Lecture dans le cadre du jury du Prix Caillé 2017
Présentation de l’Éditeur:
Isabel Alba, Michelle Ortuno (traductrice*) finaliste du prix de la traduction PFCaillé en 2015
« Avec les films c’ est plus facile, parce que quand les images t’ envahissent et que t’ arrives pas à les effacer, tu peux te consoler en te disant que, comme dans les cauchemars, tout est faux, que rien de ce que tu vois dans ta tête n’ est vrai et que bientôt tout va disparaître pour toujours. Mais ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c’ est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais complètement de ma tête. C’ est pour ça que je veux écrire, pour voir si j’ arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier. »
Tomás, un garçon de douze ans, vit dans une banlieue de Madrid. Un soir d’ août, son ami Lucas est retrouvé pendu à une poutre, sur un chantier abandonné.
Tomás se met alors à écrire. Son récit prend l’ apparence d’ un roman noir.
« Je m’appelle Tomás, j’ai douze ans et je ne sais pas qui est mon père. Mais après tout, c’est banal dans la vie d’un gamin, et d’ailleurs je crois que ça n’intéresse personne, même pas moi, et puis j’en ai vraiment marre de toujours entendre la même histoire. »
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Comme d’hab’ je ne dirais rien sur la traduction – et je re-souligné que cet article ne reflète que mon opinion personnelle et non pas du jury du prix.
Belle découverte pour un premier roman basé, selon l’interview donné à bookalicious http://bookalicious.fr/rentree-litteraire-2016-isabel-alba-baby-spot/
sur une histoire vraie. Tomás (12 ans) habite dans une banlieue madrilène (mère caissière dans un Tabac, père violent, petite sœur un peu attardée (?) et dénommée Diana, « comme la princesse », l’être le plus chère à Tomás.
Ce sont les vacances et Tomás joue avec ses amis (Zurco, Martin déjà délinquants et le timide Lucas) souvent dans un chantier abandonné (une arnaque immobilière). Lucas, bouc émissaire par excellence, va être trouvé mort, pendu sur l’immeuble en chantier. Un flic véreux va saisir l’occasion pour battre et coffrer Zurco comme le coupable. Et Tomás, qui ne peut oublier l’image « des baskets du pendu qui semblent le fixer sans le lâcher », va raconter dans une logorrhée chaotique et cahotante ce qui est arrivé.
Il nous fait le récit comme s’il nous racontait un film (p.ex. de Terence Malick – tant il y a des digressions, des images qui déclenchent d’autres images, et nous projettent dans nos têtes un « film » ou déroulé qui ne sera pas tant celui qu’on s’est imaginé). Un été de vacances donc après duquel Tomás ne sera plus jamais le même, dans lequel il se frotte à la dure réalité de la vie, des culpabilités, des remords, des questionnements, du sang, du sexe, du bien et du mal. Donc pas étonnant qu’il y a des redites, de détours, de digressions quasi hypnotiques.
Le lecteur devient Psy et ne peut plus arrêter le flots de mots que Tomás nous dit (en réalité il les fixe – selon l’auteur – dans un cahier (mais je n’y crois pas trop – c’est une idée purement scénaristique).
Écrit de manière puzzlesque à la première personne, parfois peut-être (à mon goût) dans un langage qui n’est pas tout à fait celui d’un gosse de 12 ans (aussi déluré et basculé par la vie et son entourage qu’il soit). Mais on se laisse happer par la critique social qui s’y niche entre les lignes empreintes d’une cruauté innocente qui émeut (légèrement).
Voici un long extrait – difficile de choisir sur les 96 pages … le reste est dans la même veine…
« Et je crois que Gloria aussi a dû faire dans son froc en voyant les baskets qui pendaient au-dessus de sa tête cette nuit-là ; en fait c’est elle qui l’a trouvé, Lucas, le pauvre, quand elle revenait de son travail à l’usine, pendu à une poutre du premier étage du bâtiment en construction. Et je peux dire qu’elle a dû faire dans son froc parce qu’elle est rentrée dans le bar en criant comme une cinglée, et blanche comme si elle venait d’apercevoir un zombie et Antonio, pour qu’elle arrête de gueuler et qu’elle revienne à elle, eh bien il a fallu qu’il lui flanque une paire de gifles. Mais je crois que ça lui était égal, à Gloria, qu’Antonio la cogne ; elle a même peut-être aimé ça, comme la fois où il l’a cognée dans la voiture, et nous, Martín et moi, on a tout vu. Ça fait longtemps de ça, quand on était encore tout mômes et qu’on rôdait pour tirer des rétroviseurs – pour après les revendre à cette mauviette de Gamba qui n’osait pas trafiquer avec des choses plus sérieuses, et le fric qu’il nous donnait, une misère parce qu’en plus c’est un radin, on le claquait dans les machines. Eh bien cette nuit-là, celle où on a vu qu’Antonio la cognait, Gloria, on revenait de l’autre côté du périph, de tirer des rétroviseurs. On allait là-bas parce que – comme disait le Zurdo – on peut pas être débile au point de truander ses propres voisins et, en plus, ceux d’en face, c’est tous des salauds et ils l’ont bien cherché. Eh bien, à peine arrivés sur le pont, au-dessus du périph, on a commencé à se disputer. Martín et moi, on voulait balancer des pierres sur les voitures qui passaient dessous. On faisait ça tout le temps. C’était encore mieux que de jouer sur les simulateurs, et en plus, c’était gratuit. En fait, de là-haut, et de nuit, on voyait seulement les phares des voitures, et moi j’imaginais que le périph, c’était un écran géant, mais en vrai, où se déplaçaient à fond de train les vaisseaux ennemis et il fallait les exploser avant qu’ils envahissent la Terre. C’était mortel, ce jeu. Si on touchait la carrosserie ça valait un point et les vitres cassées, dix. Mais il fallait s’entraîner longtemps parce que si la pierre s’écrasait sur la route tout le monde se foutait de ta gueule, parce que t’étais nul ; par contre, si t’arrivais à faire déraper la voiture, et qu’elle finissait sa course dans le fossé, alors t’avais gagné et t’empochais le fric, celui qu’on avait misé, comme aux jeux de cartes. Le truc, c’est qu’on avait pas le temps de fêter ça, il fallait déguerpir à fond parce que le conducteur pouvait avoir un portable et appeler les flics – ces portables, c’est une invention qui ne me plaît pas du tout ; ça ne sert qu’à nous contrôler davantage. «
J’ai bcp aimé la couverture de ce livre d’une Maison d’Edition que je ne connaissais pas.
*Michelle ORTUNO est agrégée d’espagnol. Après des études doctorales à l’Université de Pittsburg, USA, (hispanic langages and litteratures), elle enseigne en lycée. Passionnée de cinéma, elle a traduit des articles pour la revue « Cinémas d’Amérique Latine » et produit des sous-titres pour le festival Cinélatino Rencontres de Toulouse ». Elle est la traductrice de La véritable histoire de Matías Bran d’Isabel Alba, publié en 2014 et finaliste du prix de la traduction Pierre-François Caillé 2015
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PS : J’ai écrit cette entrée dans mon blog après une très belle soirée musicale. Je ne suis pas fan de la Techno, mais le groupe « Orange Blossom » invité du Festival « Cabaret Frappé » s’y inspire et la travestit en rock alternatif.
C’était une belle transe de 1h qqs – planant, parfois des guitares saturées, orientalisant – j’avais pour une heure rajeuni de 40 ans (ahh la belle époque des concerts aux Pays-Bas dans les années 70)
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