L’homme vertical – Der aufrechte Mann

Une claque ce roman.

J’ai lu le roman dans sa version allemande merci à la bibliothèque internationale de Grenoble qui a fait de la place dans ses rayons et m’a offert ce livre qui avait pas eu le succès escompté) … Toutefois je dois dire que la traduction allemande, pourtant réalisée par une traductrice couronnée de prix (Barbara Kleiner) m’a paru « moins bonne » (elle en a rajouté aux expressions archaïques et lourdes) par rapport à la version française (Dominique Vittoz) – bcp plus « coulante » – (que j’ai parfois parcouru pour « comparaison » quand une phrase me paraissait bizarre (eh oui, je ne maîtrise pas l’italien).

« Tu crois que nous allons tous mourir ? lui demanda-t-il encore. Evelina se gratta la jambe. – Un truc de ce genre. »

« Glaubst du, wir werden sterben ?, fragte er sie. Evelina kratzte sich am Bein. „Etwas in der Art.“

Léonardo, un ancien universitaire et écrivain brillant, la cinquantaine, vit seul dans une grande maison un peu à l’écart d’un village. Les événements en cours, les violences qui explosent dans les environs et le village, ne le touchent point (« ça va passer »). Il passe à la longueur de journée du temps dans sa «pièce aux livres» et ressasse les erreurs commis dans le passé, notamment une liaison avec une jeune étudiante (déclenchant un divorce difficile) – c’est ici l’écho de Cotzee (« Disgrâce »).

Un jour, après des violences de plus en plus rapprochées (qui le toucheront progressivement aussi – par ailleurs plus de possibilité de trouver de l’argent (malgré un compte bien garni)), son ex-femme apparaîtra et lui amène sa fille (et le fils qu’elle a avec son nouveau mari – disparu lui) pour qu’il veille sur eux….Après plus d’un mois d’attente du retour de son ex-femme, il va partir avec les enfants vers la France et/ou la Suisse…. Débute une odyssée (de survie), un retour au village, démuni et un 2e départ définitif celui-là… Ils vont tomber dans la nacelle d’un groupe (d’adolescents autour d’une sorte de gourou). Le gourou va choisir la fille de Leonard pour femme objet (l’amour, la tendresse n’existe plus – les descriptions sont terribles), Leonard sera mis dans une cage avec un éléphant et devra danser chaque jour sur des braises. On observera à travers ses yeux le fonctionnement du groupe et essaiera garder jusqu’au bout son humanité, luttant contre la sauvagerie et ne se libérera que par un acte quasi-inhumain (pour fuir et sauver sa fille aussi)…

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Longo ne donne aucune explication sur les raisons et circonstances de l’effondrement de l’ordre publique, ni sur les « extérieurs » (Européens de l’Est ? l’autre côté de la méditerranée) – un peu comme dans La route – qui ne donne pas bcp d’explications non plus….et le « mal » ne semble attaquer que l’Italie, puisque les personnages essaient de partir pour la Suisse et la France….

Un peu de « Malvil » (Robert Merle), un peu de Cotzee (« La disgrâce »), quelques lignes de « Un cœur simple » (Flaubert)

« Leonardo fit la sieste, brossa Bauschan et confectionna une compote de pommes. Pendant que la casserole chantonnait sur le poêle en dégageant une agréable vapeur, il relut Un coeur simple en entier et il lui sembla saisir quelque chose qu’il n’avait encore jamais compris de cette femme et de la mansuétude avec laquelle elle traversait la douleur.«

et Thomas Bernhard …

Quand il avait connu Danielle, des années après Kate, Leonardo avait eu l’impression que toutes deux étaient entrées dans l’œuvre de Bernhard à un moment de leur vie où elles cherchaient une raison de détester le monde entier. Mais elles étaient trop intelligentes pour haïr au hasard : il leur fallait une grille, un critère, afin qu’aucun objet haïssable ne leur échappe. Bernhard ne passait sur rien. Leonardo en son temps l’avait lu avec passion, mais en gardant la même distance de sécurité que pour observer l’énormité d’un maelström. Le cas des deux femmes était bien différent. Elles s’étaient jetées dans ce tourbillon et tournoyaient avec lui sans trêve. Il les avait observées plusieurs fois : elles partaient d’une réflexion anodine sur un journaliste, la couleur d’une moquette ou un plat au soja, et aboutissaient à un monologue en boucle contre la profession de journaliste, les sols moquettés et les aliments bio (p. 177)

