Sarah – la vivante au profil de morte

ou comme l’écrivait Libération « Réalité Trieste »

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4e de couv’ chez l’Editeur (Minuit

»Ça raconte Sarah, sa beauté mystérieuse, son nez cassant de doux rapace, ses yeux comme des cailloux, verts, mais non, pas verts, ses yeux d’une couleur insolite, ses yeux de serpent aux paupières tombantes. Ça raconte Sarah la fougue, Sarah la passion, Sarah le soufre, ça raconte le moment précis où l’allumette craque, le moment précis où le bout de bois devient feu, où l’étincelle illumine la nuit, où du néant jaillit la brûlure. Ce moment précis et minuscule, un basculement d’une seconde à peine. Ça raconte Sarah, de symbole : S »

S – comme « l’élément chimique du n° atomique 16 (Soufre) ….. du latin sulfur, soufre, la foudre, le feu du ciel….Je souffre. Du latin suffero, supporter, prendre la charge de, endurer….Subir une peine » (p. 31) S – comme saphique aussi. Et « S » est, dans l’alphabet, la lettre avant « T » comme Tri(e)ste, ou enfin « S » comme le Spar » dans lequel la narratrice fait ses courses à Trieste et qui peut devenir « pars »….ou …..

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Un beau (petit) roman d’Amour (avec un grand « A »), dans une langue souvent poétique et surtout musicale. Une femme (enseignante) rencontre (après un échec amoureux qui la laisse mère célibataire, de plus avec un enfant) une autre femme (musicienne/violoniste) lors d’une soirée, et va peu à peu tomber amoureuse d’elle, elles qui n’avaient pas été avec une femme avant….

Pauline Delabroy-Allard (dont c’est le 1er roman) nous raconte (en mode à la 1ere personne) la naissance et l’évolution de cet amour fou, en très courts chapitres (parfois incisifs et uppercut-eux)… Mais Les Rita Mitsouko (et Anne Fontaine aussi) nous l’ont dit suffisamment souvent : « Les histoires d’amour finissent mal en général ».

« Tu me tues. Tu me fais du bien »  ou « (Ils) Elles se regardent jusqu’aux larmes. Et pour la première fois de sa vie elle dit les mots convenus pour le dire – les mots du livre, du cinéma, de la vie, de tous les amants : Je vous aime » Ce n’est pas P.D-A. qui a écrit ces mots, mais Marguerite Duras est souvent citée dans le livre ou via l’écoute de

oui, bizarrement j’ai pensé à M. Duras en lisant les phrases courtes, syncopées dans la 1ere partie.  « ….elle me manque….. je la désire…… je ne pense qu’à elle…… le temps est long sans elle.Elle me hante, nue, sublime, un fantôme qui fait gonfler mes veines, larmoyer mon sexe. C’est une révélation, une lumière, une épiphanie….. » mots simples, nus, proche du cliché, pas empreints d’une écriture exaltante mais comme je dirais, justes.

C’est cette 1ere partie que j’ai aimé… sachant que – dès les pages 9-11, avant le chapitre I, la petite Madeleine en moi sait qu’il y a une ombre qui plane  « terrifiante comme un paillon de nuit » : on sait que le « elle est vivante » des 82 petits paragraphes avant le II deviendra « son profil de morte/ elles est morte/mort-vivante ». Récit autocentré, qui laissera complètement à l’ombre le compagnon, la vie de sa fille, des amis, parents…. et qui deviendra lancinant, un peu répétitif aussi dans le chapitre II (qui se déroule d’abord à Milan et ensuite à Trieste, ville entre Italie et Slovenie, ouverte à la mer, sujet aux vent du Nord, Bora (le « cousin » du Mistral, son nom vient de Borée, dieu de la mythologie grec) ).

« Je ne suis plus qu’une pulsation, mon corps entier bat la mesure, une cadence affolée, un truc virtuose. Trois nuits, je crois. Le jour va peut-être finir par se lever. J’ai tellement soif. Je n’ai plus mal nulle part. Je ne sens plus rien. Je ne vois que du rouge, derrière mes paupières closes, des formes rouges qui clignotent en rythme. Systole, diastole, systole, diastole, systole, diastole, choubam choubam choubam, comme ça, de plus en plus vite, chhhoubam chhhoubam chhhoubam, de plus en plus vite, de plus en plus vite, de plus en plus vite, comme un air qui se perd dans la pénombre. » (p. 189)

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Ce n’est pas le Tourbillon de la Vie (encore Jeanne Moreau, décidément) mais un vrai Manège à moi  (Piaf/Montand/Gainsbourg) qui va pousser la narratrice au départ : « …dans le bide de l’aéroport, le bruit des valises qui roulent, des retards, des annonces, des gens qui pleurent, qui téléphonent, qui sont entre la vie et la vie, dans ce moment flottant où on ne sait plus très bien où l’on est, ce que l’on fait, pourquoi on le fait.... » (p. 112) pour se perdre dans son deuil introspectif (« Certaines femmes ont des envies de grossesse, paraît-il, il semblerait que j’ai des envies de tristesse. »)  (p. 184)

Allons, noyons nous, comme elle, dans les Spritz dans une ville italienne (pourquoi pas Naples – « …ça carina, Naples c’est le Sud, c’est presque un autre pays, tu sais, une autre vie. Je murmure que voilà, c’est ça que je veux, une autre vie. » (p. 120), dans un bar ouvert – « Partout, je lis sur les cafés bar aperto, je ne prononce que aperto dans la tête et ça donne a peur tôt, a peur tôt, a peur tôt. » (p. 145)

Une lecture qui est un chant, un poème qui aurait pu être élagué encore un peu pour éviter un lent enlisement (c’était le cas pour moi) à Trieste la triste mais qui nous fait connaitre une auteure qui avait « même » éveillé l’intérêt du Prix Goncourt de cette année et qui a peut-être encore autre chose d’intense à nous raconter. 

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Brahms, Bach, Schubert (La jeune fille et la mort), et Mendelssohn ponctuent le récit. Je vous passe ce dernier pour finir en beauté ici – Opus 20 – Octuor

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5 commentaires pour Sarah – la vivante au profil de morte

  1. princecranoir dit :

    Chronique à double-lame comme je les aime, qui caresse dans le sens du poil avant de vous couper l’herbe sous le pied. Je vais attendre encore un peu donc avant de prendre un thé chez Sarah. 😉

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  2. CultURIEUSE dit :

    Cette chanson…. Merci!

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  3. Un très bon ami m’a recommandé ce livre le jour de sa sortie. J’ai hésité à me l’offrir et finalement il est arrivé emballé pour Noël. Toujours pas lu par manque de temps mais je le fais remonter dans mes priorités grâce à ce bel article.
    Merci

    Aimé par 1 personne

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