Merci à ma collègue-amie-binôme S.H. qui m’a permis, avec ce cadeau, un voyage en Allemagne du Nord (et en partie dans mon enfance), voyage qui vaut son pesant de choux vert & Pinkel (une spécialité avec saucisse fumée à base de gruau). Dörte Hansen avait réussi une entrée fracassante dans le monde littéraire allemand avec un roman qui s’est vendu à pus d’1 millions d’exemplaires (!) – Houellebecq peut se rhabiller ! -: « Landlust » (Envie de campagne ou Joies de la campagne) – traduit en français sous le titre « A l’ombre des cerisiers » (en anglais : « This house ist mine ») – Livre que je ne tarderai pas de lire. Promis…..!
Là donc elle est de retour avec une 2e oeuvre qui aussi bien de par sa langue, son pouvoir évocateur, sa mélancolie, son don à faire vivre des personnages, à donner des pics caustiques guéris illico presto par une tendresse pour les gens et un mode de vie condamné, pour le foisonnement des sujets etc…. m’a captivé d’un bout à l’autre.
Présentation par l’éditeur – tentative de traduction par mes soins
« Les nuages pèsent lourdement sur le Geest alors que Ingwer (= Gingembre) Feddersen, 47 ans, retourne dans son village natal. Il a quelque chose à se faire pardonner. Grand-mère Ella perd peu à peu sa tête, grand-père Sönke tient obstinément la position dans son troquet du village. Les meilleurs moments de sa vie se trouvent derrière lui? Ce qui est également le cas de son village. Quand ce déclin a-t-il débuté? Dans les années 1970, quand ont disparus, après le grand remembrement des terres, les haies et les oiseaux ? Quand les grandes fermes ont grandi encore plus et que les petites fermes ont dépéris? Quand les jeunes ne voulaient plus rester dans le village ? Avec le départ de Ingwer pour des études à Kiel et qu’il a laissé le vieil homme avec l’auberge pourtant destiné à être repris par lui ? Dörte Hansen raconte avec beaucoup de chaleur la disparition d’un monde rural, la perte, les adieux et un nouveau départ. »
Die Wolken hängen schwer über der Geest, als Ingwer Feddersen, 47, in sein Heimatdorf zurückkehrt. Er hat hier noch etwas gutzumachen. Großmutter Ella ist dabei, ihren Verstand zu verlieren, Großvater Sönke hält in seinem alten Dorfkrug stur die Stellung. Er hat die besten Zeiten hinter sich, genau wie das ganze Dorf. Wann hat dieser Niedergang begonnen? In den 1970ern, als nach der Flurbereinigung erst die Hecken und dann die Vögel verschwanden? Als die großen Höfe wuchsen und die kleinen starben? Als Ingwer zum Studium nach Kiel ging und den Alten mit dem Gasthof sitzen ließ? Mit großer Wärme erzählt Dörte Hansen vom Verschwinden einer bäuerlichen Welt, von Verlust, Abschied und von einem Neubeginn.
Ingwer Feddersen, fils d’une mère fantasque (et un peu folle) et d’un père absent (il est le fruit d’une seule nuit), élevé par ses grands-parents (sa mère n’en est pas capable), est prof’ d’université (archéologue) à Kiel et vit depuis 25 ans dans une colocation avec Ragnhild (proprio de l’appart – et la fille marginale d’une famille riche et bourgeoise) et Claudius (ex-étudiant de droit – études arrêtés après 11 années…. et re-converti en constructeur/skipper de bateaux et responsable des repas (festifs) …). Ingwer a pris une année sabbatique pour s’occuper de ses vieux grands-parents (« jouer le jeu Papa-Maman-Enfant en inversant les rôles ») [certes, il y a des voisins qui veillent de loin sur elle et il y a du personnel soignant une fois par jour, mais il « a impression d’avoir des choses à se pardonner »]. Occasion pour lui, de tirer le bilan de sa vie …. et de se projeter et de trouve rune réponse à la question de son grand-père : « …si au bout de cette année de farniente que tu te paies là pour t’occuper de nous, si on n’est alors toujours pas mort (« doot ») tu vas faire quoi ?…. ? »
Pour vous donner une idée de l’homme : Il se voit plus beau que Neil Young et avec une ressemblance certaine avec E. Clapton sur l’album « Forever Man » – peut-être, avec un peu de fantaisie.…(p. 189) et Ragnhild dit de lui à un de ses retours du village : « et de plus tu as maintenant l’air de sortir tout droit d’un merdique catalogue (de la marque de vêtement ndt) Marco-Polo, pas possible, Ingwer ! » (p. 197). Autre caractéristique : il est « une hitparade sur deux pattes » (bercé qu’il était par les tubes/rengaines (Deutsche Schlager) que sa mère lui faisait écouter (et dont le fonds pour le sujet « Solitude » était quasiment illimité… , fonds qui devenait ainsi le « lexique de sa mère impossible à désapprendre« . Il écoute Neil Young quand il prend la voiture et la « voix pleurnicharde de l’homme en chemise à carreaux » lui fait du bien, il s’y baigne dans sa mélancolie et ça tue les rengaines ritournelles des « Schlager » .