A ce cocktail, reconnaissable, s’ajoutent des bribes de musique : Glenn Gould, Jordi Savall  ou Leonard Cohen… (n’est-ce pas ? Aussi longtemps qu’il y a de la musique, l’humain ne disparaîtra pas…)

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N’oublions pas non plus un zeste de « The road », une pichenette de « Lord of the flies »

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…. pour former ainsi une farandole ou plongée odysséenne dans l’horreur /la barbarie humaine. A cela se rajoute une pincée de Fellini (la femme « grosse »,  l’éléphant David et l’ânesse (qui à la fin du livre seront comme l’âne et le bœuf autour du Christ naissant….), une autre pincée de Pasolini…

Oui, finalement je ne sais quoi penser (exactement) de ce livre kaléidoscope et multifacette. Ce que je sais : il m’a pris dans son tourbillon, aspiré que j’étais pour savoir jusqu’ou D. Longo irait avec cette dystopie sombre. Il n’y a pas « d’effets spéciaux ni catastrophes spectaculaires ». Longo nous décrit une apocalypse  » presque banale et au ralenti  » d’autant plus terrible pour le lecteur pour lequel le roman est un miroir terrifiant de notre « âme » à travers ce parcours initiatique – dans une langue parfois poétique, parfois rugueuse et sèche.

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C’est d’ailleurs intéressant stylistiquement – qqs chapitres en mode « il » et d’un coup, juste au moment ou Leonardo va commencer à sortir de son « rôle » d’universitaire seulement intéressé par ses livres, on trouve une partie (3e partie sur les 5 que constituent le roman) écrit en « je » comme jeté à la hâte, formulé à la serpe… très fort je vous dis.

Le dernier chapitre constituera malheureusement un appendice surprenant – presque comme un conte un peu kitsch sur les bords (la bande trouvera refuge sur une île, la fille accouchera le fruit des viols subis, et c’est comme une lueur d’espoir, qui tranche (trop) avec le côté obscur du reste du livre ….et çà des km-lumière de ce que disait – en plus court de plus – Corman McCarthy.

C’est peut-être cette dernière partie qui a empêché les critiques d’en parler davantage au moment de la sortie (2013). Je sais que je suis en retard – mais je ne regrette aucune seconde passée avec ce livre qui laisse des traces, malgré ses emprunts ailleurs dans la littérature reconnaissable à 100 km….

Pour finir un beau « épitaphe » que Leonardo proposera à une femme :

Quand je vois les esprits sans hauteur, sans colère,

Sans passion, sans rien qui les oblige à plaire;

Quand parmi les humains distraits ou soucieux

Nul ne vient se placer sous le signe du feu

Quand j’observe les fronts engourdis, l’âme nue,

La promesse d’amour si faiblement tenue,

l’absence d’univers dans la voix et les yeux,

Vous à qui j’ai donné le monde jusqu’aux nues,

Certes, c’est un bonheur que vous m’ayez connue !«

(Anna de Noailles)

 

Un roman qui transporte, n’est pas pour les « âmes sensibles » et m’a scotché.

Ci-dessous un lien vers un blog qui m’a permis de savoir de qui était l’épitaphe (la version allemande n’en disait rien) :

https://cuneipage.wordpress.com/2014/01/14/je-ne-vous-le-souhaite-pas-dit-la-femme-mais-vous-retrouverez-peut-etre-lenvie-decrire/

PS _ un exemple pour la « lourdeur » de l’allemand par rapport au français… Toutefois aucune idée comment cela est écrit en italien.

« Demain je t’apporterai la somme à rembourser. » … »Ou en est-on ? » demanda-t-il. 

« Morgen früh bringe ich dir das Geld, das man zurückgeben muss. » …. »Was für eine Stimmung herrscht dennn so ?? » fragte er ihn?. (p. 30) 

A propos lorenztradfin

Translator of french and english financial texts into german
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4 commentaires pour L’homme vertical – Der aufrechte Mann

  1. CultURIEUSE dit :

    J’adule Cormac McCarthy, dont La Route est pour moi le sommet de son oeuvre.
    Mais d’où sors-tu ces lectures étranges? Jamais entendu parler de ce livre intrigant…Je note.

    Aimé par 1 personne

  2. Elisa dit :

    Ta chronique me fait penser au mal ordinaire décrit par Hannah Arendt. Une lecture qui ne pourra pas laisser indemne… Merci pour la chronique, il n’y a que toi pour dénicher ces ouvrages 🙂

    Aimé par 1 personne

  3. lorenztradfin dit :

    Ah la chère Hannah À.
    Sur le fonds oui mais pas dans la forme.

    J’aime

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