« Quand les adultes entendent grincer une petite porte sombre dans leur cœur, ils montent le son de la télé. Ils s’enfilent un verre de vin. Ils disent au chat que c’était juste une porte qui grinçait. Le chat sait. Il saute du canapé et sort de la pièce. Quand cette petite porte sombre dans un cœur se met à faire clic-clac clic-clac clic-clac si fort et si violemment qu’on voit littéralement battre leur poitrine – eh bien là ils disent qu’ils ont du cholestérol et ils essaient d’arrêter le beurre, ils se mettent à aller marcher ». (p. 148)
Présentation de l’Editeur (Métailié)
Le monde entre dans l’âge de glace, il neige à Jérusalem et les icebergs dérivent le long des côtes. Pour les jours sombres qui s’annoncent, il faut faire provision de lumière – neige au soleil, stalactites éclatantes, aurores boréales.
Dylan, géant barbu et tatoué, débarque au beau milieu de la nuit dans la petite communauté de Clachan Fells, au nord de l’Écosse. Il a vécu toute sa vie dans un cinéma d’art et essai à Soho, il recommence tout à zéro. Dans ce petit parc de caravanes, il rencontre Constance, une bricoleuse de génie au manteau de loup dont il tombe amoureux, et sa fille Stella, ex-petit garçon, en pleine tempête hormonale, qui devient son amie. Autour d’eux gravitent quelques marginaux, un taxidermiste réac, un couple de satanistes, une star du porno.
Les températures plongent, les journaux télévisés annoncent des catastrophes terribles, mais dans les caravanes au pied des montagnes, on résiste : on construit des poêles, on boit du gin artisanal, on démêle une histoire de famille, on tente de s’aimer dans une lumière de miracle.
Dans ce roman éblouissant au lyrisme radical, peuplé de personnages étranges et beaux, Jenni Fagan distille une tendresse absolue qui donne envie de hâter la fin du monde.
En effet, un roman qui nous ballotte entre frissons (vu le froid de – 65°C) et cœur chaud. C’est certes une dystopie (nous sommes en 2020 !) , mais loin des blockbusters hollywoodiens. Le récit est riche en personnages (Vivienne et Gunn, les deux femmes qui comptaient bcp dans la vie de Dylan, Stella – le garçon qui se sent fille, sa mère à elle/lui – Constance, femme de deux hommes mariés de leur côté, Bernache ainsi qu’une ancienne star du porno… ) et de sujets (catastrophe climatique, transsexualité, solitude(s) et fragilité(s), contes (les buveurs de lumières – en anglais : The sunlight pilgrims) ainsi que finalement la nature (les paysages déjà rudes en temps normale du Nord d’Angleterre)…. et toutefois il se dégage quelque chose de poétiquement intimiste.
Une fois arrivé dans ce monde à des km lumière de Londres/Soho , Dylan va apprendre de s’ouvrir aux autres, va tomber amoureux de Constance, « cette femme qui est un vrai garçon manqué. » (p. 258) « Il remarque tout chez elle : la coupe de son jean, la façon dont elle soulève une assiette, la façon qu’elle a de veiller à ne pas le regarder trop longtemps. D’être fragile sur les bords. Écorchée. Çà lui donne encore plus envie d’elle…. Il l’aide à débarrasser la table. Souhaiterait le faire toujours. Mais ne pas le lui dire. Pour ne pas la mettre mal à l’aise. « (p. 115), et va se lier à Stella, la prenant comme il-elle est.
Au détour d’un récit calme, jamais catastrophée et/ou en urgence, dans une langue simple et empreinte de poésie (« et quand ils atteignent le sommet le paysage entier émet un silence impie. Le silence hurle ! Stella grimpe sur l’arête rocheuse et sa voix se meurt dans sa gorge. » (p. 290)) le livre nous interpelle, nous force à réfléchir (à la vie, le genre, l’amour, l’environnement,….) sans jamais être donneur de leçon, avec suffisamment de « blancs » entre les lignes et chapitres, pour nous, les lecteurs, laisser libre.
La traduction de Céline Schwaller est certainement pour bcp dans cette lecture. Elle rend parfaitement l’ambiance, la poésie et le ton. Les phrases courtes (cinématographiques) comme les longues et sinueuses (son profil LinkedIn dit : Traductrice littéraire depuis plus de vingt ans, je travaille aujourd’hui principalement pour Actes Sud (collection Actes Noirs) et pour les Editions Métailié (collection écossaise). J’ai traduit notamment James Kelman, Alasdair Gray, Alice Munro, Marina Warner, Carol Shields, Louise Welsh, Ethan Canin, Urban Waite…)
J’aurai envie de citer des pages/extraits en masse – les idées humoristiques – éculées parait-il, mais cela m’a fait rire, tel que « Une fois j’ai proposé un verre d’eau à votre mère, elle m’a dit qu’elle ne pouvait absolument pas avaler ce truc. Et quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu : Les poissons baisent dedans, mon chou. » (p. 131)
Enfin, synchronicité quand tu me tiens, j’ai repensé lors de la lecture (« Elle vient déguisée en loup. A travers le feu de joie il l’aperçoit alors qu’elle enjambe la barrière d’un jardin. Elle a une tête et une queue de loup et elle se déplace à la manière d’un loup… » (P. 129)) à une récente peinture aperçu récemment sur FB d’une artiste américaine dont je « suis » le travail depuis plus de 20 ans – qui, avec son « masque de loup » va comme un gant personnage du livre.
I Contain Multitudes, 60×40 (Alexandra Eldridge) http://alexandraeldridge.com/paintings/
Je trouve qu’il va parfaitement avec le livre et ses multiples entrées de lecture.
Enfin, en bande son, un morceau qui colle parfaitement sur à Stella (morceau cité dans le livre). Bande son du livre
She lost control (Joy Division)
C’est un très beau livre qui par ailleurs a également reçu le prix littéraire du magazine culturel Transfuge du meilleur roman anglophone – 2017.
Jenni Fagan (lien vers son blog) mérite surtout un grand lectorat.
tellement contente que tu aies aimé ! bel article
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