« Tout comme le choc de deux notes de musique jouées ensemble donne son élan à un morceau de musique, la discorde de nos pensées, idées et valeurs nous oblige à penser, à réévaluer et à critiquer. La cohérence est le terrain de jeu des esprits bornées » . (p. 198 « Sapiens » Yuval Noah Harari
Requiem pour L. (Fabrizio Cassol, Alain Platel, Rodriguez Vangama) – video by Jan Bosteels from les ballets C de la B on Vimeo.J’ai pensé à cette pensée de Y.N.H. en sortant d’un spectacle remuant donné à la MC2 de Grenoble. Spectacle à voir si ça passe près de chez vous !
La scène : un alignement de (48 rectangles de hauteurs différentes – imitant le marbre) faisant illico presto penser au monument dédié à l’Holocauste à Berlin…. et les cailloux posés sur certains d’entre n’étaient pas étrangers à cette idée. Derrière un écran sur lequel sera projeté un film, avec des couleurs délavés, devenant un blanc-gris scintillant. Peu à peu entrent 14 musiciens/acteurs (presque tous de couleur) qui au cours des 1h40 que dure le spectacle évoluer (dans une chorégraphie très réussie) entre et/ou sur les « tombes ».
De la Musique – avec un grand « M »….Fabrizio Cassol s’est emparé d’un monument de la musique classique : Le Requiem de Mozart, oeuvre qu’il a disséquée, remâché, reconstruit, par lanières ou plutôt « phrases » à sa manière avec des accents de gospel, de son « jamaïcains », de jazz -disait ma voisin, mais je ne l’ai pas « senti » – peut-être ce qu’on appelle du afro-jazz (?) – et surtout aussi de moments lyriques…. ce qui donne une oeuvre « fusion » qui sort complètement des rails de ce que je connais (et écoute).
« Le plus dur, ce sont les harmonies souvent grinçantes entassées les unes à côté des autres de manière très singulière, loin de ce que les Congolais ou les Africains font traditionnellement. Cela suppose une autre écoute culturelle, ce qui est assez compliqué lorsqu’il faut tout apprendre à l’oreille, parce qu’à de nombreux endroits, cela va à l’encontre des habitudes des musiciens. Tout ne s’arrange que lorsqu’on ajoute aussi les voix……. À certains moments, la musique se fait assez cubiste : dans « Confutatis », des rythmes, des influences et des univers se percutent et forment ainsi une image polygonale. Heureusement, il y a Rodriguez Vangama, le bras droit de Cassol sur scène, le chef d’orchestre de Coup Fatal, qui ici aussi, dirige l’orchestre de sa main ferme. L’euphonium ou tuba (Niels Van Heertum de « En avant, marche! ») semble appartenir à l’ange de la mort qui lance son appel dans « Tuba Mirum » ; dans « Hostias » il s’infiltre en quelque sorte dans la tête du L mourant. L’accordéon soutient autant de fois les harmonies vocales qu’il les sape, alors que la percussion se manifeste comme le coup proverbial sur la porte. Nous atteignons les limites de l’exprimable. » (extrait des Notes dramaturgiques de Hildgard De Vuyst)
« Je savais que la mise en scène devait être sobre. C’est un rituel du respect. Le plus facile aurait été de les laisser faire une chorégraphie joyeuse. Mais cela aurait été une fausse piste”, reprend Platel. “Je leur ai dit de faire moins, de communiquer entre eux de façon moins verbale, par un simple geste, une caresse, un regard. Au final, Requiem pour L. est très précis dans ses déplacements. C’est de la ‘dentellerie’, précise le metteur en scène et chorégraphe flamand. Il y avait pas mal de détails qui rebondissaient de l’image à la scène. La musique, les musiciens sont d’une telle générosité.” (lesinrocks.com)
Et c’est vrai – la musique (la playlist sur Youtube) est absolument magnifique (j’ai toutefois un faible pour le « Lacrimosa » qu’on entend sur la vidéo ou le « Miserere ») et prend une envergure exceptionnelle (et je pèse mes mots) avec la scèno- et « choré »graphie.
Le point qui fait débat est la vidéo qui passe à l’écran – et que j’ai essayé de ne pas trop regarder. Platel dit dans les Inrocks : » J’avais dans l’idée de montrer quelqu’un en train de mourir. Je l’ai vécu. De ces instants au-delà du chagrin, on retire une grande force….J’ai eu une conversation avec une de mes connaissances, un médecin très engagé dans les soins palliatifs. J’ai évoqué ce projet. Il était surpris. Nous avons alors rencontré des gens confrontés à une mort imminente. Et nous avons croisé L. Elle nous connaissait tous les deux, avait vu mes spectacles. J’ai parlé avec elle de mon idée.”
