute l’expérience contée,
incontestablement la présence de Capucine. Quand la littérature prend la forme même
du récit ! »
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