D. Hansen nous invite à un va et vient entre les années 60 (donc la naissance & l’enfance de Ingwer, la vie des grands-parents, proprio-gérant d’un bistro avec salle de fête (qui accueille souvent le soir les hommes seuls…. »veufs,….ou maris, qui ne supportaient pas de rester une soirée entière près de leur femme et enfants…« ) , de sa mère, et de quelques’uns des habitants du village (inventé : Brinkebüll*) et l’époque actuelle. Occasion de décrire le mode de vie d’antan (avant le grand remembrement des terres…) et/ou ironisant sur celui d’aujourd’hui…. (la satire des bobos (presque) cinquantenaires est souvent cinglante et délicieuse).
- la description de Brinkebüll est moins précise que celle de « Unterleuten » de Julie Zeh (qui se trouvait à une heure de Berlin et permettait « déjà » de juxtaposer la vie dans un village à celle d’une ville – ici Kiel)
Le /la traducteur/-trice de ce livre se cassera les dents – non seulement sur les expressions /phrases en « Plattdeutsch » ( le bas-allemand ou bas-saxon – « proche » du néerlandais/flamand/afrikaans).
Ce parler je l’ai connu (mais pas maîtrisé) dans une variante en Rhénanie (pour l’histoire: le village de mon enfance à 20 km de Düsseldorf, était partie en « Lank » et « Latum » (le Limes passait au milieu du village) – et les anciens de Lank parlait encore le Plattdeutsch ….. que nous les « Zugereisten » (les nouveaux arrivants) ne comprenaient pas, ne parlant que le « haut-allemand ») ….
Un exemple de Plattdeutsch du livre :
« Denn hem wi sungen, weetst dat noch ? » qui deviendrait en haut-allemand « »Dann haben wir gesungen, weisst du das noch/erinnerst du dich noch) »? [Ensuite nous avons chanté, tu te rappelles ?)
Non, pas seulement pour ce Plattdeutsch, mais aussi à la capacité, en deux trois adjectifs et parfois des mots valises (mots à la mode, expressions ou simplement socialement pertinents, mais tous peu usités en France) ou de jeux de mots difficiles à reproduire :
Un contexte pour l’exemple : Le grand-père (revenu 1000 jours après la fin de la guerre de la captivité en Russie [mon père à moi en est revenu après 3000 jours (!)] pour constater que Ella, sa femme, aura eu une liaison en son absence (le passage p. 174/175 est d’une beauté silencieuse touchante), liaison qui par ailleurs continuera (on l’apprendra au cours du récit). Il réfléchit souvent à la culpabilité qui incite « Dieu », en bon comptable, de donner des punitions pour tout ce qu’on a fait mal…. (« la perte des orteils pour les russes tués. La faim, les douleurs, la peur de mourir, pour ce que nous avons fait aux partisans. Ding Dong. Mille jours de camp (de prisonnier), et on ne savait toujours pas, si on avait compensé/équilibré les comptes, on ne pouvait pas voir le livre de comptes. » p. 173) – ce qu’il résume dans ses pensées ainsi :
« Weil Gerechtigtkeit von Rechnen kam und Schuld von Schulden » (p. 173 ss)
(« Puisque la justice vient du calcul, et la culpabilité/la faute des dettes »)… Seule la 1ere partie de la phrase permet en français éventuellement un rapprochement en utilisant « équité et équation ») – heureusement ce n’est pas moi qui doit traduire……
Et il y en a plein de passages de ce type.
Se rajoute à cela une utilisation ingénieuse des paroles des « Schlagers » évoqués plus haut (soit les hit-des-hits et rengaines de l’époque comme celui-ci de Freddy
ou de Connie Francis
auxquels se rajoutent Christian Anders, Cliff Richard, Roland Kaiser…..inconnus au bataillon en France mais faisant parti de l’âme allemand d’une grande partie de la population (rétive aux Beatles ou autres Rolling Stones…. Tzz Ce qui me rappelle, même si cela n’a rien à voir, que le groupe Led Zeppelin a maintenant 50 ans !! …ça ne date pas d’hier, ça ne me rajeunit pas….)
Il y a bcp de passages d’une beauté mélancolique (et toutefois d’une folle précision) sur la vieillesse (beau passage sur le lavement d’un vieux), la difficulté de vivre ensemble, d’être soi-même dans un monde qui demande qu’on joue la comédie, sur la disparition d’un mode de vie « à l’ancienne » sans toutefois avec ce ton de « c’était mieux avant » parfaitement absent du livre…..sur la vie et la mort et la renaissance d’un village….
