« Green Book » est l’histoire (véridique) du videur italo-américain Frank Anthony « Tony Lip » Vallelonga (Mortensen) et de la naissance en 1962 d’une amitié avec le pianiste jamaïcain américain Don Shirley (Ali).
Je n’ai jusqu’ici jamais apprécié le cinéma des frères Farrelly et leur humour potachement provocateur et vulgaire. Du coup, j’étais plus que sceptique à l’annonce d’un film de Peter Farrelly avec Viggo Mortensen. Vu que je suis plutôt fan de cet acteur [Indian Runner – S. Penn, David Cronenberg (notamment La promesse de l’aube), La Route (Hilcoat) et dernièrement « Loin des Hommes » ( !!) ] je me suis dit – allez va le voir, la presse dit du bien de son jeu, il se trouve sur la liste des nominés pour l’Oscar et ne sera peut-être pas mal.
En effet, pas mal. Même sous un vernis d’un mix de buddy-movie en mode mélo-comedy (avec des accents de mièvrerie – qui néanmoins m’a touché à deux reprises), Farrelly nous dépeint une époque pas si révolue que ça.
Shirley engage Vallelonga comme chauffeur et garde du corps non officiel lors d’une tournée dans le Sud des States avec son trio de jazz. Leur 1ere rencontre est un beau moment de cinoche (la confrontation du semi-mafieux et raciste Vallelonga avec ce « Bamboula » riche, délicatement raide et dignement distingué sur un véritable trône, ouvre un fossé qui sera comblé au cour du film).
Shirley est un peu (et c’est encore politiquement correct 🙂 rebuté par le côté « tchatche » et des manières peu dégrossies de Tony Lip-Vallelonga, mais il doit/veut pouvoir voyager en toute sécurité sans discriminations abusives pour respecter les engagements pris, et a confiance en les capacités de ce cogneur débrouillard.
Scènes de concert, de voyage (quasi-picaresque), de nuits au motel/hôtel…. (attention c’est rare que les deux passent la nuit dans le même hôtel, puisque il y’en a(vait) pas mal qui sont interdits aux noirs (ou uniquement réservés aux noirs – d’ou le nom du film : Il y avait – à l’époque – un Guide d’Hôtels et Restaurants pour les « negro motorists« ).
Très Farrelly-esque la scène dans la voiture dans laquelle Tony Lip oblige Shirley à goûter aux KFC « Fried Chicken » (rire jaune et légèrement gêné garanti). A cette méconnaissance de la malbouffe s’ajoute de la part de Don Shirley une méconnaissance totale de la musique d’autres noirs tels que Aretha Franklin, Little Richard, Chuck Berry …. ce n’est pas « Jo Pin » (Chopin dit (et compris) par Tony Lip) qui le sauvera aux yeux de Tony. Un autre « gag clivant » : Tony parle d’un disque de Don Shirley, que sa femme, pour préparer sa mission de chauffeur. Il s’agit d’improvisations sur « the story of Orpheus in the Underworld » – et Tony le félicite sur ce super disque sur les pauvres orphelins ( « orpheans » )….
D’autres scènes moins « subtiles » (la demande faite à Shirley de bien vouloir utiliser, dans l’Hotel ou il va se produire avec son trio (!), les toilettes (une cabane) pour noirs dehors à l’écart)…. ou la scène montrant qu’il ne pourra pas dîner dans le restaurant dans lequel il sera censé se produire)…. Farrelly fait comme si c’est seulement dû à la bêtise des gens du Deep Deep South, mais je pense des scènes de ce genre se sont certainement produits plus au Nord et certainement dans des quartiers à NY aussi.
Viggo M. a pris 30 kg (!!) pour ce film – pour être plus proche du personnage « réel » – le générique nous apprend que les deux sont restés amis jusqu’en 2013. Il est effectivement impressionnant dans ce rôle, jouant à la perfection le glouton goujat à l’accent italo (on dirait qu’il parle aussi bien l’italien qu’il maîtrise le français). Mahershala Ali s’impose avec sa raideur, son impeccable diction, son sourire dans les moments les plus dures face aux racisme.
Un article sur le « vrai » Don Shirley :
https://www.tsfjazz.com/jazznews/jazz-blog/green-book-et-le-mysterieux-don-shirley
Depuis sa consécration estivale au festival de Toronto, Green Book-Sur les routes du Sud ne cesse de troubler les amateurs de jazz. Qui est donc ce fameux pianiste noir, Don Shirley (interprété par Mahershala Ali) dont la tournée de 1962 dans le sud ségrégué des Etats-Unis au côté d’un chauffeur/garde du corps d’origine italienne (Viggo Mortensen) est au cœur d’un récit mené avec brio même s’il ne transcende guère les paramètres du feel good movie à l’américaine ?
