« C’ est comme une espèce d’ immense espace de projection, pas un écran vide, au contraire, c’est une fenêtre noire, et derrière la fenêtre, il y a tout ce qu’il y a, en réalité, derrière, à l’abri du crâne de celui qui regarde….
Je pense que l’on vit un moment de désillusion collective, je pense que pour autant, tout n’est pas joué, mais qu’une forme de liberté et une forme de beauté sont en train de s’assombrir comme ça, de s’assombrir d’une grande inquiétude... » (J. Alikavazovic sur France Culture)
4e de couv’ (extraits)
Paul, étudiant et gardien d’hôtel, est fasciné par Amélia, l’occupante de la chambre 313. Tout chez elle est un mystère, ses allées et venues comme les rumeurs qui l’entourent.
Lorsque Amélia disparaît, Paul ignore qu’elle s’est rendue à Sarajevo, à la recherche de sa mère, d’un pan inconnu de son histoire – et de la nôtre : celle de la dernière guerre civile qui a déchiré l’Europe.
Dans ce roman incandescent, Jakuta Alikavazovic évoque ce qui est perdu et ce qui peut encore être sauvé.
Il était une fois….. le roman débute (c’est la 1ere partie – de 3 « Les nuits d’hôtel ») de manière éclatée (avec des interstices par lesquelles on entrevoit l’avenir aussi) par la naissance d’une histoire d’amour (ou par l’histoire des sentiments exprimés et/ou insondables aussi) entre Amelia et Paul. Il s’élargit ensuite doucement à leur « familles » respectives… (les pères respectifs, la mère d’Amélia, Nadia Dehr…). S’ajoute à cela ensuite en cours de route l’étonnante Anton Albers (une femme – prof et éminence grise des 2), pour former un triangle des plus étonnants….Enfin il y aura Louise, la fille qui naîtra de l’union des deux… .
Il dormait peu mais bien ; où qu’il fût, à l’université, au café, dans une maison inconnue ou chez lui, se trouvait la plupart du temps, dans un rayon de moins de dix mètres, un écran où bougeaient des images de meurtre et d’enquête, ou d’enterrement et de larmes, ou d’effondrement et de fuite, ou de questions et de réponses, ou simplement de questions. Et lui, indifférent à tous ces drames, dormait paisiblement. Mais c’était avant Amélia Dehr. C’était avant l’hôtel. (p.15)
Et leur rencontre sera fulgurante et belle … Mais il ne vivaient pas sur la même « planète » (question d’éducation, de classe sociale) : « …il essayait de d’apprendre à voir les tableaux de Cézanne, par exemple
et elle lui parlait de la Sainte-Victoire de cet Américain qui s’était donné pour tâche de reproduire de mémoires les toiles du maître, les yeux fermés, en trente minutes, à main, au fusain…. (p. 85/86)

Morris Blind time
Le 2e chapitre (« Ni seul, ni accompagné ») décrit la vie de Paul après le départ d’Amelia pour Sarajevo ainsi que le séjour/la vie d’Amelia à Sarajevo…. vivre à Sarajevo… »…en brûlant ses livres pour se chauffer, du moins aimé au plus aimé, du moins nécessaire au plus nécessaire (et ce qui fait l’utilité d’u livre en temps de guerre n’est sans doute pas ce qui fait son charme en temps de paix.) » p. 148
Dans le 3e chapitre (« L’avancée de la nuit ») le récit se concentre un peu plus sur le rapport entre Paul et Louise, qu’il a élevé seul (en miroir de ou en écho à l’éducation d’Amelia par son père….) ….ainsi que Louise et le père de Paul… (avec qqs très belles pages métaphoriques sur les oiseaux…)
« …Louise lui aurait été une consolation mais une fille ne doit jamais être un refuge pour son propre père, croyait-il, et il ne voulait pas la contaminer de sa tristesse qui était davantage que de la tristesse….. Il vit un thérapeute, une femme compétente qui œuvra à le remettre d’aplomb, à en refaire un homme parmi les hommes, un chef d’entreprise, et il l’écouta docilement, mais tout le temps qu’elle parlait et qu’il répondait, avec difficulté, comme un enfant qui choisit ses mots, comme Louise en français – tout ce temps une partie de lui était en train de lui fracasser, à cette femme, le visage au marteau. » p. 212
C’est difficile de résumer ce livre poignant, poétique, dense et complexe – de par son histoire qui mêle la petite avec la grande et qui traite en grande virtuose une multitudes de sujets : sentiments, enjeux sociaux, sociétaux (comme la violence, la peur), notamment l’urbanisme, des sujets géopolitiques aussi (la/les guerres, les migrants…), la poésie (Paul – encore un Paul – Celan) . De par son style et sa construction aussi. Servir ici des éclats, des débris ne peut rendre justice à sa richesse, c’est peut-être même inutile (et/ou contre-productif) …
Pour beaucoup de lecteurs « un grand texte« . Je suis d’accord. Je dois cependant avouer, qu’en sortant de la lecture des 279 pages, et peut-être aussi conscient que ce n’était pas le livre de détente adéquat pour mes soirées après des journées (longues) de traductions, je me suis dit que la complexité du roman a étouffé pas mal d’émotions, d’empathie même pour les personnages, comme pour dire au lecteur de se focusser sur les sujets sous-jacents, et les débris de notre société….
Pourtant la langue (« incandescente » – 4e de couv’) est d’une évidence et clarté …. tout en cachant derrière son quintessence envoûtante une forêt de sens et « lectures » possibles (Il sera, j’en suis convaincu, nécessaire une 2e voir 3e lecture puisqu’une seule lecture ne suffit pas pour embrasser tous les sujets et la construction avec ses tunnels et liens entre les chapitres ….
Extrait du blog playlistsociety.fr :
Entre ses personnages et ses lieux, le texte fourmille de pistes à explorer, au point d’en devenir vertigineux, de proposer plus de sensations et de sentiments en une phrase que certains livres en cent pages. Les idées des scènes alternent avec une merveilleuse mise en scène des idées. On pourrait en citer, des extraits de L’avancée de la nuit ! Démontrer par une succession d’exemples combien le style y est intense. Mais ce serait réduire le livre à des moments, alors qu’il ne faut rien extraire ici.
Et encore une autre critique :

Pendant le siège de Sarajevo beaucoup de grenades ont explosé dans la ville, laissant leurs marques dans le béton. Après la guerre, les trous ont été remplis avec du béton rouge. Ces marques ressemblent désormais à des roses. Malheureusement à Sarajevo les roses sont presque partout pour témoigner de la guerre.
Très belle critique. J’ai eu aussi l’impression que le roman était presque trop intelligent. Mais, tu as raison, quelle langue : simple et dissimulatrice.
J’aimeAimé par 1 personne
Ping : Réparations de fortune | Coquecigrues et ima-nu-ages
Ping : La liste des livres du Prix Inter 2018 | Coquecigrues et ima-nu-ages
Ping : Marée basse ou La volupté de nager | Coquecigrues et ima-nu-ages
Ping : Week-end Jury « Shadow Cabinet 2018 | «Coquecigrues et ima-nu-ages