Désintégration

DÉSINTÉGRATION,  substantif féminin

Action de désintégrer; fait de se désintégrer. Synonyme désagrégation, destruction

Au figuré, Perte de la cohésion intime, de la personnalité profonde.

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Présentation de l’Editeur 4e de couv’ :

« Les gosses de riches gueulent en riant plus fort « Qu’est-ce que j’peux faire, j’sais pas quoi faire », ritournelle en scie, scie qui vrille mes tympans, implante une graine de haine qui vient se loger très profond dans mon crâne loin après le cortex. »

Pour payer ses études, elle enchaîne les petits boulots tout en cherchant quelque chose qui serait une place. Elle n’envie pas ces jeunes qui, d’un claquement de doigts, obtiennent tout de leurs parents. Ils n’ont de cesse de lui rappeler qu’elle est l’Autre. Mais il n’y a pas de neutralité possible.

À force d’humiliations, le mépris s’inverse. La violence devient dignité. Et la colère monte, jusqu’à se changer en haine pure.

Désintégration est l’histoire d’une femme qui sait qu’un regard peut tuer. D’une combattante habitée par la honte, et qui transforme la honte en arme de guerre. C’est un roman sur le sexe, le pouvoir, le succès. Et la fierté comme moyen de survie.

Pas toutafé d’accord avec les 2 dernières phrases, mais passons….(ok… page 99, il y en a un peu…de sexe)

« Désintégration », le 3e roman de E. Richard, est un récit à la première personne. La narratrice est issue de la « classe populaire » (et pavillonnaire quand ses parents se sont endettés), et se frottera, lors de ses études financées par de petits boulots, à la jeunesse bourge de la grande ville (Paris). Le récit est mené le long de deux (trois) axes temporaires : a) Le récit de sa trajectoire (banlieue, études à Paris avec ses galères et petits boulots) jusqu’au succès en tant qu’auteure. b) Le récit d’un dîner avec un réalisateur/artiste, une fois qu’elle est une écrivaine reconnue. c) une 3e partie (avant de terminer en mode accalmie) est intitulée « Haine » et crache, dans un style proche du Rap, sa haine accumulée (comme une cocotte minute), et déjà perceptible et instillée dans les chapitres auparavant . Par ailleurs, l’illustration en 1ere de couv’ est particulièrement parlant en ce sens.

On dirait lire un « roman d’apprentissage », genre né en Allemagne au XVIII ème siècle (Bildungsroman/Entwicklungsroman), mais en mode 21e…. et collant farpaitement – un hasard ? – aux préoccupations de la société française actuelle (« Gilets Jaunes »/ Fracture de la société française). Toutefois, nous sommes loin du récit « linéaire » d’une ascension sociale (coucou « Jane Austen, Thomas Mann, Balzac ») et plutôt sur un chemin de croix douloureux, genre « «Sisyphe », puisque chaque fois qu’une étape franchie, hop, l’héroïne se trouve devant une nouvelle difficulté qui se dresse devant elle….et elle ne semble jamais pouvoir sortir de son bourbier….

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Le roman aurait pu s’intituler « Le Mépris » (par ailleurs il y a des références Godard-iens) aussi –  le mépris des autres à son égard, le mépris qu’elle a d’elle-même et qui empoisonne sa vie/ses pensées. Elle ne trouve pas sa place dans la société. Elle n’a pas les mêmes références que les gens qu’elle rencontre… »Tu ne connais pas le Guggenheim, tu ne connais pas les entretiens de Hitchcock-Truffaut…tu…(…)  sans tenter de m’apprendre , ce qui me faisait sentir idiote... » (p.74) ….. Comme une ritournelle il y a la juxtaposition de Paris et banlieue  (déjà dans « Pour la Peau », dénonciation très réaliste et argumentée d’une société à plusieurs vitesses (et par là injuste)) ce qui mène – chez cette fille – à une rage cocotte-minute…. fille qui dit d’elle « je ne voulais pas perdre mon temps à désirer ce que je ne pourrais pas avoir et (qui) n’était pas forcément mieux. Je visais à une sorte de jansénisme choisi de la consommation, une sobriété heureuse, mouchetée de superflu.... »  (p. 59)

 « À force de récolter honte, rage et seum, j’étais en train de devenir une cocotte-minute. Grenade dégoupillée prête à exploser.  » (p. 167)

Ce qui est en écho à une chanson de Clara Luciani (du disque « Sainte Victoire »)