Le trouble vient du dossier de presse. Le fameux Don Shirley en question dont les mémoires ont inspiré le scénario est présenté comme un pianiste de jazz. On ne lui connaît pourtant aucune session majeure, ni en leader, ni en sideman au côté d’autres grands instrumentistes. Son destin, en revanche, n’est pas sans nous rappeler une certaine Nina Simone: un vrai talent de concertiste, très jeune, et les portes qui se ferment en raison d’une couleur de peau. Sauf que Don Shirley, lui, n’a jamais pu rebondir…
Le premier fait d’armes de ce natif de Floride, c’est l’interprétation à 18 ans d’un concerto de Tchaïkovski au sein du Boston Pops, fondé dans le sillage de l’orchestre symphonique de Boston. On lui fait pourtant fait très vite comprendre qu’on ne peut pas être à la fois Noir et faire carrière dans un tel cénacle. Don Shirley va dés lors réorienter son répertoire vers une sorte de no man’s land entre jazz, cabaret, spirituals et musique de chambre. Il tente par ailleurs un trio original -piano/violon/contrebasse-, réarrangeant aussi bien des extraits de la Symphonie No2 de Rachmaninov qu’un standard comme Lullaby of Birdland dont la version a visiblement bluffé le jeune pianiste Kris Bowers, qui a composé la B.O. du film.
On ne saurait en dire autant de notre ami américain Thierry Pérémarti, ancienne grande plume de Jazzman et Jazz News. Consulté par mail sur le sujet, il a fini par repérer sur Apple Music une relecture bien plate de ‘Round Midnight’. D’après lui, Don Shirley a surtout navigué dans l’idiome « classical pop » sans jamais témoigner de véritables capacités d’improvisation. À vrai dire, dans le film de Peter Farrelly, on ne le voit swinguer qu’à une seule reprise, lorsque, chassé d’un hôtel, il trouve refuge dans une sorte de saloon à rednecks où ses relâchements virtuoses emballent un public blanc pour le moins réticent au départ.
Décédé en 2013, cet « agent double », comme le disait le regretté Pierre Bouteiller, fut également proche de Duke Ellington et Sarah Vaughan. Il aura aussi participé -et lorsqu’on voit le film, on comprend pourquoi- à la marche de Selma, en 1963, derrière Martin Luther King.
Prévu pour moi la semaine prochaine !
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Je pense qu’il te plaira.
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Vu ce soir. Plaisant, oui. J’ai regretté ce qui m’a semblé une sorte de mise à niveau pour tous publics, sans grande prise de position. Ok, ils fréquentent un milieu cultivé durant leur tournée, donc peu ou pas de confrontations avec le peuple. Pourtant, c’est tout de même le sud profond avant Selma! Mais les acteurs sont vraiment bons et comme toi je suis fan de Viggo. J’espère qu’il perdra vite ses kilos!
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Il les a bien perdu……😎
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Je comprends bien ce que tu veux dire…. cela manque de « relief », et un peu comme dans « Miss Daisy et son chauffeur » (chauffeur noir/riche blanche) on s’en fout finalement qui est très/pas assez blanc/noir…. et de ce que cela veut dire….. Le schéma de départ permet de traiter (transcender) les clichés /préjugés par leur simple existence/présence à l’écran. ….. L’ apparence de Shirley p.ex. est le parfait contraire de tout ce que Tony Lip a appris sur les « Niggers »….. Et Farrelly utilise bcp ces schémas d’opposition facilement à mettre en image. Une facilité regrettable (et exploitée à mort dans les autres films des frères Farrelly)mais qui est affaiblie par le fait que cette histoire est basée sur des faits réels : « La vie écrit les plus belles histoires »….. En effet j’aurai préféré quelques « zones grises »….
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Voilà, parfaitement synthétisé. Vivent les nuances!
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Pour ma séance du week-end, mon cœur balançait entre ce « Green Book » et « la Mule » eastwoodienne. J’ai préféré tenter ma chance dans le pick-up de l’animal à mauvais caractère. J’avoue que je n’ai pas regretté le voyage (vous en saurez plus très bientôt sur le Tour d’Ecran). En l’occurrence, choisir n’est pas nécessairement renoncer car je compte bien rattraper un de ces jours Viggo et son jazz messenger sur les routes du Sud, et ce même si l’emballement critique ne semble pas être suivi d’effet sur ton commentaire.
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Vu la Mule en fin d’ap’ avec des amis. Ravi de pouvoir m’attendre à un billet de voyage ….. La 1ere moitié du voyage était – pour moi – d’une élégance « chapôbas » …
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