Proposé par A. à la suite de notre dernier club de lecture…. le « dernier » Alessandro Baricco excellemment traduit par Vincent Raynaud, qui n’avait pas la tâche facile avec ce « récit mi-philosophique, mi-libertin,…histoire d’amour aussi audacieuse que fantasque » (4e de couv’)
4e de couv’
Italie, début du XXe siècle. Un beau jour, la Jeune Épouse fait son apparition devant la Famille. Elle a dix-huit ans et débarque d’Argentine car elle doit épouser le Fils. En attendant qu’il rentre d’Angleterre, elle est accueillie par la Famille. La Jeune Épouse vit alors une authentique initiation sexuelle : la Fille la séduit et fait son éducation, dûment complétée par la Mère, et le Père la conduit dans un bordel de luxe où elle écoutera un récit édifiant, qui lui dévoilera les mystères de cette famille aux rituels aussi sophistiqués qu’incompréhensibles. Mais le Fils ne revient toujours pas, il se contente d’expédier toutes sortes d’objets étranges, qui semblent d’abord annoncer son retour puis signifient au contraire sa disparition. Quand la Famille part en villégiature d’été, la Jeune Épouse décide de l’attendre seule, une attente qui sera pleine de surprises.
C’est une manière de « résumer » le livre….. il faut dire que c’est bcp plus que cela.
Flaubert aurait dit-on prononcé un jour la phrase « Madame Bovary, c’est moi ! ». Alessandro Baricco va plus loin, il ne se limite ni à la jeune épouse, ni à son futur mari (absent), ni à son future beau-père, ni la Fille (handicapée et fan de masturbation), ni Modesto (le vieux serviteur)… Baricco est gonflé et prend à tour de rôle, sans crier gare, tous les personnages (en plein paragraphe/pleine phrase il change du « il/elle » au « je » – en se plaçant dans la tête de ses personnages – c’est perturbant pour le lecteur, j’avoue, mais aussi empreint d’une virtuosité enthousiasmante).
C’est vraie, quelle imagination délirantement sensuelle il a ce Alessandro B. Il y a les petits-déjeuners du matin jusqu’aux quinze-heures, le père a « un cœur en verre » (comme l’autre du conte avec « son soulier de verre » (?) -ou plutôt « une inexactitude du cœur« , l’oncle qui dort tout le temps (narcoleptique ?) et donne parfois un avis assez circonstancié, la mère avec ses propos sibyllins et hilarants et à côté…. La « jeune épouse », c’est à dire la femme venue d’Argentine, pas encore mariée, promise à l’âge de 15 ans au fils et qui « n’était pas attendue ce jour-là, ou peut-être que si, mais tous l’avaient oublié. » (p.16) et qui de son tour va devoir l’attendre longtemps ce fils, qui tel Ulysse (d’autres diront peut-être tel Godot) se fait absent….(pour finalement apparaître 4 ans après…! )
Barrico va suspendre ce temps d’attente dans un récit précieux ( loin de la magie de « Soie » ou des métaphores plus simples de « Mr. Gwynn »)
Il y aura des initiations à la masturbation, un temps dans un bordel (pourtant l’aura de « vraie » sensualité s’estompe, l’érotisme reste assez « théorique »), des échanges « philosophiques » – des jeux d’écritures…. Ainsi, la phrase de l’écrivain mise à la bouche du père: « Je ne mourrai pas la nuit, je le ferai à la lumière du jour. » (p. 158) pourrait, aux yeux de l’écrivain être modifiée…:(à nous les traducteurs, cela rappelle quelque chose je pense, une phrase à traduire & 5 traducteurs = 5 phrases différentes) .
Par exemple en : » C’est en plein jour, à la lumière du soleil, que je mourrai » ou… « Je veux mourir à la lumière du jour et c’est ce que je ferai » ou aussi » Je ne mourrai pas la nuit, je le ferai à la lumière du jour… » (les trois variantes – bravo donc aussi au traducteur ! – se trouvant page 159/160) …. et c’est toujours l’écrivain qui décidera de la mouture définitive … puisqu’il sait bien que « le fait est que certains écrivent des livres et que d’autres les lisent : Dieu seul sait qui est le mieux placé pour y comprendre quelque chose. » (p. 170)
Vous voyez bien que ce n’est pas un livre genre « easy reading » – il faut faire un petit effort de lecture, rester attentif, pour ne pas se perdre entre les divers strates et propos du livre, mais le plaisir (je le redis: un peu précieux sur les bords) y est quand-même même si le « sens » de l’ensemble (« une éducation sentimentale » ?) m’échappe. Dans la liste des Barrico certainement pas le meilleur….mais un joli objet littéraire.
Belle critique qui va plus loin (que moi) : « L’originalité du roman réside dans les interventions directes de l’auteur entre des lignes écrites comme des partitions, qui font de ce récit semi-érotique un objet poétique, et poussent l’écriture vers des horizons nouveaux avec jeu et malice……Représentatif du style métaphorique, philosophique et sensuel de Baricco, La Jeune Epouse cherche à dépasser la forme romanesque dans un jeu où une véritable symphonie – on serait tenté de dire celle de la mer – fait entendre le travail d’écrivain en deçà d’une histoire aussi troublante que ravissante » https://www.nonfiction.fr/article-8605-roman__la_jeune_epouse_dalessandro_baricco_symphonie_en_prose.htm