Les Editions du Sonneur ont déterré ce récit du poète russe Vladimir Maïakovski (traduit du russe par Laurence Foulon) et préfacé par Colum McCann. Le lecteur de 2018 assiste ainsi à un séjour (assez confortable) du poète russe en terre capitaliste …
Livre lu dans le cadre du Prix Caillé (le récit se trouve dans la short-list 2018) – – et a déjà reçu un premier prix (Prix SGDL – Révélation de traduction 2017) – j’exprimerai ici mon opinion personnelle (ne parlerai pas de la traduction) et en aucun cas celui du jury du Prix Caillé.
« Aucun pays ne profère autant d’âneries moralisatrices, arrogantes, idéalistes et hypocrites que les Etats-Unis. » (p. 101)
Pas mal, non ? (écrit en 1925 !)
Extrait de la présentation faite par l’Éditeur sur son site
…La Havane, ….États-Unis …..Mexique, ….. New York, Cleveland, Detroit, Chicago, Philadelphie, Pittsburgh : durant son séjour, il donne de nombreuses conférences, lors desquelles il déclame ses poèmes, évoque l’Union soviétique et parle de ses impressions sur les États-Unis. Et ce devant un auditoire nombreux et enthousiaste.
Ma découverte de l’Amérique est le récit de ce voyage sur le continent américain. Maïakovski y déploie un large spectre stylistique, qui va de la gouaille à la solennité, pour louer cette Amérique industrialisée des années 1920, sa modernité et sa créativité, chères au futurisme. Il n’en décrie pas moins les injustices sociales engendrées par un capitalisme insensible. Le lecteur découvrira ici le talent de prosateur de l’un des plus grands poètes russes du XXe siècle.
Publié en 1926 en Russie, ce texte n’avait jamais été édité dans son intégralité en français.
Un curieux mélange ente carnet (intime), reportage journalistique fourmillant de notes, souvenirs et anecdotes égrenés en courts passages, parfois d’un ton drôle et vivant, s’arrêtant sur quelques détails (plus ou moins significatifs ), portraits et/ou scénettes
Ce qui est drôle de constater que ce voyageur de 32 ans, quasiment en mission officielle de représentation de l’Union Soviétique chez « l’adversaire (future) » parfois admiré, nous parle de cette Amérique là (d’abord La Havane, ensuite le Mexique et enfin NY et d’autres villes…), sans comprendre un seul mot d’espagnol ni d’anglais (il passe donc par des interprètes et ses interlocuteurs ?!)
« La langue utilisée en Amérique, c’est la langue imaginaire de la tour de Babel, avec la seule différence qu’à Babel on mélangeait les langues pour que personne ne comprenne personne, alors qu’ici on les mélange pour que tout le monde se comprenne. En conséquence c’est qu’à partir de l’anglais on est arrivé à une langue comprise par toutes les nationalités, excepté les Anglais? »
Étonnement (sain) d’un homme resté ado dans son cœur :
«Toute l’électricité appartient à la bourgeoisie et elle mange à la lueur des bouts de chandelle. Elle a une peur inconsciente de sa propre électricité. Elle est décontenancée, comme un sorcier qui a convoqué les esprits et ne sait pas comment les contrôler.»
Maïakovsky reste souvent bouche bée face à la modernité toute autre qu’en Russie (ou en Europe – qu’il connait aussi), mais rajoute dans ses descriptions des petites piques critiques contre les inégalités et une sorte de vacuité (qu’il nomme « une étrange impression de provisoire » (déjà à cette époque !) :
« Chacun déjeune en fonction de son salaire hebdomadaire. Ceux qui gagnent quinze dollars achètent pour un nickel un casse-croûte tout sec vendu dans un sachet…. Ceux qui gagnent trente-cinq se rendent dans un gigantesque restaurant mécanisé. Ils glissent cinq cents appuient sur un bouton et une dose précisément calculée de café gicle dans une tasse….les sandwiches, rangés sur de gigantesques étagères couvertes de nourriture. Ceux qui gagnent soixante dollars mangent des crêpes grisâtres avec de la mélasse et des œufs….. Ceux qui gagnent cent dollars ou plus vont dans les restaurants de tous les pays – chinois, russes…….. – partout, sauf dans les restaurants américains insipides….. Ceux qui gagnent cent dollars mangent lentement, car ils peuvent arriver en retard au travail….. Comment mange l’ouvrier ? Il mange mal…. (p. 76/77)
On voit bien, Vladimir M. observe bien avec ses yeux de poète russe un pays en pleine croissance, mais il observe aussi la ghettoïsation des étrangers, les effets d’une ségrégation raciale, l’exploitation des ouvriers, la surchauffe de la production (selon les règles d’or du consumérisme) , l’endettement aussi. Comme s’il avait déjà senti la grande dépression (de 1929) arriver en grands pas. Maïakovski meurt cependant en 1930 et cela aurait été intéressant d’entendre sa critique/son opinion sur ce désastre. En ça je trouve que la remarque de Colum McCann est plus que juste : « qui contesterait que sa critique des Etats-Unis est encore largement justifiée de nos jours – et peut-être est-ce plus vrai aujourd’hui, au vu des événements de ces dernières années»… qu’est-ce qu’il aurait écrit en 2018, dans un monde Trumpesque?
Par ailleurs Maïakovski a bien été reçu au Mexique par Diego Rivera (il n’a toutefois pas rencontré – au moins il n’en parle pas Frida Kahlo. Donc c’est drôle de le trouver sur une photo (montage ?) sur l’internet à côte de cette immense artiste.
Vladimir Maïakovski qui (selon Colum McCann) aurait – « en rayon de lumière » – bien influencé les Pablo Neruda, Nicanor Parra, Jack Kerouac et Allen Ginsberg -. Je ne conaissais pas ses poèmes, donc je me suis un peu penché, internet aidant, sur sa poésie :
Deux extraits :
J’aime
cette terre
on peut
oublier
où et quand
on prit du ventre
et un triple menton
Mais
la terre
avec laquelle on a su
ce que c’est que la faim
on ne peut
jamais
l’oublier (extrait de Khorocho ! (Il fait bon) – traduit par Elsa Triolet)
Les poètes sont chers aux femmes,
avec ça j’ai de l’astuce,
et pour peu qu’elles prêtent l’oreille
je leur conte des merveilles.
Je ne mords pas à l’ordure,
à l’appât de basses fredaines.
Eternel blessé d’amour
c’est à peine si je me trahi.
(Extrait d’une lettre de Paris au camarade KOSTROV sur l’essence même de l’amour)
Une belle lecture (reposante) qui prépare un peu au monde russe que j’attaquerai dans les semaines prochaines : En effet, le roman « Suicide » de Mark Aldanov qui relate l’histoire russe et européenne de 1903 – naissance du parti bolchevique jusqu’à 1924 (mort de Lénine) sera d’une autre « trempe » 660 pages, denses… rien à voir avec ce récit d’un voyage réalisé après la mort de Lénine…. Synchronicité quand je te tiens…
Et moi, je profite des vacances pour entamer « Jérusalem » de Alan Moore, 1266pages…
Mais j’essaierais bien Maïakovski.
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