Ce sont donc les derniers instants (filmés « en direct ») de cette Mme. L. qu’on voit à l’écran, en contraste complet parfois avec l’ode à la vie, ou la célébration gaie dansé sur les « tombes »…. au devant de l’écran….
Ralenti, les yeux mi-clos, parfois grands ouverte, une bouche parfois tordue…. les mains caressantes d’une proche, un baiser posée… sérénité, souffrance… douceur…. On se (je me ) demande : une photo n’aurait-elle pas suffi ? (Et je me réponds : mais le jeu entre la musique, les acteurs-musiciens et notre inconscient en aurait « pâti » (peut-être)…..) (éternel débat des limites de l’Art ….)
« La mort, elle, est bien là. La mort en direct. Un goût de télé-réalité qui suinte ? Oui et non. Alain Platel, dont on connaît le travail profondément humaniste depuis le milieu des années 1980, n’a rien d’un provocateur. On sait évidemment son penchant pour une quête de sensations extrêmes liées à des états de corps limites. On est d’autant plus sous le choc de ce théâtre de la réalité qui se risque sur un terrain aussi voyeuriste. Platel a définitivement sauté la frontière. Il semble vouloir percer le mystère absolu de la mort, ce secret inentamé du vivant dont personne ne revient après en avoir franchi le seuil. Il fait de l’agonie un objet spectaculaire, scénarisé, transformé – le film a été décoloré et ralenti – qui fait basculer l’intime ultime dans la représentation. La vidéo colonise le plateau – difficile d’y échapper – sans trouver d’équilibre avec les évolutions des musiciens et la somptueuse partition polyphonique de Cassol. Requiem pour L. entraîne des émotions conflictuelles et des questions. Pratiques d’abord. Curieusement, les dossiers de presse de certaines manifestations qui ont présenté récemment la pièce, qui tourne beaucoup, comme le Festival de Marseille et les Francophonies de Limoges, ne donnent aucune information sur le film. Dans celui du Théâtre national de Chaillot, où le spectacle était à l’affiche du 21 au 24 novembre, rien non plus. En revanche, dans le programme de salle, une explication de Platel, interrogé dans Libération en juin, permet d’en savoir plus. Un coup de téléphone à la troupe, basée à Gand, éclaircit l’affaire. Platel et Cassol ont décidé de laisser libre chaque lieu d’accueil en leur demandant néanmoins de ne pas être trop explicite. On apprend que, pour cette création, le chorégraphe voulait montrer des images d’une personne en train de mourir. Il est allé voir un médecin s’occupant de la fin de vie, à Gand, qui a fait part de cette demande à l’une de ses patientes, L. Cette femme qui « a choisi de mourir après un diagnostic irrévocable » a accepté d’être filmée et qu’on utilise ses images pour la production. Un geste militant, selon la compagnie, pour l’euthanasie et la mort assistée. L’intense perplexité que provoque Requiem pour L. pourrait presque se dissoudre dans la paradoxale douceur du spectacle. Cela explique-t-il en partie son succès partout où il passe ? On peut évidemment évoquer l’hommage, la célébration, le tombeau, une veillée funéraire, un nouveau rituel de deuil… Mais Platel et Cassol avaient-ils vraiment besoin de cette mort en direct ? On peut en effet s’interroger sur le piège d’une empathie complaisante, de la spectacularisation de l’agonie…
Et pourquoi pas? cette dame était d’accord. Nous avons perdu l’habitude de côtoyer la vraie mort mais nous assistons tous les jours à celle, jouée, des acteurs dans les films et les séries. Ou pire, à celle qui passe froidement durant les actualités télévisées. Il fut un temps où la mort se vivait en famille.
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Le morceau est magnifiquement arrangé. Il ne perd rien de sa superbe et de son émotion.
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Pourquoi des bottes sur scène avec le costume? La signification m’échappe.
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ahhh – bonne question à la quelle je n’ai pas de réponse avérée – je me suis juste imaginé que ces musiciens représentant (aussi) des ‘creuseurs de tombes », bougeant après la pluie…. mais malgré cet outfit – restait (au moins dans ma mémoire ou d’après mes souvenirs ) – une sorte d’élégance et sensibilité.
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