Merci à V. qui nous a permis de voir sur « Netflix » un très beau film (qui en effet aurait gagné encore en intensité sur grand écran, dans une salle obscure) – (voir aussi l’article du Monde en bas).

Le film se termine (presque) avec la « pieta » reproduite sur l’affiche – les enfants d’une famille autour de l’employée de la famille, nounou et bonne à tout faire.
Nous sommes toutefois à des km-lumière d’une « Mary Poppins » (celle-ci refait surface ces jours-ci avec un remake !).

Cleo (Yalitza Aparicio) – est l’employée d’une famille de bourgeois mexicain aisés. Du matin (très tôt) au soir (très tard) elle trime pour cette famille (parents, 4 enfants, une grand-mère et un chien) – ressente (ou oublie ?) et tout y passe : réveil des gosses, faire (et servir) les repas, les courses, vaisselle, lessive, ménage,

ahh j’oublie : chercher et parfois amener les enfants à l’école – sans qu’elle dise grande chose (ni de révolte, ni de trop de dévouement) – peu de temps pour elle (sauf le soir, une fois éteins la lumière dans la pièce qu’elle partage avec une autre servante ou le dimanche – qu’elle partage parfois avec un garçon (fou des arts martiaux – étonnante scène dans laquelle ce garçon montre son « art » tout nu, le sexe pendouillant),

garçon qui la mettra « en cloque », disparaîtra et refera surface (dans une autre scène dans laquelle on va voir que ces arts martiaux sont utilisés (attention spoiler !) par les (para-)militaires pour étouffer une (nouvelle) manifestation des étudiants – ce n’est pas le massacre de Tlatelolco de 1968 mais tout comme… – la scène (qui se déroule dans un grand magasin ou Cleo va choisir avec la grand-mère un lit bébé pendant que la révolte des étudiants gronde) …. impressionnante scène qui embrasse plusieurs niveaux de récit.

Alfonso Cuarón (dont je n’avais vu jusqu’alors « que » « Gravity » – avec sa première partie estupendo et sa 2e convenue…) s’est attelé dans ce petit bijou (long d’un peu plus de 2h) de décrire la vie, le quotidien de Cléo sur une année, l’année même dans laquelle les parents de Cuarón ont divorcés (comme les parents de la fratrie dans ce film) … Il a écrit le scénario du film, l’a photographié et monté dans un Noir & Blanc splendide.

Avec ce N&B il re-assemble des images sorties de ses souvenirs collectés progressivement et patiemment depuis des années (des interviews réalisés avec la « vraie Cleo de son enfance » ont nourris le récit que nous voyons maintenant)… une sorte de « recherche proustienne (encore lui) ?.. …. et les réagence en un ensemble qui vous touche. Par moments on se dit, à quoi elle sert cette scène ? pour voir un quart d’heure, ou vers la fin, l’importance de son insertion dans le récit….