Hé toi  Qu’est-ce que tu regardes? 
T’as jamais vu une femme qui se bat 
Suis-moi  Dans la ville blafarde 
Et je te montrerai  Comme je mords, comme j’aboie

Prends garde, sous mon sein la grenade  Sous mon sein là regarde 
Sous mon sein la grenade  Prends garde, sous mon sein la grenade 
Sous mon sein là regarde  Sous mon sein la grenade 

Il faut savoir que « ce livre a été composé en écoutant les artistes suivants » (p.207) … parmi lesquels  : Nekfeu, Orelsan, S-Crew, Médine et Kery James ou 13 Block (déjà « entendu » chez V. Despentes), Freeze Corleone, mais aussi Clara Luciani, Fishbach, Colombine ou Gaël Faye…  Par ailleurs, les remerciements à la fin du roman à P. Jaenada « La petite femelle » / « La serpe ») et David Lopez – Fief…. donnent un aperçu de la tonalité du récit… et des influences de ce voyage dans la langue française vivante, d’un niveau littéraire plutôt élevé.

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Le style (pas étonnant avec cette bande-son) : Énergique, rythmé, comme un scat, comme p. 20 à 26 (!), quasiment toutes les phrases débutent par « Je ne sais plus quand' »….

« Je ne sais plus quand l’été a cessé d’être immense….. Je ne sais plus quand la voix de mon éditeur, qui avait si joliment fait tintinnabuler ces mots aussi précieux que des grelots laqués d’or pur à mes oreilles lorsqu’il est venu à moi pour me dire…. Je ne sais plus quand j’ai cessé définitivement de me masturber….. je ne sais plus quand le fait de n’avoir jamais su m’habiller a cessé d’être un souci quotidien…..

Ou p. 106-107 : « Je les hais pour …. »

Par ailleurs, je recommande à tout lecteur qui veut aller plus loin dans l’analyse des échos (ou fusion ?) entre l’écriture de ce roman-récit et la musique/les textes Rap l’article ci-dessous qui laisse par ailleurs une grande place à la « réécriture paraphrastique » – un vrai trésor !!

http://raplume.eu/article/desintegration-demmanuelle-richard-un-livre-ecrit-sous-perfusion-de-rap-pnl/

Les références musicales ne sont par ailleurs pas les seules…. E. Richard parle de A. Cohen (meuh oui…. « Belle du seigneur » :

« Quand il est monté sur moi, j’ai pensé à l’insupportable mais néanmoins pas toujours absurde Ariane de Belle de Seigneur, à sa réflexion analogique entre les chiens et certains hommes au moment de ce qu’on nomme un acte… » (p. 132)

Jim Harrison fait une « apparition  » (Légendes d’Automne ») …. la narratrice crache sur « Celle que vous croyez » de C. Laurens (p.187) et Lelouche  (Un homme et une femme) ainsi que sur « les gens qui écoutaient Nova, France Culture ou Inter. Les gens qui lisaient Les Inrocks, Libération, Le Monde ou Télérama. Les gens qui faisaient les marchés. Ceux qui se trimbalaient avec leurs jus de fruits Innocent et leurs smoothies kiwi-carotte, leurs produits laitiers…. » (p. 185) … Ceux qui ont/peuvent contre ceux qui n’ont rien/ne peuvent pas….

J’ai bcp aimé ce livre qui (r)éveille ! C’est certainement un peu trop « noir-noir » et pas assez nuancé mais c’est un cri d’une certaine vérité…. une vérité certaine.

 

 

 

A propos lorenztradfin

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4 commentaires pour Désintégration

  1. princecranoir dit :

    Un bon livre alors ? « jamais rien lu d’aussi mortel ? »
    En tous cas, si on entend l’écho de Fishbach et Clara Luciani, ça doit être pas mal du tout !

    Aimé par 1 personne

    • lorenztradfin dit :

      … je dirais pas « jamais rien lu d’aussi mortel » – mais je vais « tire au hasard » que la bande son a bien laissé un sillon qui raisonne (assez longtemps puisque j’en ai déjà parlé lors de deux repas avec des amis : fils d’un manutentionnaire et d’une mère femme au foyer, ayant emprunté l’ascenseur sociale et ayant vécu/ressenti qqsuns des moments/pensées décrits dans ce livre il a fait écho, doublée par la crise de GJ et les interrogations de toute une génération ….

      Aimé par 1 personne

  2. Ping : Hommes – Emmanuelle Richard | Coquecigrues et ima-nu-ages

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