« J’ai regardé dehors par la lucarne du couloir. La lune brillait comme un soleil sur fond noir, un soleil femelle qui aurait accouché de petits éclats brillants éparpillés un peu partout autour de lui, comme un immense troupeau d’enfants veillé par une mère immobile incapable d’amour. » (p. 195)
Il y’en a pleines de phrases de ce type là… d’un autre temps et intemporelles.
J’avais lu d’abord une critique de ce livre dans Le Monde par l’écrivain/traducteur Caro – un chant de louange (extrait) :
On y prendrait ce plaisir de lecture si rare, celui qui donne l’impression qu’à chaque page tournée une porte s’ouvre et se ferme, une trappe cède, une corde se tend. Un roman qu’on dévore – et qui peut-être, aussi, nous dévorerait, à sa façon. Que lui faudrait-il de plus pour nous mettre à genoux ? Un titre souverain. Mais encore ? Une couverture qui éclipserait toutes les autres, puisque à l’ivresse il faut, n’est-ce pas, un flacon éminemment grisant. N’aimeriez-vous pas poser les yeux et mettre la main sur un tel roman ?
Un peu plus tard j’ai lu une entrée d’abord dans le blog de La Viduité ensuite dans le blog de Simone ce qui m’a donné le dernier coups de pouce pour l’acheter (parce que la 1ere de couv’ avait déjà attiré mon regard chez mon libraire) , et contrairement à Grace, un roman qui avait déjà une jeune fille-femme comme héroïne, j’ai été, cette fois-ci, ébloui comme les deux blogueurs cités. C’est difficile d’écrire après mes deux camarades de la blogosphère mais allez j’y vais.
4e de couv’ de l’Éditeur
Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile.
— Et alors, qu’y-a-t-il d’extraordinaire à cela ? demandai-je.
— Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés.
— De quoi parlez-vous ?
— Les cahiers… Ceux de Rose. »
Ainsi sortent de l’ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin. Franck Bouysse, lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d’aucune femme la plus vibrante de ses oeuvres. Ce roman sensible et poignant confirme son immense talent à conter les failles et les grandeurs de l’âme humaine.
C’était mon premier roman de Franck Bouysse – et il m’a conquis de par son romanesque (quasi-gothique), sa désespérance, sa force, sa gracieuse puissance mouchetée de luminosité…. Les premières 10 pages m’ont un peu dérouté de par leur poésie brute, ensuite j’étais happé, happé aussi par le côté formel : Il y a d’abord un prêtre qui reçoit les cahiers intimes d’une femme, Rose, fillette vendue par son père pour subvenir aux besoins de sa famille….
Ensuite nous lirons à tour de rôle les événements vus par d’autres protagonistes (Elle – la mère, Edmond, le régisseur du Domaine des Forges et l’homme aux larges épaules, Onésime – le père de Rose, Gabriel, le prêtre, l’enfant….). Événements et (quasi-revirements), il y en aura bcp dans ce récit-conte qui en sous-texte parle de conditions sociales, des rapports entre hommes et femmes et l’ asservissement de l’individu en fonction de sa condition. Il faut, je suis d’accord avec Simone, ne pas trop raconter et se laisser embarquer.
Certes il y a un côté too much dans la descente aux enfers de Rose et l’ignominie du Maître de la Forge qui l’a acquise (la mère de ce dernier aurait bien sa place de Ms. Danvers, la gouvernante, de « Rebecca ») – mais cela ne peut pas masquer un véritable plaisir de lecteur d’être transporté dans un véritable « ailleurs ».
Sachez que la langue « parlée/pensée/écrite » des divers « intervenants, est chaque fois parfaitement adaptée à leurs facultés. Le style de Rose n’est pas le même que celui de Gabriel p.ex…. !
Le roman est – entre autres – un hymne à l’écriture – un hommage aux mots, seul espace de la liberté :
« Les mots passent de ma tête à ma main avec une facilité que j’aurais jamais crue possible, même ceux que je pensais pas posséder, des mots que j’ai sûrement appris aux Landes, ou bien lus dans le journal du maître, et d’autres que j’invente. Je peux pas m’arrêter quand je suis lancée. Les mots, ils me font me sentir autrement, même enfermée dans cette chambre. Ils représentent la seule liberté à laquelle j’ai droit, une liberté qu’on peut pas me retirer, puisque personne, à part Génie, sait qu’ils existent. J’ai plus besoin de travailler. J’ai aussi quelqu’un à qui parler de temps en temps, et des mots à jeter sur du papier. Qu’est-ce que je pourrais demander de plus aujourd’hui. » (p. 233)
Une bien belle découverte cet auteur (ce sera certainement pas le seul livre que je lis/lirai de lui.
🙂
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Belle chronique ! Merci pour ton enthousiasme communicatif 😉
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J’ai fini par le lire (mieux vaut tard que jamais), en partie grâce à ta chronique 🙂 Il vaut la peine d’être lu malgré son aspect cruel et obsédant. J’ai eu un peu de mal avec cette langue si âpre par moments, et avec certains passages vraiment crus, mais je n’ai pas pu m’empêcher de m’attacher à Rose. Et comme toi, j’ai adoré ces passages où elle évoque son rapport à l’écriture et aux mots.
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Il a reçu par ailleurs le Prix des Libraires et se trouve parmi les 5 livres de la sélection du Prix Orange…. des amis de notre Club de Lecture ont eu l’occasion de voir F. Buysse et ont (en plus) adoré le bonhomme et son approche… J’aime bien le « obsédant »….
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