A cela se rajoutent des travellings d’une beauté majestueuse…. des métaphores parsemées partout dans les bobines ( dès le générique du début, l’eau de nettoyage des carrelages de l’entrée – on viendra apprendre plus tard qu’ils sont toujours pleins de crottes de chien – qui arrive et se retire comme les vagues au bord de la mer… et dans lesquelles se reflète un avion qui passe et part pour le loin…(image qui revient sous diverses formes….)….
L’absence de logorrhée, l’absence de montage rapide, l’avancée en ellipses, en flash long de souvenirs qui remontent, le léché de plans – oui, cela peut certainement inciter des spectateurs à se détourner, à cliquer sur « off » …. pour moi c’est un film politiquement et poétiquement tragique et il y a pas mal d’images qui me restent encore aujourd’hui (à savoir 5 jours après le visionnage).
- Avant de commencer une trêve des confiseurs (mes enfants et petits-enfants arrivent !!) – je vous souhaite de bien belles fêtes !
Article « Le Monde » (21.12.2018)
(4 minutes de lecture intéressantes sur la « bataille » entre cinéma & écran TV
Ce qui s’est passé vendredi 14 décembre fera date dans le cinéma. Un moment triste pour un film qui est pur bonheur. C’est un des paradoxes qui a entouré la sortie mondiale, ce fameux jour, de Roma, du Mexicain Alfonso Cuarón. Non pas en salle, en France, mais à la télévision ou sur un ordinateur, via Netflix.
Ce n’est pas la première fois, loin de là, qu’un film sort directement sur la plate-forme du géant du streaming payant. Un mois avant, il y a eu The Ballad of Buster Scruggs, des frères Coen. Dans quelques mois, parmi d’autres, il y aura le prochain Scorsese. Mais Roma, par son projet, sa réalisation, sa réception critique enthousiaste, les prix qu’il a reçus et ceux qui lui sont promis, l’attitude ambiguë du cinéaste aussi, est un moment-clé. Qui traduit un bouleversement dans la façon de voir les films.
Cette histoire d’une employée de maison au service d’une famille disloquée de la bourgeoisie de Mexico, au début des années 1970, dans laquelle Cuarón emprunte à ses souvenirs, est un grand film de cinéma, sacré Lion d’or à la Mostra de Venise en septembre. Un film pour la salle, on s’en rend compte rien qu’en regardant l’énorme campagne de publicité agrémentée de critiques élogieuses tirées de la presse, notamment celle-ci : « Une magistrale leçon de cinéma ». Belle ironie, quand on lit en dessous : « Uniquement sur Netflix. »
Le débat autour de Roma a surgi en France, au dernier Festival de Cannes, qui n’a pu présenter le film sous la pression des salles : ces dernières ont l’exclusivité de projection pendant trois ans avant une diffusion sur une plate-forme. Cette polémique a masqué une autre question : pourquoi Alfonso Cuarón a choisi Netflix ?
Une force de frappe sans équivalent
Le cinéaste de 57 ans a réalisé huit films, entre expérimentation et grand spectacle, dont Gravity (2008), qui a obtenu sept Oscars. Il aborde ensuite Roma comme une pure création d’auteur. Il écrit le scénario, coproduit, tourne, en dirige la photographie, en est le monteur. Il fait tout en somme.
Le film que nous avons découvert à la maison via Netflix est dans cette logique, soit le fruit de partis pris formels qui aimantent le grand écran : format panoramique et son de haute qualité (deux facteurs pas à leur aise à la télévision), noir et blanc aux nuances infinies, travellings contemplatifs, caméra qui se tient à distance des personnages, plans complexes qui associent plusieurs actions, acteurs dont on devine à peine les visages au profit de silhouettes, perspectives virtuoses, fourmillement de détails tel cet avion dans le ciel, dialogues minimaux, bande sonore (sans musique) généré par la ville ou les vagues de l’océan. Tout cela se dissout sur petit écran, où le film se regarde mais ne se voit pas, exact contraire des séries télévisées rythmées par des gros plans envahissants, un montage rapide, des dialogues survitaminés.
Pourquoi alors, quand il choisit un distributeur, Cuarón prend le contre-pied de son projet et opte pour les petits écrans de Netflix ? Il a répondu dans Le Point du 6 décembre : « Je préférerais que Roma soit vu le plus possible en salle, mais les gens de Netflix étaient les seuls à proposer une force de frappe et un plan marketing aussi agressifs. »
Une force de frappe sans équivalent : 137 millions d’abonnés dans 190 pays qui diffusent Roma sous-titré en vingt-huit langues. Cuarón confie à notre confrère Thomas Sotinel : l’actrice principale, la Mexicaine Yalitza Aparicio, « est heureuse que le film soit sur Netflix parce que les gens de son village n’ont pas de cinéma ».
Bataille d’image
Pour enfoncer le clou, il égratigne Hollywood et les salles, qui ne pensent qu’à des superhéros et à des comédies pour ados. Les films d’auteur ambitieux et pour adultes n’auraient plus leur place dans ce système. Il a cette conclusion : les animateurs de Netflix étaient « les seuls qui semblaient comprendre le potentiel du film à provoquer une connexion universelle ».
Comprenez : Cuarón n’aurait trouvé aucun distributeur classique prêt à s’engager massivement pour son film en noir et blanc, lent, en espagnol sous-titré, avec des acteurs non professionnels. On ne sait combien Netflix a mis sur la table pour l’emporter, ni si les abonnés sont friands de Roma – l’opérateur ne donne pas ces chiffres. Mais pour ce dernier, après avoir bâti sa réputation dans les séries télés, Roma est le symbole de son offensive pour gagner en légitimité artistique sur le cinéma d’auteur mondialisé. Et c’est vrai, cette prise est un coup de maître.
Mais cette bataille d’image, elle se joue moins auprès des abonnés que sur grand écran et dans les festivals. Elle est née à Cannes, s’est poursuivie à Venise, puis dans pas moins de 64 festivals de par le monde où Roma a été montré en quatre mois.
Résultat aberrant
L’étape suivante se jouera aux Oscars. Pour que ce film ait une chance de concourir et de l’emporter en février, il fallait qu’il sorte en salle (il figure déjà dans la préliste du meilleur film étranger). D’où l’attitude inédite de Netflix de le projeter durant trois semaines dans une bonne centaine de salles aux Etats-Unis, et 600 dans une quarantaine d’autres pays, avant même de l’offrir à ses abonnés.
Alfonso Cuarón joue gagnant sur les deux tableaux : d’un côté, son film est louangé par les cinéphiles et les professionnels dans les festivals ou séances spéciales, de l’autre il est visible par le public du monde entier.
Mais la réalité, au-delà de son discours sur la démocratisation du cinéma, est qu’il fait primer sa casquette de producteur sur celle d’artiste. Manier le grand écart a ses limites. Il dit que la meilleure expérience de Roma est dans la salle mais que regarder le film à la maison a « le même impact émotionnel ». C’est aussi aberrant que ce résultat : Roma est projeté dans quelques salles partout en Europe, mais pas en France, pays le plus cinéphile au monde et qui possède un parc de cinémas que l’on nous envie partout.
Michel Guerrin (rédacteur en chef au « Monde »)

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c’est vrai, je vais le regarder, mais je suis déjà convaincue que la télé le réduit, émotionnellement. Je te dirai. Bises !
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Ce film est remarquable, et l’article de Guerrin dit beaucoup sur ce qu’il va de plus en plus advenir de cette forme de cinéma qui nous émeut et ravit tant.
Ton article rend parfaitement compte de l’impact visuel et émotionnel du film, malheureusement réduit par le format de diffusion. Un élément m’intrigue néanmoins dans ton texte, c’est cette curieuse unité de distance : le « km lumière »? Étrange d’avoir substitué le facteur temps pour une mesure de longueur… Si l’année lumière représente la distance parcourue par la lumière en un an, alors le km lumière serait le temps que met la lumière à parcourir 1km ? Ce qui est alors très bref, et du coup sans doute à l’inverse de l’idée que tu comptais faire passer 😉
C’était l’instant math du professeur Princecranoir. 😁
A bientôt.
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MERCI mon cher Dr. WATSON. …. tu as raison sur le fonds mais depuis mon enfance ( allemande ) imprégnée de lectures SF ( ah ce Perry Rhodan) ce terme m’est resté comme le meilleur pour dire que qqch est loinloinloin……
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L’important est que l’on ait saisi l’idée, je suis bien d’accord. 👍
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