J’essaie de re-produire ici un de ces paragraphes imprégnés d’une douceur triste qui vous donnera peut-être envie de regarder dans les librairies quand il sortira en français (ou de jeter un coup d’œil sur son 1er livre qui semble-t-il est de la même veine) :
« Ils ne savaient plus comment faire, être à deux, assis à une table. Ils ne savaient pas que faire d’eux-mêmes, puisqu’ils ne savaient pas se parler.
« Dansons un peu (en Plattdeutsch) », dit-il, quand elle voulait faire la vaisselle, et ils ont poussé les tables du troquet pour faire de la place. Il alla à la juke-box, introduisit une pièce d’un DM et choisit une valse. « Je pense avec ça ça devrait aller. » (Plattdeutsch)
« Dans le temps, de fait, depuis toujours, ils étaient de bons danseurs de valse. A chaque fête, quand on les priait d’ouvrir le bal, on les admirait, un beau couple (plattdeutsch). Ils le savaient, même, ils le sentaient à ce moment. Seulement à ce moment. Comme si la musique était leur mode d’emploi l’un pour l’autre, la notice qui leur disait, ce qu’il fallait faire : se tenir par la main, bien tenir, avec une prise solide, le partenaire tout en tournant, se balancer dans les bras, d’aligner les visages, chercher leurs contact. Un peu sourire aussi. De se regarder parfois dans les yeux. Il semblait qu’ils avaient besoin de la musique pour être un couple, elle était comme une corde qui les unissait. La valse anglaise, la meilleure manière de les lier l’un à l’autre. » (p. 122/123)
Voici la valse anglaise sur laquelle le couple danse (« Wir wollen niemals auseinandergehen » – Nous ne nous séparerons jamais – Heidi Brühl)
Attendez la version française – ce n’est pas facile à lire avec un bagage « normale » de l’allemand – « même moi » j’y ai appris des mots/des expressions : (sich die Kante geben » = se soûler; ou « (un)verkopft » = (pas/peu) rationnel/intellectuel; ou la « soziale Rückbildungsgymnastik » = la gymnastique postnatale appliquée à la vie sociale (devenir bohème quand on est né dans une famille bourge) …., das « Rumgehühner mit Geschenken » = le remue-ménage/le plat fait autour des cadeaux à Noël – en allusion aux poules (Hühner) qui courent sans but, dans une confusion totale..)…. et me suis rappelé d’autres comme p.ex. « spiddelig » (osseux, menu)
Un vrai plaisir de lecture – que j’aurai aimé durer encore plus longtemps…..
Tu sais qui va le traduire ?
J’aimeJ’aime
Non mais je me renseignerai
J’aimeJ’aime
Si je comprends bien, il y a du pain sur la planche avant de pouvoir en jouir dans la langue de Moliere 😃
Il faudra tout de même expliquer à cet auteur que Neil Young n’a jamais eu la « voix pleurnicharde. » 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Hahaha…. je pense que ce sera peine perdu – je n’ai pas parlé des « gémissements » …. mais il l’aime ce N.Y. « …depuis des années il vivait son amour (sa passion ?) pour N.Y. en cachette. Il y en a qui pratiquent la contrefaçon d’argent dans leur caves ou partageaient lit et table avec une poupée gonflable. Lui il trouvait, depuis 3 décennies déjà, du réconfort par un type/mec qui portait des chemises à carreaux et qui chantait avec une voix gémissante/pleurnicharde de cœurs en or ou de vieux hommes…Il s’appuyait sur les gémissements de cet homme pour supporter le mois de novembre…. »
…
Le qualificatif s’explique bien par les réactions des « aînés » – si je pense aux réactions de mes parents à mes préférences musicales des années 60 (dont N.Y.) et les tubes qu’ils ont écouté (jette une oreille sur le timbre de la voix de Freddy ci-dessus)…. on comprend l’adjectif choisi…. [mais à part ça je suis entièrement d’accord avec toi]
Old man take a look at my life
I’m a lot like you
I need someone to love me
the whole day through
Ah, one look in my eyes
and you can tell that’s true.
J’aimeJ’aime
« Häsch dini ovo hüt scho gha? » c’est la seule phrase écrite dont je me rappelle en suisse allemand!
J’aimeAimé par 1 personne
Trop de sucre ……. ! (tzzz) mais comment tu rend cette question en français suisse pour qu’on « entend » la musique Bernoise ?
J’aimeJ’aime
Je la traduis en vaudois, la musique bernoise, je ne l’aime que chez Stefan Eicher. T’as d’jà eu ton ovo aujourd’hui? …effectivement l’accent ne passe pas…
J’aimeAimé par 1 personne
Ping : Le vieux pays – A l’ombre des cerisiers | Coquecigrues et ima-nu-ages
Ping : Zur See [En mer] | Coquecigrues et ima-nu-ages